Accueil Boylesve France Cabanis Aymé Drieu la Rochelle  Green Rebell Gary  Sansal  Millet Bourget Istrati Estaunié Baillon Doff Jouhandeau Eluard Simenon Gide Cossery Fajardie Aragon Gaboriau Leblanc Codet Clermont Sartre Tillinac Littell Merle Leroux Fernandez Chardonne Sagan Malaparte  Kadaré Soros  Textes Fondamentaux  Ecrivains morts à la Guerre Chroniques  Lectures diverses  Littérature Américaine

AUTEURS : Les auteurs présents sur ce site

LES ŒUVRES : Leurs oeuvres

Dernières œuvres critiquées 

Joseph KESSEL

1898 - 1979

 Retour PAGE D'ACCUEIL

 

Ecrivain et homme d'action, Joseph Kessel fut d'abord et longtemps journaliste. ll n'est pas le seul écrivain de son époque à avoir goûté à l'action, mais on ne saurait dire s'il a été un écrivain séduit par l'action ou un aventurier séduit par la littérature. Considérons-le comme un écrivain et un homme d'aventures, les deux ne sont pas incompatibles.

D'origine juive et lithuanienne, son parcours le fera croiser parfois cet autre illustre écrivain d'origine semblable, lui aussi combattant des airs, Romain Gary, mais leurs vies et leur œuvres seront bien différentes de ton.

On trouvera aisément sur la Toile des éléments biographiques le concernant sans qu'il soit nécessaire que j'en fasse ici un résumé qui ne leur ajouterait rien.

 

 Le Tour du malheur

Le Tour du malheur est l'œuvre majeure de Joseph Kessel. Il n'y renie pas l'aventure, elle est dans une autre dimension, dans le quotidien de nos vies, elle naît de nos ambitions, elle se confronte à nos morales et se plante sur le socle de notre éducation ou de son absence et de nos familles. Dans la courte préface du premier volume, l'auteur nous dit qu'il a porté ce projet durant vingt ans. L'amitié est le maître mot de l'ouvrage, l'amitié entre hommes. Elle domine, vainc tout, emporte les plus solides barrières morales qui doivent s'accommoder des appétits et des égoïsmes. L'aventurier se pose des questions au travers de son personnage, Richard Dalleau, c'est finalement du sens de la vie qu'il s'agit, du sens d'une vie à vivre. L'action de cette saga se situe entre 1915 et 1925, le champ couvert par Kessel au niveau de ses personnages est intéressant en ce qu'il recoupe peu, un seul, le milieu artiste ou écrivain, situant certainement ainsi assez bien le Kessel de cette époque.

 La fontaine Médicis (1950)  

Premier  volume d'un roman cyclique qui en compte quatre, la Fontaine Médicis pose de nombreux personnages et nous mène à la fin de la guerre de 14-18. Le récit est rapide, l'auteur prend un personnage, puis un autre et ainsi de suite, revient sur ceux qu'il nous a présenté, noue les fils entre eux et nous entraînent dans des ambiances, fait ressentir les sentiments. On comprend rapidement que le cercle familial solide sur lequel se construit Richard va jouer un rôle important autour d'un personnage qui va devenir clé. Dans ce premier volume, la guerre va nouer des liens improbable qui résisterons à tout, elle est décrite en terme d'impact, elle sera déterminante sur la génération qui monte. Chez ces jeunes hommes, la lecture de Dostoïevski est importante, elle répond aux questionnements, les dilemmes moraux, le tout est permis, c'est elle qui permet à Richard de comprendre son ami, Etienne Bernan.

Nous sommes nés pour le plaisir. Quel autre sens à la vie ? Et puisqu'il en est ainsi, on a le droit de tout faire pour obtenir le plaisir. " p 108 On voit comment la pensée de Sylvestre Bonnard a évolué, et l'on sent l'influence d'un Dostoïevski que lit celui qui prononce ces mots. " Il serra contre son corps nu le corps nu de Sylvie si fort, si étroitement qu'il fut certain de ne plus laisser la moindre brèche ou fissure à l'ennemie mortelle : la pensée. " p 247-248 Après que Richard, convalescent, ait saoulé son frère Daniel, le père se dit : " Je comprends bien comment cela s'est fait ... [le changement de Richard] Il a tué, il s'est fait tué à moitié. Il s'est rapproché de la bête. Oui ... je le comprends ... Et après ? Est-ce que cela me rassure, me console ? Au contraire !"

 L'Affaire Bernan (1950)   

On retrouve Richard Dalleau qui est bien un être moral. Comment cet être moral doué d'appétits et de désirs forts, entre-t-il dans la vie, comment sa force se heurte aux nécessités et jusqu'où le mène son égoïsme ? L'Affaire Bernan offrira à Richard cette confrontation avec les nécessités qui fera de lui l'homme qui avant, malgré la terrible guerre, était encore à venir. La façon dont Fiersi, le truand corse, règle l'Affaire des Smerdiakov là où le Directeur de la Sûreté ne pouvait plus le faire fait, penser à la Tête des autres de Marcel Aymé, l'humour en moins (1952, L'Affaire Bernan 1950) En fait, les deux auteurs se souvenaient certainement de M. Alexandre, (Stavisky, 1934). L'homme de pouvoir occulte de Marcel Aymé s'appelle Alessandrovici ce qui ne laisse aucune place au doute à ce sujet pour lui alors que les nombreuses connections gaullisme-milieu et gangstérisme qui entacheront le gaullisme et la droite jusqu'à la fin des années 70, (hold-up, crimes et assassinats, gros bras, milices patronales) ne sont peut-être pas encore de notoriété publique comme elles le deviendront plus tard au début des années cinquante. Finalement la perspective de Kessel est encore plus impitoyable que celle de l'humoriste, chez Marcel Aymé il y a satire, chez Kessel tout est "normal", la corruption est le fruit de tous les défauts mais aussi des qualités des hommes. Tout au long du cycle c'est bien ce point de vue, neutre, que Kessel déroulera, il n'approuve ni ne désapprouve : il montre et les pires combinaisons, les plus médiocres sont la norme d'un monde ou seules l'amitié des hommes et la qualité de certaines femmes, peuvent sauver un temps ou, du moins transposer, ces infamies.

Daniel ne cherchait auprès des femmes que le plaisir, écoutait sans ennui leurs bavardages et s'amusait de leurs petites histoires. "  p 89 " Les monstres, pensait-elle, sont tout simplement des gens chez qui certains instincts ou certaines images ont reçu plus de puissance et qui ont le courage de les accepter ou de les suivre. " p 136 Après avoir tué sa mère dont la conduite lui répugnait et l'avait meurtri, Etienne Bernan dit : " Si tu l'avais entendue me demander : " Pourquoi ? " On aurait cru un tout petit enfant.              Elle était d'une pureté extraordinaire, elle Adrienne Bernan ..." p 141 Etienne a le double visage du bien et du mal, un coté beau et jeune, de l'autre " sans âge, racorni, brûlé " Janus, l'innocent bafoué et le parricide, mais encore l'amoureux du jeune amant de sa mère. " Et Christiane pensa qu'elle voyait dans cette chambre une distribution presque parfaite des éléments qui formaient la condition intérieure de l'homme. La sagesse et l'ambition, la volonté et la faiblesse, le poids de la chair et les forces spirituelles, le dévouement le plus tendre et l'égoïsme le plus innocent, le plus barbare, ..." p 244 Dommage que "formait" soit conjugué au passé, il mériterait le présent. Richard qui admirait le capitaine Namur ne va plus le voir dès lors qu'il a perdu la raison, cela l'horrifie. Sentiment bien réel, la folie réduit à néant à nos yeux les sentiments anciens, pire, elle provoque l'horreur, établit la crainte et suscite la répugnance attristée. (p 280) La force de vie l'emporte toujours : "Chez tous les hommes, ... chez tous, il y avait un pouvoir de beauté, de bonté, endormi, obscurci, entravé par des habitudes, des penchants ou des vices, mais inaltérable dans son germe et toujours prêt à transformer la triste argile qui le contenait. " pp 317-318

 Les Lauriers roses (1950) 

Dès les premiers chapitres nous trouvons le heurt des morales. Richard n'a rien perdu de son estime pour Etienne qui dans l'Affaire Bernan a tué sa mère, quand il veut le présenter à Fiersi qui lui demande de défendre un tueur de flic, ami d'enfance, ce dernier refuse la main tendue : " C'était quand même sa mère !" Les personnages principaux tournent dans le cercle de leurs passions et de leurs égoïsmes, chacun livré à ses fantômes. Richard Dalleau, force de vie est également le mâle archétype d'une société d'hommes, machiste. Kessel mène autour des deux frères quelques personnages, surtout de femmes, proches ou lointains, qui sont leurs partenaires, leurs amis ou servent de contrepoints. La famille d'origine, solide, éclairée, chaude, demeure le refuge, son existence sauve. Le champ de l'œuvre se resserre, les derniers chapitres nous mènent dans l'enfer du jeu jusqu'au suicide du frère plus faible, plus fragile. Le livre s'achève sur la phrase du père parlant du corps de son fils mort, enterré : " Il ne peut pas avoir froid, je le sait, il ne peut pas ... et je pleure parce que, tout de même, il a froid. " Les longueurs des aventures de Richard sont effacées par le rythme que l'auteur imprime au récit mené très vivement. Il y a sans cesse des transpositions qui font des héros des êtres d'exception doués d'appétits et de faiblesses extrêmes.

 L'Homme de Plâtre (1950)  

Avec ce dernier volume du cycle, le héros, Richard Dalleau, clôt le cercle du malheur sur la mort du père, ainsi que l'écrit l'auteur en dernière page. D'autres sont morts dont La Tersée, figure extravagante de cette galerie que nous offre Kessel, certains se perdent, mais ce qui fait les destins, c'est le socle primaire. Richard comme son amante, Dominique, se sauvent par leurs parents. Qu'est-ce qu'une vie bourgeoise ? Richard se le demande presque avec angoisse. Aller jusqu'au bout de sa folie, chacun la sienne. La drogue, le jeu, le sexe, ingrédients de l'aventure ou débauches ? Ce dernier mot a-t-il un sens quand les êtres vivent si différemment les mêmes choses ? C'est quand Richard Dalleau, l'aventurier, s'essaie à l'opium que la description des effets qu'en fait l'auteur devient complaisante. On sait que le personnage s'en tirera parce qu'il est la force, c'est passer sur la sottise, sur l'immense faiblesse de l'abandon de soi à une drogue quelconque qui est toujours une sorte de mort dans le renoncement. (Deuxième partie, chapitre II, pp 110 et suivantes.) Quand l'intelligence a déserté son père malade, Richard ne l'aime plus. " ... je n'aime plus mon père, je ne l'aime plus. Je n'y peux rien. (Richard criait de souffrance) J'aimais un homme - dans mon père - un homme merveilleux ... Je ne peux pas aimer autant un autre homme parce qu'il est toujours mon père. " pp 108-109 Les effets terribles, sur les proches, de la déchéance physique qui amène l'autre, l'intellectuelle.

" Erreur, illusion, tromperie ... N'est-ce pas cela justement l'amour ? Puisqu'il a toutes les faces : la domination et l'humilité, le sacrifice et le sadisme, le cœur et la peau. " p 127 " Qu'est-ce que fait un crapaud traqué ... qui trouve enfin une vase bien tiède et bien épaisse. Il s'y jette mon fils, et s'y enfonce, et s'y réjouit et il ne demande rien d'autre. Ni la permission à personne. " p 298 A cela, Richard, seul, répond pour lui : " Chaque homme a besoin d'avoir, en d'autres hommes, ses dieux et sur terre ses démons. Les seuls dont il puisse être le camarade. ... quand un être humain sait ... qu'il a cet aspect pour quelques êtres humains il n'a pas le droit - ou c'est un crime essentiel - de le changer en bête dans son auge, en crapaud dans sa vase. " pp 299-300

La page commençant par : " Et alors, Richard se souvint d'un vagabond des Balkans, conteur génial, ... " pp 321-322 évoque Panaït Istrati, bien connu de l'auteur qui préfacera ses œuvres complètes chez Gallimard en racontant l'épisode de l'échange du sang rapporté dans ce roman et plaçant Richard - personnage qui n'est pas l'auteur - en représentation de l'auteur. 

" Et tu sais aussi ce qu'est le journalisme : la plus belle machine pour la connaissance et la puissance. Et l'huile de la machine, c'est le sang, le dégout, la passion, la sanie, l'ordure ou la beauté. " p 367

 

 La Passante du Sans-souci (1936) 

Ce roman, récit conviendrait mieux, très simple, fait de rencontres espacées, presque fortuites, d'empathie fortes, pourrait être une sorte de ban d'essai pour le Tour du Malheur, beaucoup plus passionné et mettant en scène un bien plus grand nombre de personnages, dont le cadre est ce même Paris nocturne quelques années plus tard. Il fait penser à certains récits de Modiano - auteur que je connais, je le confesse, très imparfaitement. L'héroïne, qui n'est pas la narratrice, est une réfugiée comme il y en eut tant, fuyant le nazisme et ses oeuvres dans les années trente. Elle traîne un enfant qui devient un adolescent dans le temps du récit, qui a vu son père, Juif, massacré dans la rue par les nazis et lui-même mutilé par eux. Le récit ne fait que frôler l'horreur, - en 1936 il évoque quand même l'existence de camps en Allemagne, - il nous en montre de près les conséquences sur les victimes "indirectes", celles qui ont pu fuir mais dont la vie est bouleversée, saccagée. Istrati est évoqué à plusieurs reprises, il est le modèle de l'homme qui triomphe de l'adversité cité par le narrateur en exemple au jeune infirme tenace, témoignage de l'admiration de Kessel.

 

 Les Enfants de la Chance (1934) 

A-t-on affaire à un aventurier qui écrit ou à un écrivain qui court l'aventure ? Le maigre argument des Enfants de la chance, l'abondance de mots employés pour décrire certaines scènes me feraient pencher pour la seconde option. L'homme qui regarde n'est pas un aventurier même quand il a besoin de l'aventure et, il me semble, que Joseph Kessel n'est pas le Richard Dalleau du Tour du malheur et est, même quand il participe, un "homme qui regarde" comme beaucoup d'écrivains, doué d'une plus grande empathie pour les aventuriers et l'aventure. Ce petit roman veut mettre en valeur l'amitié et la folie de vivre, le groupe en est le héros, l'aventure le sel, ses héros la dévorent, l'épuisent, pour l'un d'entre eux ce sera la mort, pour deux autres le renoncement, seul le quatrième, peut-être ... On aura croisé un ministre qui se souvient de son temps du Chat Noir ... Quelques longueurs, une certaine impatience devant ce groupe qui refuse de vieillir dans lequel Kessel fait entrer, en 1933 ; une femme au même rang que ses compagnons, la vivacité des derniers chapitres sauve le tout.

 

 Les Temps sauvages (1975) 

La guerre, celle de 14-18, est sur le point de se terminer quand on offre à un aviateur d'origine russe de partir pour un nouveau front contre les Allemands ... en Sibérie. Départ en bateau pour les Etats-Unis alors qu'on signe l'armistice, la mission devrait être annulée, elle ne l'est pas. On aura deviné que derrière ce sot prétexte, il y a la saloperie des gouvernants qui envoient, après plus de quatre ans d'une guerre odieuse, des troupes combattre les rouges. A New-York nos héros sont reçus triomphalement, ils sont les premiers soldats français à toucher le sol des Etats-Unis depuis la victoire. Tournée triomphale jusqu'à San-Francisco, tout leur est donné, musique, alcool, femmes ... De l'autre coté, c'est Vladivostok, le trou du cul du monde en cette fin du tsarisme. Des troupes constituée de bric et de broc sont là, elles pillent, elles détroussent, elles sont constituées de bandits, de généraux et soldats russes, mais il y a aussi des dizaines de nations dont les hommes sont là, comme les Tchèques qui de replis en replis, pour regagner leur pays ont traversé la Sibérie et contrôlent la gare du port. Il y a aussi tous ceux qui ont fuit, les éternels de tous les exodes et les rapaces qui les dépouillent, le voyage pour eux se termine là. La misère, la mort dans des conditions horribles, la description des wagons de la mort pourrait-être celle de la déportation des Juifs de la seconde guerre. C'est un temps de folie qui se termine sur une rencontre individuelle, une femme brinqueballée dans cette tourmente, à la voix rauque qui dit plus que les paroles. Ce récit qui ne se présente pas comme une œuvre de fiction est un récit de contrastes, un récit de la stupidité des gouvernants, de leur mépris du sort des hommes et des femmes. En cela, il est encore d'actualité quand des corniauds envoient nos soldats se faire tuer en Afghanistan mais sont incapables de bombarder deux terrains d'aviation à nos portes et laissent un tyran à qu'ils ont permis de planter triomphalement sa tente sur la Place de la Révolution, massacrer le peuple du pays qu'il a pris en otage. On regrette Robespierre qui aurait fait tomber ces têtes de lâches sur la place profanée.

 

 Retour PAGE D'ACCUEIL