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  Gian Dauli 

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 Gian Dauli : (1884-1945)

En écrivant cette notice, je pense à ce que m'a dit aujourd'hui, un ami italien : "En France, on méprise la littérature italienne". Je crains qu'il ait raison. Je ne peux m'expliquer l'ignorance d'un écrivain tel que Dauli. Deux de ses livres seulement ont été traduits en français et je crois qu'il y a bien là, s'agissant d'un écrivain majeur, un "oubli" témoignant d'une certaine légèreté pour ne pas dire plus, vis-à-vis de la littérature italienne. Chez Gallimard par exemple, maison de référence de l'édition française, quels italiens "contemporains" - c'est à dire du vingtième siècle - figurent dans la célèbre Pléiade ? Ni Svevo, ni Malaparte ! Ces deux là comptent pourtant parmi les plus grands écrivains du vingtième siècle, ils ont leur place dans cette collection où ne figure que Pirandello.

Gian Dauli (Giuseppe Ugo Nalato) est né le 9 décembre 1884 à Vicence. A dix-huit ans, il sort de l'Institut Naval de Venise, officier de la marine marchande. Il travaille dans une revue puis s'embarque et échoue à Liverpool. A Londres, il fait la connaissance de quelques grandes figures de la littérature anglaise avant de sombrer dans la misère. Il entre dans l'Armée du salut avant de rentrer en Italie en 1910. Il fonde une revue, écrit un roman qu'il publiera plus tard. En mai 1915, il s'engage, capitaine des chasseurs alpins, plusieurs fois blessé, décoré, cité, il termine la guerre invalide. Il publie son premier roman qui est un succès, puis Soldats qui raconte son expérience de la guerre et qui sera republié sous le titre de Le don du cœur. Il publie La Roue en 1933, c'est un grand succès en Italie et en Europe. Il continue à publier en particulier deux romans, Ricostruire la Vita et Cabala Bianca qui forment avec La Roue la trilogie que l'auteur voulait regroupé sous le titre La Selva Abbattuta. Gian Dauli meurt à Milan le 29 décembre 1945. Seul un autre roman, Magie blanche, a été traduit en français et publié aux Editions Desjonquères en 1985

Gian Dauli, écrivain et éditeur, peut-être considéré comme un précurseur du néo-réalisme italien qui nous donna, au cinéma, de nombreux chefs-d'œuvre dans la ligne du Voleur de bicyclettes, des Vitelloni, de Rocco et ses frères, la Strada, la Dolce vita  ....

La Roue (Stock, Le Club français du livre - 1961) :

Ce roman est constitué par les mémoires d'un homme qui vit la déchéance de sa famille. Il nous emmène d'une enfance au milieu d'une famille désunie autour d'un père qui dilapide et d'une mère dont la légèreté répond à celle du père, à une fin qui semble rapidement inéluctable. La Roue, "la roue tourne", c'est la vie qui passe, les figures qui disparaissent, la chance qui ne revient pas. Cette fresque aux arrières plans sociaux et, littérairement, marquée par un ton d'une certaine neutralité qui met une distance entre l'auteur et le lecteur et qui fait du récit quelque chose d'exemplaire, nous emporte au travers des bouleversements d'un pays. Rien ne détournera l'auteur de son destin marqué par une fille séduite, abandonnée puis retrouvée. La force des préjugés aura raison de la raison qui commanderait une petite vie rangée, elle cause la chute qui est un des destins d'une famille éparpillée dont la seule réussite est le fait d'un bâtard, le Préfet. Mais cette histoire de la déchéance d'une famille, de l'apprentissage de la vie - manquée - de la lâcheté et de la sottise, nous prend par la proximité qui s'établit avec lui au cours du récit. On voudrait que ce malchanceux, né dans une famille épouvantable, s'en sorte, trouve et prenne sa chance. La force du récit est dans un réalisme à la fois dépouillé et luxuriant. On n'y parle qu'argent et sexe mais sans glorification, sans complaisance, un sexe triste, d'habitudes et de besoin, un argent utile, au service de petits vices quotidiens qui orientent et abîment une vie. C'est un grand roman dont la traduction par Marie Canavaggia doit bien être fidèle au texte italien pour rendre ce ton unique et original que nous retrouvons dans son texte.

Quand je lis les romans d'un de ces auteurs qui ont l'air de se faire prendre aujourd'hui tellement au sérieux, je me demande : " Mais qu' a-t-il fait, celui-là, au lieu de vivre?" Si vous en prenez un, de ces romans, et que vous le pressiez bien à fond pour en faire sortir le suc, vous ne tirez qu'une petite eau bien fade. C'est sans doute parce que ces auteurs sont de grands écrivains et de grands artistes et qu'ils marchent le nez en l'air, dédaigneux de ce pauvre monde petit. vulgaire et peuple qui les entoure. Les gens cependant, prennent la peine de les lire et ils finissent par croire que l'art est. non seulement quelque chose de très difficile, de très élevé, de très éloigné de la vie telle qu'elle est vécue, mais que c'est aussi quelque chose de bien ennuyeux. " p 70

"Mais au fond, en effet, quelle importance ? Avec ce qui est à vous, on peut faire ce qu'on veut ... surtout si ça vous fait plaisir ..." pense le narrateur, jeune, en évoquant les amours de l'oncle. C'est le roman terrible d'une société sans valeurs, le personnage le plus moral de cette première partie serait presque cet oncle jouisseur et "sage" qui saute sur toutes les femmes. Ce constat pourrait être la maxime du narrateur qui, en deux cents pages, nous donne le récit de sa jeunesse et de son enfance dans une famille décomposée dans laquelle on ne connaît que la recherche de l'argent et des petits plaisirs.

" On dit toujours que les femmes n'ont pas de tête et c'est. au contraire. à cause de leur maudite tête justement, avec ses yeux, sa bouche, l'ovale du visage, les cheveux, que la plupart se perdent, parce que la sympathie, malheureusement, commence en haut pour finir en bas, alors que, si elle faisait le chemin en sens inverse, bien des désillusions et des chagrins nous seraient épargnés. " p 156   " Les petits devraient éprouver de la vénération pour les grands mais, en vérité, les grands inspirent aux petits de la crainte et rien d'autre. " p 157 " Non, les enfants n'ont aucune idée de la valeur des êtres et des choses qui les entourent, aucune idée du bien ni du mal, de la religion ni de la morale. Peut-être ont-ils uniquement un sens inné de la justice et les grandes personnes devraient avoir soin d'être, par-dessus tout, " justes " avec les enfants. " p  158  " C'est pour ça que " Dieu voit et pourvoit ", c'est un mensonge ; et bien vrai au contraire ce que disait Lorenzo Stechetti, le poète le plus en vogue aux temps dont je parle : (Un orgue de Barbarie joue bien tristement ... Ma fenêtre est ouverte et le soir descend ... ), souvent quand vous avez des dents vous n'avez pas de pain et quand vous n'avez plus de dents le pain abonde. " p 159 " C'est entendu que la morale est une invention des hommes, il n'y a qu'à regarder autour de soi pour s'en convaincre. La nature est beaucoup plus simple, beaucoup plus directe, franche, saine ... N'empêche que la morale n'en existe pas moins et l'homme, même s'il fait les trente-six mille coups, ne peut s'empêcher après de revenir en arrière, de ruminer... Ruminer sa conduite, voilà le malheur de l'homme. Tout d'abord, ce que vous avez fait vous semble la chose la plus naturelle du monde et vous croyez qu'à votre place, tout un chacun aurait fait comme vous, et puis vous y revenez et arrivent les scrupules, les doutes : vous commencez à vous dire que vous n'auriez pas dû ... ne devez pas ... que c'est mal. Votre humeur se gâte et vous vous tourmentez et tourmentez les autres. " p 262 " Mais à quoi est ce donc que ça rime, la jalousie ? Ce cruel instinct de brute qui ne veut pas vous laisser supporter l'idée qu'un autre possède la femme qui a été à vous ? "  p 383 Retenir ce paragraphe qui décrit une vie (page 426) : " Concevoir un enfant ? Qu'est-ce que c'est ? Rien ! Une chose si humaine, si facile : un baiser sur la bouche, le cœur qui bat à grands coups, le souffle qui manque, les yeux qui se voilent ... Une étreinte, un sursaut, un frisson ... et une nouvelle vie a été allumée qui allumera de nouvelles vies, une après l'autre, dans le temps ... " Et ce constat, dont on ne sait pas s'il est sinistre ou optimiste et qui, donné dans les dernières pages, assorti d'un exemple banal, pourrait servir de conclusion ou de morale au roman : " Il y a de la joie au fond de toutes les habitudes et l'homme finit par aimer jusqu'à ses malheurs. Ma tante pleurnichait chaque fois qu'elle avait l'occasion de se réjouir et, une fois qu'elle avait gagné à la loterie, la voilà en proie à une crise de larmes et elle se prit à dire entre deux sanglots : « Il aurait mieux valu que je perde cent lires dans la rue. La joie me brise le cœur »"  p 429

 

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