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LES ŒUVRES : Leurs oeuvres

 

Dernières œuvres critiquées 

 

 

                    André GIDE et …

 

Paul Bourget,                  Edouard Estaunié,  Maurice Barrès,

 

René Boylesve 

UNE GENERATION

 

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Gide est né en 1869, René Boylesve en 1867, Edouard Estaunié en 1862, Paul Bourget en 1852 et Maurice Barrès en 1862. Voilà des écrivains qui appartiennent à la même génération, une génération dans laquelle Gide est le cadet. La postérité a réservé différents sorts à ces cinq hommes, seul Gide a survécu. Il a tellement "survécu" que certains seront peut-être surpris de voir son nom accolé aux autres sous couvert de "une génération" !

Je ne pense pas qu’il soit vain de s’interroger sur les raisons de ces traitements différents de la postérité.

Si l’on peut facilement comprendre que Maurice Barrès et Paul Bourget aient été victimes de leur engagement dans leur époque, que leur conception de la littérature au service de leurs idées, devait fatalement lier le sort de leurs œuvres à ces idées, il n’en est de même ni de Boylesve, ni d’Estaunié.

René Boylesve a écrit quatre chefs d’œuvres incontestés et incontestables : La Becquée, l’Enfant à la balustrade, Mademoiselle Cloque et la Jeune fille bien élevée. D’autres de ses œuvres sont remarquables sous différents aspects mais peuvent ne pas obtenir la même adhésion des différents publics. Le Parfum des îles Borromées qui contribua à la mode d’un certain italianisme, surtout dans sa seconde version amputée et plus faible que l’originale, n’obtiendra certainement pas l’intérêt des lettrés. Mon amour par contre reste un roman diariste curieux et réussi ce qui demeure assez rare. Le Souvenir du jardin détruit et le Meilleur ami obtiennent en général les suffrages des plus difficiles par la délicatesse des analyses et une sorte de perfection d’écriture, sobre et discrète. Elise est un roman solide et plein de qualités qu’il faut savoir discerner pour pouvoir l’apprécier vraiment. D’autres œuvres de Boylesve en particulier certains recueils de nouvelles ne peuvent manquer de retenir l’intérêt du lecteur. Des œuvres comme le Bel avenir, les Leçons d’amour, Le Médecin pourtant plein de toutes les qualités à venir, Madeleine jeune femme, peuvent retenir l’attention de certains, obtenir les suffrages des uns et être rejetées par les autres. Au total nous sommes devant une œuvre riche dans laquelle on peut discerner différentes manières utilisées sur des thèmes différents qui peuvent parfois dérouter quant à l’unité de l’ensemble cependant bien réelle.

Dans l’œuvre d’Edouard Estaunié, il est plus difficile de discerner les opus les uns des autres. L’œuvre apparaît comme un ensemble assez monolithique, témoignant d’une évolution, de certains points d’intérêt différents mais assez proches cependant et surtout préoccupée de donner à un monde un peu trop matérialiste une dimension spirituelle. Si Edouard Estaunié ne semble pas appartenir au passé – au passé de son époque – et annonce même certains écrivains des générations suivantes, Green, Mauriac, par exemple, la tonalité générale de son œuvre, la préoccupation spirituelle  dans sa formulation, l’éloignent de notre époque encore bien plus surement que l’enracinement dans le présent ou passé proche peuplé de gens simples de Boylesve. On peut ajouter que l’ironie si présente dans l’œuvre de Boylesve pour n’être pas totalement absente de celle d’Estaunié n’en est pas, il s’en faut de beaucoup, un élément dominant.

Loin de vouloir nier le talent et les mérites de Gide, on peut affirmer qu’il n’y a pas dans son œuvre de livres comparables aux quatre chefs d’œuvre de Boylesve par exemple ou un ensemble comparable par sa solidité à celui d’Estaunié. C’est donc par d’autres aspects qu’il brille et demeure. Ce que je retiens de suite face au monde gidien, c’est le style. Un style qu’on ne retrouve peut-être pas uniformément dans toute l’œuvre mais qui en marque profondément une bonne partie. Un langage qui frise la préciosité sans jamais y verser, qui, au contraire, emporte rapidement l’adhésion du lecteur et le séduit. Si ce style ne suffit pas à expliquer la notoriété de Gide, il demeure assez rare, par sa réussite pour devenir à lui seul un centre d’intérêt. A l’inverse, quels que soient les mérites de l’écriture des quatre auteurs cités précédemment, on ne peut pas relever à leur endroit une telle particularité.

Gide qualifiait de soties ses récits romanesques marquant pas là qu’ils ne correspondaient pas à ses yeux à l’idéal du genre. On a assez dit que Dostoïevski aurait fait un seul roman de l’ensemble de ces œuvres, La Symphonie Pastorale, la Porte étroite, l’Immoraliste, Isabelle, … Encore une fois, rien là qui puisse être comparé aux « chefs d’œuvre » de Boylesve ou à la solidité de l’œuvre d’Estaunié dans laquelle on peut cependant discerner des longues nouvelles qui en approchent tel l’Infirme aux mains de lumière ou l’Ascension de Monsieur Baslèvre. Avec Les caves du Vatican on trouve chez Gide une sorte de long conte voltairien, marqué par la satyre et la dérision, oublions l’acte gratuit né d’un malentendu, Les Caves sont à mes yeux une des grandes œuvres satyriques françaises à la suite de celles de Voltaire ou d’Anatole France. Les Nourritures terrestres ont marqué des générations de jeunes. Je pense qu’aujourd’hui elles appartiennent ou elles constituent l’essentiel de ce qui a vieilli dans l’œuvre gidienne. Elles ne sont plus un texte qui en assure la survie. Les Faux-monnayeurs, la seule œuvre de Gide a être qualifiée de roman, est un ouvrage original qui allie intérêt et forme. On peut le considérer comme une de ces œuvres fortes qui font date tout comme le Journal, un autre chef d’œuvre, à eux seuls ces œuvres ne justifient nullement cependant la place que Gide occupe au Panthéon littéraire. Il faut peut-être explorer le « marginal ». Paludes par exemple, ou l’original, Ainsi-soit-il ou les jeux sont faits. Deux textes qui semblent n’avoir rien de commun, qui marquent à près de soixante ans de distance et qui occupent encore aujourd’hui une place importante dans l’œuvre. Restent d’autres textes, les critiques, pertinentes, la correspondance, importante, une des plus importantes de la littérature mondiale tant par le volume que par sa qualité intrinsèque ou celle des correspondants célèbres ou non, les Voyages, Afrique, U.R.S.S. et témoignages, Cours d’assise et diverses affaires. Nous sommes là en présence d’un ensemble qui nous rapproche de la solution. L’importance de Gide ne réside pas dans l’œuvre ou pas seulement. Elle est rehaussée par le rôle de l’homme, homme public, homme privé – les deux se confondent souvent -, la correspondance particulièrement, témoigne du règne de Gide sur les lettres de son époque, la revue, la Nouvelle Revue Française, étant un des instruments de ce règne, mais un instrument, pas plus. Gide touche, d’une autre façon que Voltaire, plus encore que France, à une sorte d’universalisme aujourd’hui inconnu des lettres françaises, peut-être même devenu impossible parce qu’il serait fatalement entaché de spectacle, ce qui n’était pas le cas à l’époque de Gide. Ce qui fait la durée de Gide, c'est l'ensemble de l'œuvre dans sa diversité, représentative de l'homme, contribuant à asseoir sa renommée par ailleurs fermement pensée. Gide aura été le contemporain de dix générations. Aujourd'hui encore il est un des écrivains dans lequel on peut trouver le plus. J'entends souvent parler d'erreur à son sujet - l'engagement pour l'URSS -, c'est voir les choses par le mauvais bout de la lorgnette. Ce qui compte, c'est que l'engagement - je vais voir là où me porte ma générosité et ma curiosité, j'explore le chemin de l'autre -, ait été suivi, rapidement, d'un dégagement *1. Littérature avant tout, mais pas en exception du reste. Boylesve écrivait dans ses carnets que l'art pour l'art était une notion stupide, car derrière l'art, il y a forcément la vie. Aucune œuvre ne le démontre autant que celle de Gide.

Les thèmes gidiens sont aujourd’hui soit des thèmes passés dans les mœurs, liberté par exemple, soit des thèmes au cœur de nos préoccupations, homosexualité pas encore vraiment totalement acceptée, dignité des africains, ou entrés dans un oubli qui pèse sur nos sociétés : combat social. Gide souvent perçu comme un auteur de l’art pour l’art, est en réalité un auteur universel qui donnait seulement la préséance à l’art. Cette universalité de l’auteur est reflétée par la forme dans l’œuvre. C’est elle qui place Gide si haut, qui assure la durée de son règne malgré la parenthèse du Nouveau Roman, école qui l’a assez généralement méprisé, morte de sa propre stérilité. Une universalité marquée de mesure, d’art, d’effort de re-connaissance de l’autre. Ni Balzac, ni Flaubert, ni Zola, n’atteignent à cette universalité, qu’on ne retrouve que chez Voltaire ou Anatole France *2, réduite pour ce dernier par un tempérament dolent. Gide a non seulement tenu un rôle unique mais il a construit son personnage en rapport, soigné son image, dosé son œuvre, s’est doté de l’outil complémentaire indispensable – la revue – et entouré d’un groupe de proches étoffé ou renouvelé au cours du temps. Rien ou peu de choses semblent avoir été laissées au hasard dans cette élaboration d’un personnage derrière l’œuvre qui l’a dominé, sans que l’on en ait toujours conscience, de toute sa stature, qui en est le pôle et le centre, de qui tout rayonne. Des quatre auteurs cités en début de page seul peut-être Barrès a suivi un chemin approchant mais pour lui, la littérature n’était qu’un outil et cela a vidé la démarche de tout sens. Les trois autres, Boylesve, Bourget et Estaunié, s’effacent derrière leur œuvre. Boylesve s’y dépeint si discrètement que seuls les passionnés peuvent y retrouver sa trace, Bourget s’efface derrière ses engagements ou n’est que romancier, et Estaunié, pas auteur engagé mais auteur à thèse(s), se fait si discret qu’on ne le reconnaît vraiment que par ses thèses.

Pour conclure, je pense que Gide est un auteur, un personnage, un héros de la littérature par sa dimension intra et extra, d’une telle rareté qu’on ne peut en compter en France, pour ne citer que la période « moderne » - nos classiques, que deux autres cités précédemment. Ni Proust, ni le lamentable Céline, ni le pauvre Sartre, n’approchent de cette stature. L’un est enfermé dans un monument posé une fois pour toute, planté au milieu de notre littérature comme l’obélisque sur la place de la Concorde, l’autre a sombré dans l’ignoble et le galimatias et n’est cité ici que parce qu’une très large coterie d’auteurs approximatifs en font un Dieu, quant à Sartre comme Bourget il ne devrait pas survivre à ses engagements, pire à ses erreurs et à ses vilénies, l’un comme l’autre pouvant être considérés comme les représentations caricaturales d’une certaine classe intellectuelle de leur époque, classes qui auront eu en commun un sectarisme basé sur des croyances quasi messianiques, que justement Gide rejettera l’une après l’autre étant par là très proche de nous.

Notons enfin que par la primauté de l’art, du littéraire, Gide a presque réussi là où Estaunié échoue : donner une dimension spirituelle, laïque, à un monde sans Dieu.

*1) C'est également vrai d'Anatole France, assez stupidement taxé d'errements pour son engagement - de courte durée - pour la révolution soviétique. Il a été un des premiers à se détourner de l'URSS, c'est ce que je retiens et cela s'appelle de la clairvoyance au-dessus d'espoirs légitimes. N'oublions pas que la révolution soviétique intervient à un moment où le monde a besoin d'espoir et se démarque de la grande boucherie occidentale qui en provoquera une seconde et qui sera même en partie responsable de l'URSS, de ses errements et de la faillite de l'idéal socialiste.

*2) On me reprochera peut-être d'avoir omis Chateaubriand, Lamartine et surtout Hugo. Mais aucun des trois n'a, me semble-t-il, même Hugo que l'exil a éloigné, joué un rôle identique à celui de Gide.