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RENE BOYLESVE au travers divers textes
RENE BOYLESVE ou PAGE D'ACCUEIL
Remerciements pour le travail remarquable de la Bibliothèque Nationale sur le site de laquelle certains de ces textes ont été récupérés (ceux qui, publiés dans des journaux, n'ont jamais été repris en volumes). Il faut dire l'outil exceptionnel qui ne cesse de s'améliorer et de s'enrichir, que nous donne cette mise à disposition en ligne de notre patrimoine. Souhaitons qu'il demeure indépendant et ne soit pas gâché par la fièvre financière qui tient nos gouvernants tarés qui bradent tout le domaine public aux intérêts privés, nuisibles, cupides, malhonnêtes et destructeurs.
Charles Maurras : Article du 16 janvier 1926, après la mort de René Boylesve, dans l'Action Française. (Source B.N.)
C'est avec un vif serrement de cœur que nous voyons descendre et s'éloigner notre vieux camarade René Boylesve, poète, romancier, conteur, moraliste même, mais un moraliste partagé entre l'étude des mœurs, dans leur liberté pure et ce goût de la mesure et de la beauté qui contient un principe de réforme et de perfection.
Il ne faudrait pas juger du fond de René Boylesve par sa collection d'esquisses légères. Ce qu'il y avait d'excès dans son indulgence était néanmoins tempéré et retenu par des vertus intellectuelles qu'il tenait de la race et du sol. Il avait ce qui avait manqué de tout temps à Catulle Mendès par exemple. En un temps différent, sous la règle d'un esprit public et d'une morale publique mieux définis; cet art délicat se fut corrigé et retenu de lui-même.
L'homme était droit et fier, quelque mollesse qu'il lui ait plu d'affecter parfois. Je n'oublierai jamais, comment, à nos jeunes débuts, après six mois de collaboration à la COCARDE de Barrès, quand nous eûmes tous décidés de ne rien laisser de nôtre à ce journal retombé au ruisseau, René Boylesve retira stoïquement son roman en cours de publication sans le moindre espoir de le donner nulle part ailleurs. C'était son premier roman. C'était Le Médecin des Dames de Méans[1] qui fit tant augurer de toute sa carrière ! A la carrière, au succès, il avait préféré l'honneur, avec l'amitié Barrès et de ses amis. Je ne crois pas que pareille leçon ait été donnée très souvent.
Tel il était, tel il restait. Des livres faciles et trop doux, un art très surveillé, une morale qui l'était trop peu ne changèrent rien au secret de Boylesve. N'envoyait-il pas à Daudet, l'autre mois, une lettre d'homme de cœur à la honteuse issue du procès Bajot[2] ? Voici qui paraîtra moins croyable : au lendemain de mon avis à Schrameck[3] j'eus l'heureuse surprise de recevoir quelques lignes de René Boylesve. Mon cher ami, disait en substance ce billet que je retrouverai sûrement, je n'ai pas eu plus de plaisir à lire votre lettre que vous n'en avez eu sans doute à l'écrire ... Cet épicurien concluait avec fermeté que néanmoins, il le fallait, et que ce qu'il faut faire doit être fait. Peu de signes d'amitié m'auront plus ému que ce cri spontané d'une intelligence si différente et, en apparence, si éloignée de l'esprit civique. Mais Boylesve aimait l'ordre, c'était la clé de bien des choses, peut-être même de ses invites amicales, qui me décidèrent il y a quatre ans, à tenter le siège académique dévolu à notre Célestin Jonnart national.
Voilà donc qu'au bout de vingt ans, René Boylesve aura rejoint son grand aîné, son camarade de tous les instants, Hugues Rebell, dont j'imagine qu'il n'oublia jamais les principes, les goûts, les idées. N'avaient-ils pas élaboré entre eux une espèce de Code des hautes convenances esthétiques et philosophiques ? Leur nom sera uni, je crois, ou plutôt je l'espère. Il ne faut pas manquer de les citer l'un et l'autre à l'origine du puissant mouvement de réaction générale qui a marqué la fin du dix-neuvième siècle et qui ne cesse pas de se motiver, de s'étendre, de s'approfondir. Les erreurs du passé révolutionnaire et romantique purent les enchaîner encore sur bien des points. Mais l'énergie de leur mouvement, la sincérité de leur effort vers la délivrance ne peut manquer de leur être compté aussi.
[1] Coquille ou erreur de Maurras, il s'agit bien entendu de Néans et non de Méans.
[2] Chauffeur de taxi dans la voiture duquel se serait suicidé le fils de Léon Daudet, Philippe Daudet qui a, en réalité, certainement été assassiné par la police.
[3] Schrameck était un homme politique de la troisième république. Nommé ministre de l'Intérieur, il fut l'objet d'une campagne antisémite de l'Action Française qui ne voulait pas qu'un "Juif", dirigea les prisons où étaient enfermés des "Français".
Les Quarante-cinq (Le Gaulois, 15 janvier 1926) (Source B.N.)
LA VIE QUI PASSE
RENE BOYLESVE
Après André Beaunier, parti trop tôt, l'impitoyable faucheuse vient de frapper avant l'heure René Boylesve. Dimanche, l'écrivain avait dû subir une grave opération qu'une occlusion intestinale avait rendue nécessaire. L'intervention chirurgicale s'était effectuée dans des conditions qui semblaient plutôt satisfaisantes, mais devant l'état fiévreux du malade les médecins avaient réservé leur diagnostic. Hier, vers la fin de l'après-midi, le coup de téléphone d'un ami navré nous apprenait que René Boylesve avait rendu le dernier soupir.
Cette douloureuse nouvelle affectera tous ceux qui chérissaient le beau talent, si délicatement nuancé, du romancier ; elle affligera sincèrement quiconque a pu apprécier le charme, la discrétion de cœur et d'esprit de ce Français si fin et si courtois.
Il était né le 14 avril 1867, dans une petite ville calme, souriante et blanche d'Indre-et-Loire, qui met sa fierté à rappeler ses liens avec un de nos plus authentiques grands hommes : La Haye-Descartes. Par sa personne comme par ses écrits, René Boylesve était très représentatif de cette Touraine dont il avait compris l'âme. Un sentiment parfait de la mesure, la crainte de l'emphase, l'horreur de la boursouflure, un désir très précis de logique et de clarté, le goût de la psychologie - un penchant marqué pour le romanesque allié avec un reste de paganisme sensuel et amusé - tous ces traits qu'on observe chez le Français des bords de la Loire, on les retrouvait dans la personne et le caractère d'un René Boylesve et on les retrouvera dans son œuvre.
Celle-ci a l'harmonie, les reliefs peu accentués, les demi-teintes sobres et subtiles à la fois des paysages que l'écrivain avait aimés en son enfance.
Il avait fait de bonnes études au collège des Jésuites à Poitiers, puis au Lycée de Tours ; il avait fréquenté les cours de lettres et de droit des Facultés parisiennes ; il avait passé par l'école des sciences politiques. Mais dans son for intérieur il n'avait jamais pensé qu'il pût exercer une autre profession que celle d'homme de lettres, et il n'était encore qu'un enfant que déjà il se sentait romancier, invinciblement romancier.
* * *
IL avait depuis bien des années noirci d'innombrables feuilles de papier lorsqu'il publia son premier livre. Il avait patiemment attendu la vingt-neuvième année pour débuter vraiment : Le Médecin des Dames de Néans parut en 1896 ; et dès l'année suivante virent le jour deux charmants ouvrages qui attirèrent sur lui l'attention : Les Bains de Bade et Sainte-Marie des Fleurs, qui est dédicacé à Maurice Barrès.
Le Parfum des îles Borromées est de 1898 : le succès fut vif et révéla à la foule des lecteurs le nom de Boylesve (qui n'était d'ailleurs qu'un pseudonyme). Le public, les directeurs de journaux et de revues et les éditeurs demandèrent à qui mieux mieux à Boylesve : "Donnez-nous un autre Parfum !" Mais l'écrivain mettait à ce moment tout son effort à faire des peintures fines, minutieuses, véridiques de la vie provinciale. Ce furent : Mlle Cloque, qui est de 1899, La Becquée, qui est de 1901 ; L'Enfant à la balustrade, qui est 1904. Ces trois livres classèrent leur auteur et le mirent au rang où il est resté depuis. Les conditions de la vie littéraire étaient fort différentes de ce qu'elles sont aujourd'hui. Les romanciers ne connaissaient pas les "tirages" auxquels les a accoutumé le public d'après guerre. Mais les réputations étaient peut-être plus solidement établies parce qu'elles l'étaient par une élite. Celle de Boylesve fut fortifiée par des romans comme Le Bel Avenir, Mon Amour, La Jeune fille bien élevée, Madeleine jeune femme, etc. Entre temps, en 1902, il s'était donné récréation en écrivant un livre un peu libre, dont le titre fait penser à quelque galante image du dix-huitième siècle : La Leçon d'amour dans un parc. Les audaces du sujet et du texte se font accepter par beaucoup de grâce et de bonne grâce et un tour élégant donné à la fantaisie. On sait que récemment l'écrivain a donné une suite et une conclusion à cet aimable ouvrage.
René Boylesve était entré sans peine à l'Académie française, dont il avait été l'un des membres les plus jeunes. Depuis la triple élection de M. le duc de La Force, M. Louis Bertrand, M. Paul Valéry, les Immortels étaient quarante. L'illustre compagnie ne sera restée que bien peu de semaines au complet.
Abel Bonnard - Le Journal des Débats Politiques et Littéraires - 16 janvier 2011 (Source B.N.)
RENÉ
BOYLESVE
Dans cette
soirée froide
et noire,
je ne
pourrais rien
écrire d'étranger
à !a
peine dont
je suis
empli. René
Boylesve est
mort. Mais
il ne
suffit pas
de se
répéter l'horrible
nouvelle pour
l'admettre et
pour la
savoir. On
n'apprend pas
en une
fois la
mort des
êtres qu'on
aime. Au
moment où
j'écris ceci,
je revois
cette figure
maigre
et nerveuse
qui ressemblait
à celle
d'un gentilhomme
espagnol, ces
yeux presque
orientaux, cette
attitude un
peu en
retrait, où
l'on sentait à
la fois
l'homme sensible
qui se
préserve et
l'observateur qui
se sépare.
Il faudrait
avoir l'âme
plus tranquille
pour rendre
un juste
hommage à
l'œuvre de
Boylesve, à
ces romans
intenses et
délicats, si
vrais qu'on
ne voit
pas ce qui
pourrait y
vieillir. Certains
écrivains ont
tout un
groupe qui
invente et qui
impose leur
renommée. René
Boylesve
devait uniquement
au libre
suffrage de
l'élite sa
gloire sans
tapage, élégante
comme lui.
Ces qualités
françaises qu'on
nous vante
parfois non
sans rhétorique,
la sobriété,
le goût,
la raison,
il les
possédait.
Aucun des
auteurs
contemporains n'est
mieux dans
la suite
de toute
notre littérature.
Il avait
un sens très
profond des
conditions
nécessaires à
la dignité
de la
vie sociale,
mais sur
ce fonds
honnête et
solide, presque
bourgeois, se
déployait un
sentiment exquis
de l'amour,
de la
tendresse,
de la
volupté. Il aura
été de
ces rares
hommes qui
savent à
la fois
tout ce
que vaut
la vertu,
et tout
ce que
vaut ,le
plaisir, et
de là
viennent l'attrait
et le
charme de
son œuvre.
Son caractère
et son
talent se
tenaient, on
retrouvait en
délicatesse dans
ses sentiments
ce qui
était finesse
et subtilité
dans son
esprit. En
un temps
où l'on
se fait
une réputation
d'intelligence en
parlant à
tort et
à travers
de toute
chose, il
gardait un
bon sens
incorruptible. On
était d'autant
plus touché
de sa
générosité que
jamais elle
ne s'accompagnait
de la
moindre emphase
Au milieu
des petitesses
ordinaires, on
était sûr
de le
retrouver toujours
intact. Il était
de ces
quelques hommes
qui consolent
de tous
les autres,
et avec
qui l'on
oublie la
foule, parce
qu'on retrouve
en eux
l'humanité. Mais
il est affreux
de parler
ainsi au
passé, et
de bannir,
malgré soi,
dans un
autre monde,
l'ami qu'on
aurait
voulu, à
tout prix,
retenir dans
celui-ci.
Tous ces
imparfaits percent
le cœur
Mieux vaut
se taire.
Louis Thomas
- Vingt portraits - M. René
Boylesve pp 93-109 - Albert Messein 1911
" Parmi nos contemporains, j'en sais peu qui me satisfassent autant, et je n'en connais aucun qui me satisfasse davantage. " p 93
" M. Charles Guérin dans sa poésie lourde de toute la faiblesse humaine, M. Charles Maurras dans les parties vraiment réalistes de sa politique, M. René Boylesve dans ses études de moeurs provinciales, me semblent avoir eu ce don de faire juste et grand, qui est la marque des esprits solides. " pp 95-96
" ... la plupart des romans de M. Boylesve ne sont pas consacrés au récit d'une "histoire". Ce sont des chroniques, et non le développement d'une crise facilement poignante. Et remarquez que la plupart des mauvais romanciers ne conçoivent pas le roman sans anecdote, sans affabulation romanesque ou brutale. M. Boylesve, lui, est un observateur, et il nous donne le procès verbal de ses observations plutôt qu'un conte à dormir debout. Cette probité est un signe de force. C'est aussi un signe de vérité. Car - les amateurs de romans-feuilletons ne le savent pas, mais ceux qui ont souffert ne l'ignorent point - l'existence la plus tragique n'est souvent faite que de menus événements enchainés, qui semblent peu de choses au regard du vulgaire, et qui écrasent celui qui les subit. C'est pour cette raison de fait qu'il n'y a point de mélodrame dans les romans de M. Boylesve : il sait ce qui est, il ne veut dire que cela, et en fin de compte, dans les récits patients auxquels il nous habitue, l'ordre qu'il cherche est celui de la vie, du temps qui s'écoule, entraînant, amenant avec lui de petits faits qui retentissent diversement en nous. Et le naturel, ici, réside dans l'éloignement de tout procédé de théâtre, pour toute ficelle trop dramatique, procédés et ficelles qui plaisent tant au public de second ordre.
M. Boylesve rejoint ici la véritable tradition du roman. Car le propre du romancier, si l'on n'avait pas abusé du genre romanesque, serait d'être simple et de dire les choses telles qu'elles sont. " pp 97-99
" Les romans provinciaux de M. Boylesve, parmi lesquels la Becquée et la Jeune fille bien élevée se distinguent par une plus vaste ampleur, constituent un tableau véridique, exact et ferme, d'une part notable de notre société française dans la dernière moitié du XIXe siècle. C'est là ce qui fait leur importance ; c'est ce qui me pousse à dire qu'ils dureront, qu'on les étudiera plus tard comme des témoins toujours vivants d'une époque assez difficile à comprendre, et que dès aujourd'hui il nous les faut soigneusement distinguer des autres volumes qu'on nous donne aujourd'hui sous le nom de "romans" ". pp101-103
Francis Vincent - Ames d'aujourd'hui - Essai sur la pensée religieuse dans la littérature contemporaine - René Boylesve pp 213-227 - Gabriel Beauchesne éditeur - 1923
René Boylesve figure juste avant l'article consacré à Anatole France dans ce livre à préoccupations religieuses.
" Parmi les jeunes écrivains de la même génération que Bordeaux, c'est René Boylesve, son "plus cher ami", son camarade du café Vachette, qui paraît tenir au plus près à M. Bourget par le goût qu'il a de fouiller les âmes jusqu'au plus extrêmes limites du conscient. Avec plus d'heureuse fluidité dans la phrase, avec cette exquise vénusté tourangelle qu'il tient de son harmonieuse province. Boylesve aime à se jouer dans le réseau des complications sentimentales où s'engagent volontiers ses héros. Comme Bourget, il aime à se pencher sur leurs âmes anxieuses, sur celles que travaillent de hautes préoccupations morales, sur celles qu'une délicatesse inquiète destine aux pathétiques aventures passionnelles. " p213
" Boylesve connaît les infinies ressources d'art que recèlent les âmes en qui la vie morale n'a pas fléchi. C'est à cette sorte d'âme qu'il s'intéresse exclusivement depuis des années déjà, évitant néanmoins de les choisir irréelles à force d'émotivité maladive, comme le fit parfois Bourget? Il oriente ainsi délibérément son observation sur les vieilles familles provinciales où subsistent, plus nombreux qu'ailleurs, de ces types humains vénérables, en qui des siècles de de vertu bourgeoise s'épanouissent et donnent leur fruit. Il n'eut pas toujours cette sagesse avisée. Il y eut pour lui, comme pour tant d'autres, des années où sa plume s'abaissa à des exercices indignes de son talent, où il écrivit des contes légers et même licencieux qui n'auront qu'un destin éphémère parce que, si le métier en est joli, la substance est en vaine. " pp214-215
L'auteur croit discerner dans Madeleine jeune femme une évolution de Boylesve vers des valeurs chrétiennes. Après la parution de son article, Boylesve lui adressa une lettre dans laquelle il écrit entre autres : " Je marche, aujourd'hui comme il y a vingt ans, entre un ange et un démon ! Et je ne suis pas très sûr que l'un ait fait de notables progrès sur l'autre. " " A aucun moment je n'ai pensé : "je suis païen" ni : "je suis chrétien ", mais toujours : " Je ne suis qu'un artisan de la langue française et je tâche de peindre le monde comme il m'apparaît ; ne reconnaissant de maître que le commandement moral qui m'ordonne de ne pas altérer les formes de mon modèle". Je crois que toute la force d'une œuvre littéraire provient de son degré de véracité."
Edmond Jaloux - Les saisons littéraires 1904-1914 - René Boylesve - pp 252-259 - Librairie Plon - 1950
" La postérité est aussi ingrate pour René Boylesve que ses contemporains. Alors qu'elle fait un cas extraordinaire d'écrivains qui ne le valent pas ..." p 252
" A mes yeux, rien dans son œuvre ne passe Mon amour, confession de la plus fine pureté morale et d'une admirable subtilité psychologique. " p 253 Notons que l'anecdote que rapporte ensuite Edmond Jaloux, s'applique non à Mon amour, mais aux Bonnets de dentelles que Boylesve réécrivit après le jugement sévère de Louis Ganderax qui a quand même joué un rôle, mais différent, dans la publication de Mon amour.
" Mais quel chef-d'œuvre que La becquée, quelle page digne de Balzac que la mort de cette tante Planté qui, après avoir sans repos fait valoir son domaine pour nourrir et aider une famille d'épaves ou de "dévoyés", regrette, à l'heure fatale, de n'avoir pas, une fois encore, "l'œil à ses vendanges" !"
" Après la mort de René Boylesve, ses héritiers publièrent quelques pages intimes : fragments psychologiques, extraits de journal, pensées, paysages. Ceux qui ont connu l'auteur l'y retrouvent tout entier, avec sa délicatesse effarouchée, sa gravité, son sentiment, si français, que la vie est, au fond, chose tragique, et surtout sa pudeur. Boylesve était de ceux dont le fabuliste a dit :
Les délicats sont malheureux :
Rien ne saurait les satisfaire. " pp 255-256
" Tout le faisait souffrir. Né pour l'harmonie, la moindre discorde entre les événements ou les êtres le torturait. Cependant il semblait heureux. " p 256
" Bref, cet homme qui semblait comblé par le sort ne semblait nullement heureux. " p 257
" Henri Ghéon avait beau écrire de lui qu'il était le meilleur romancier de son temps, trop peu de gens le pensaient avec lui. ... Oui, Boylesve était le meilleur romancier de cette fin du XIXème siècle ... On ne se souciait guère de lui. " p 257
" Boylesve était un de ces hommes dont la présence et l'affection sont un bienfait véritable pour tous ceux qui l'approchent, un de ceux auxquels on pense chaque jour sans réussir à admettre qu'ils aient pu nous quitter ..." p259
Jacques Boulenger - ... Mais l'art est difficile ! Troisième série - Le dangereux jeune homme, Elise - pp 146-154 - Plon-Nourrit et Cie - 1922
" ... car ce n'est pas la passion à l'état pur qu'il isole et étudie, comme un Racine ou un Benjamin Constant, la passion qui ne rencontre d'autres obstacles que ceux du coeur, mais la passion gênée à l'occasion par mille considérations inférieures, par les nécessités de la vie sociale. Et du même qu'il demeure le romancier des moeurs dans ses romans d'amour, de même il reste "psychologue", je veux dire préoccupé avant tout de l'âme, jusque dans ses tableaux de moeurs. Cela donne à son réalisme une couleur particulière. " pp 146-147
"... il est romancier avant d'être conteur et c'est la vérité des personnages et des traits qui l'intéresse, beaucoup plus que les situations ou même le pittoresque. " p 148
Elise : " Cela est conté comme M. Boylesve sait faire, par l'énumération de mille petits traits, tous vraisemblables, qui prennent leur plein sens d'être réunis, et par lesquels le récit avance presque insensiblement et sans qu'on s'en aperçoive, pour ainsi dire, enfin qui finissent par créer fortement les personnages et l'action en nous. " p 153
" L'auteur d'Elise est aussi celui de Mon Amour et du Meilleur ami qui sont, je crois, les plus touchantes monographies de passions qu'on ait écrites depuis Dominique et Volupté. " p 153 (oeuvres de Benjamin Constant et Sainte Beuve)
Henri Massis - Au long d'une vie - Les jeunes gens d'Agathon, Entretien avec René Boylesve - pp 50-62 - Plon - 1967
Massis rencontre René Boylesve à la suite des réactions -privées - de ce dernier à une enquête "Agathon" sur la jeunesse française.
" Nul, au fond n'était plus passionné, ne tenait plus fermement à ses idées que cet homme aux dehors si calmes, si courtois, et qui n'a peut-être jamais contredit expressément un interlocuteur. Il ne lui arrivait guère de se départir de sa retenue ; il se contentait de souffrir de ce qui l'offensait, et l'on voyait dans son regard brillant, une sorte d'arrière-fond douloureux, où se découvrait une véritable solitude. " p 51
Massis rapporte un propos de Boylesve : " Voyez-vous, reprit-il, rien ne m'a plus épouvanté que l'inconscience. Des gens qui vivent sans penser aucunement leur vie, mais le monde en regorge, et cela me semble un grand sujet de tristesse, bien que ce soit cela précisément que fournit à l'homme qui pense le sujet même de la comédie humaine. " p 54 et il commente : " Cette part-là, c'était la sienne, à lui Boylesve, celle qu'il enfermait dans ses romans avec ses mépris, ses aspirations, ses dépits et ses rages, en la protégeant d'ironie, de cette ironie qu'il craignait de nous voir exclure. " p 54
" l'ironie, voyez-vous, c'est la fleur de l'esprit qui médite sur les choses, sur la vie, et qui justement les compare à ce qu'elle pourraient ou devraient être, et par là signale l'écart entre un certain idéal et la réalité... Il y a une moralité inséparable de l'esprit satyrique ; et c'est la moralité souvent la plus efficace, en tout cas la plus élégante ; si elle se dissimule, ce n'est pas par lâcheté, c'est par un certain goût, c'est par un certain tact... Croyez-moi : l'ironie est la fleur la plus fine de la littérature et de la société française ..." p 56