AUTEURS : Les auteurs présents sur ce site                                                                                            Statistiques du site             

LES ŒUVRES : Leurs œuvres

 

LA MARCHANDE DE PETITS PAINS POUR LES CANARDS - PREFACE "INEDITE" *

 

RENE BOYLESVE ou PAGE D'ACCUEIL

 

* Selon le manuscrit de René Boylesve, cette préface a également été reprise dans "Gens de Qualité" par Fernand Vandérem à qui elle avait été adressée.

" Il ne saurait me venir à l'idée d'accommoder une série de faits de manière à établir ce qu'on appelle une situation qui fasse palpiter le lecteur dans l'attente d'un événement ou d'un dénouement. Une seule chose m'intéresse, c'est le trait qui marque un homme, celui qui détermine une société et celui, plus cher à mon oeil, qui laisse soupçonner la proportion entre l'homme et le groupe et ce je ne sais quoi que nous concevons de supérieur à l'homme et aux sociétés. J'aime les caractères et les moeurs bien définis où je vois une invitation à réfléchir indéfiniment sur la position de l'homme dans son monde et aussi dans un plus vaste monde. Lorsque j'ai pu les mettre en évidence sous une forme vivante et équilibrée, en leur laissant, sans le souligner, tout le premier rôle, je tiens ma tâche pour accomplie : au lecteur de comprendre ou bien de jeter mon livre en déclarant "qu'il ne s'y "passe rien".

Aussi mes livres sont-ils de ceux où "il ne se "passe rien". Et on ne verra sans doute guère qu'il se passe autre chose dans ces minces historiettes. Mais j'aggrave encore mon cas en choisissant mes modèles et mes sujets parmi les gens les plus ordinaires et les plus banales conjonctures. Cela ressemble à une gageure. Point de héros empanachés, point de vertus exemplaires et pas le moindre surhumain! Or, l'on a grand besoin aujourd'hui qu'on nous sorte du terre à terre.

"Pourquoi," me diront pour la centième fois, ceux qui me connaissent, "appliquer avec acharnement tous vos soins à un peuple si différent de vous-même?" Je pourrais répondre qu'on a reproché à des plus grands que moi d'avoir consacré leur oeuvre à la moyenne humanité.

Peut-être ces auteurs que l'Homme, dont on écrit le nom avec une majuscule, appartient à cet entre-deux. Mais le motif qui me détermine est plus simple : c'est que si j'ai manifesté d'autres aspirations, j'ai et j'eus de tout temps le goût de la comédie. A ce goût, je faisais allusion dès la préface de mon premier livre et c'est peut-être ce qui vous a engagé à le lire : depuis seize ans, il s'affermit en moi tous les jours.

La comédie, genre parfois plaisant, mais non pas gai et que constitue principalement le choc du réel contre la logique ou l'idéal. Elle prend son meilleur aliment dans ce terrain à mi-côte entre les hautes et les basses terres. Elle ne fait point sonner ses titres de noblesse comme le drame ou la tragédie qui sautent de sommets en sommets convenus. Elle chemine à pied, sans tambour ni trompette, n'annonce rien; elle a tôt fait de décourager les benêts accoutumés à juger les gens sur la mine. cependant nous la tenons, nous, pour l'art le plus viril et le plus raffiné. C'est par excellence, l'art du lettré, parce qu'il n'est goûté que d'un esprit attentif, averti, curieux de l'homme, épris par-dessus tout de psychologie habile et mesurée et ayant accompli le tour, à peu près, de toutes les choses. 

Art garanti de la préciosité, du factice et de la manière, parce que, sous peine de n'exister pas, il prend sa source dans le sol vulgaire et que le talon de l'homme a foulé. Il a du populaire dans ses racines et de l'extrême culture à sa floraison. Il a entre toutes cette vertu singulière et si peu reconnue qu'il est le résultat, non du désir artificieux du poète, mais de la lutte de l'imagination contre la résistance naturelle des choses. L'homme ne s'y guinde pas, au gré du modeleur, selon une pose hiératique qui le grandit d'une manière facile et n'y adopte pas les attitudes exquises qui gagnent si aisément les suffrages. Mais il impose, comme le bois, le marbre, l'étain, les ingrates exigences de sa matière.

Les hautes visées, propres aux grands genres présomptueux, assurément la Comédie ne s'en prévaut point et peu s'en faudrait qu'elle les niât, alors même qu'on les découvre en elle. Mais il est possible qu'elle suggère l'idée et même la contagion, de ce geste simple et tranquille et si beau du semeur qui a l'air d'accomplir un acte ordinaire et d'ignorer sa propre amplitude. "

                                                                                                                                                            René Boylesve

RETOUR sur "SUR RENE BOYLESVE" ou RENE BOYLESVE ou PAGE D'ACCUEIL