ANDRE GIDE

1869 - 1951

 

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ANATOLE FRANCE et ANDRE GIDE (10 juin 2004)

Petite biographie irrévérencieuse

André Gide a-t-il fait autre chose que se peindre ? Comme tous les écrivains attachant il n'a presque jamais rien écrit qui ne fut autobiographique. Alors, pour quelles raisons a-t-on à sa fréquentation l'impression d'autre chose ? Si l'on y réfléchit bien l'oeuvre serait décevante par rapport à la personne sans ce quelque chose d'insaisissable qui semble lui donner sa valeur. D'abord, le personnage central est lui aussi insaisissable, sa volonté de disponibilité constamment affichée et revendiquée aboutit tout naturellement à cette légende de l'homme aux mille visages, Protée. Le style chez Gide est une indication forte, celle de la priorité artistique. On n'a pas seulement affaire à un écrivain mais à un artiste. Il est un des rares auteurs à avoir donné sans pédanterie une tournure, légèrement précieuse, à sa phrase. A aucun moment elle ne gêne bien au contraire, on suit avec plaisir ses méandres, ses sinuosités agréables, ses beautés voilées. La phrase gidienne est une déclaration permanente, un manifeste comme auraient dits ceux qui ont besoin d'afficher leurs principes à défaut de les illustrer suffisamment. Il y a là une valeur esthétique au-delà du contenu. Chez Gide, l'oeuvre ne décrit pas, l'homme est ses aspects, elle en est constitutive. Gide, écrivain, penseur de sa littérature et de la littérature, l'oeuvre élabore lentement une figure, celle de son auteur, jusqu'à ce texte final : Ainsi soit-il.

Biographique, l'oeuvre gidienne offre plus qu'aucune autre peut-être un échantillon de possibles, souvent regardés avec ironie, c'est que l'auteur ne fait que les parcourir, il joue, il jongle avec et les suit dans leurs méandres, dont les mouvements tendent à rendre la complexité, Dostoïevski est passé par là et l'on sait combien Gide y fut sensible. Bien évidemment se cache au coeur de l'oeuvre, l'homme, mais pourquoi se cache ? Gide ne se cache pas, il se révèle avec adresse, souvent avec une certaine imprudence, avec soin de rester universel, peut-être un autre auteur l'a-t-il sur ce point éclairé : Stendhal. Des cahiers aux Faux-Monnayeurs, en passant par la Porte étroite ou la Symphonie pastorale, Gide nous dit ce qu'il est, ce qu'il n'est pas mais qu'il a côtoyé, ce à quoi il a échappé, dans un jeu d'éclairages et de bascule qui en son temps eut de quoi égarer bien des lecteurs, surtout dans les rangs des dévots convertisseurs au premier rang desquels le "marteau-pilon", Paul Claudel, un jeu qui égare d'autant plus que l'homme n'est pas mais qu'il se construit peut-être plus consciemment que le commun des mortels ou des écrivains.

Peut-être que les différentes facettes de l'oeuvre se répondent, se complètent, romans ou soties, théâtre, mais aussi feuillets, journal, mémoires, correspondances, et j'ajouterais presque : témoignages, qui ne sont que le reflet de ce qu'il a choisi de paraître, mais Gide n'est pas un philosophe, pas d'illustration simpliste comme plus tard chez Camus : un roman, un essai, la théorie, l'illustration.

Témoignages et correspondances, Gide est certainement depuis Voltaire et avec lui, l'écrivain dont la correspondance fait le mieux entrevoir le rôle majeur qu'il joue dans le panorama littéraire, il faudrait plus parler de philosophie pour Voltaire. La correspondance de Gide est énorme, je pense que ce serait un enjeu de taille pour la Pléiade d'éditer chronologiquement l'ensemble des correspondances croisées, sous le regard des journaux intimes, de celui qui fut le fondateur de la NRF et par elle des éditions Gallimard. Cette maison est-elle encore capable d'une telle réalisation, qui éclairerait singulièrement la vie littéraire de plus d'un demi siècle, la suite nous le dira mais j'en doute.

Le parti pris artistique est parfaitement illustré par le silence pesant sur deux évènements européens majeurs durant la vie de Gide : les deux guerres mondiales, ce silence qui n'est pas silence vis à vis des autres puisqu'en d'autres circonstances Gide nous montre assez qu'il est sensible à ce qui l'entoure. Justice, colonies, problèmes sociaux ... mais la fureur du dehors n'entre pas avec ses deux guerres, le nazisme, dans l'oeuvre gidienne. Peut-on l'en blâmer ? Je ne le pense pas, au contraire, il est bon que certains se placent ailleurs continuant à donner une autre image que celle des engagés y compris dans le meilleur des combats.

Né en 1942, j'ai découvert Gide à dix sept ans alors que j'arrêtais des études forts courtes. Je me souviens encore comme si je venais de le vivre de ce jour, de cette heure où je lus pour la première fois les Nourritures terrestres. Je devais déjà connaître l'Immoraliste pour lequel j'eus toujours une certaine tendresse de lecteur. Combien de pages ai-je lu avant que de me précipiter à ma fenêtre ? Je l'ouvre " toute grande ", j'ouvre également ma chemise, je laisse l'air et la chaleur me pénétrer ... et je reviens fébrilement à ma table pour écrire. Nathanaël, Ménalque ... Saisi par la ferveur gidienne c'est quand même la disponibilité que je retiens, elle me convient tellement. Peut-être suis-je heureux de trouver une confirmation de mon désir de liberté. Gide dès lors ne me quittera plus. Les caves, le plus voltairien des textes de Gide, le plus francien par la même occasion, me réjouira bien évidemment. Le journal deviendra un de ces quelques livres qui restent des mois sur votre table, que vous ouvrez tous les jours pour en lire quelques pages, visite à un ami. Je relirai dix fois Paludes, les Faux-Monnayeurs, plus tard, seront un autre plaisir ... J'étais de la dixième ou plus génération de lecteurs de Gide. Les pédants " objectifs " du prétentieux et vain Nouveau Roman, jouaient leur partition exsangue, ils étaient déjà morts.

Je ne prétends pas révéler quoi que ce soit concernant un auteur aussi connu et étudié que Gide, je veux simplement donner une idée de ce qu'il a pu représenter encore pour des lecteurs de ma génération. Cela est tellement vrai qu'il m'arrive souvent d'être surpris quand je pense à sa date de naissance : 1869. Certains parlèrent de purgatoire à son sujet après sa mort, certainement ils prenaient leurs désirs pour des réalités, Gide est toujours vivant pour de très nombreux lecteurs et certainement pas parmi les moins attentifs à la littérature.

    Concernant André Gide le site de référence : http://www.gidiana.net/

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