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ALBERT COSSERY

1913 - 2008

 

Albert Cossery est mort ce 22 juin à Saint-Germain-des-Prés, dans la chambre de l'hôtel parisien où il habitait depuis près de soixante ans. C'est un écrivain au ton unique, discret, qui disparaît. Un de ces hommes qui choisissent la France et le français et leur font honneur, nous consolant souvent de certains de nos sinistres concitoyens.

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Bibliographie

Né au Caire en 1913, Albert Cossery s'installe en France, à Paris, en 1945. Il ne quittera jamais le petit hôtel du quartier latin où il emménage en arrivant, par cela Cossery ressemble à ses personnages. Cet écrivain francophone est peut-être le seul véritable anarchiste de notre domaine littéraire. Sa production qui s'étale sur cinquante ans tient en huit livres, huit livres qui comptent.

De lui, l'éditeur Edmond Charlot qui réédita son premier livre en 1946, Les hommes oubliés de dieu, un recueil de nouvelles, nous dit qu'il était un remarquable conteur capable de raconter dans le détail des livres qu'il n'écrirait pas. Ce qui nous attire en lui, n'est-ce pas ce goût de l'immobile qui ressort de ses personnages réduits à l'essentiel, le sommeil, et qui méprisent un monde qui n'apporte que des désagréments ?

Il y a des écrivains dont on apprécie et aime l'œuvre, Albert Cossery est de ceux dont on admire l'homme au travers de l'œuvre, mais comment parler de cette œuvre ? Le paradoxe de Cossery c'est qu'il utilise une langue tout à fait ordinaire en des images qui en font un chant continue, un enchantement dont la lecture nous transporte d'admiration en révélations. Il transpose le monde des mendiants et des misérables en des textes qui, sans rien concéder, sont parmi les plus beaux que l'on ait écrit en français. Il nous dit la force du détachement sans pour autant oublier la misère. Il ne dénonce pas vraiment l'autre monde, celui des riches, des puissants, des intellectuels, il le pose à coté dans sa vanité, sa dérision, sa méchanceté, son imposture, comme une fatalité qui pèse sur les humiliés.

Imposture, voilà prononcé le mot clé des personnages de Cossery. Il le dit dans sa conversation avec Michel Mitrani : " ... la plupart de mes personnages sont des gens qui ont compris dans quel monde ils vivaient, c'est à dire dans un monde de l'imposture totale. " Encore quelque chose dont on dira que c'est un lieu commun ! Mais ce lieu commun, la plupart des gens font comme s'ils n'en avaient pas conscience, surtout ceux qui le dénoncent comme lieu commun, ils font mine de croire à ce qu'on leur dit même quand ils haussent les épaules et dans le monde de l'imposture, faire semblant c'est renforcer l'imposture. Venez-vous leur rappeler qu'on se moque de nous, que tout est faux, ils vous regardent d'un air supérieur, de l'air des gens importants à qui on ne la fait pas : " Nous le savons ! Ne nous emmerdez pas avec cela !" et ils retournent à leurs petites affaires, et justement, petites affaires, grande imposture !

 

 

Bibliographie :

- Les hommes oubliés de Dieu     1941

- La maison de la mort certaine     1944

- Les fainéants dans la vallée fertile     1948

- Mendiants et Orgueilleux     1955                           

- La violence et la dérision     1964

- Un complot de saltimbanques     1975                                                                                                                    Mendiants et Orgueilleux

- Une ambition dans le désert     1984                                                                                                                        en Livre de Poche (1968)

- Les couleurs de l'infamie     1999

* * *

- Conversation avec Albert Cossery ( Michel Mitrani ) 1995 - Joelle Losfeld

- L'Egypte d'Albert Cossery     2001 - Joelle Losfeld

- Le Magazine littéraire Novembre 2005 -  Propos recueillis par Aliette Armel

Mendiants et Orgueilleux : Gohar, ancien professeur qui s'étant rendu compte de l'ineptie de ce qu'il enseignait a démissionné pour devenir mendiant, est malgré lui une sorte de prophète par l'exemple de sa vie et l'aura qu'il dégage. Seul compte pour lui son hasch et sa paix. Il est libre parce qu'il n'a rien. Sous l'emprise du besoin de drogue, il tue une prostituée du bordel dont il tient la comptabilité, pour lui dérober des bijoux qu'il sait ne rien valoir. L'enquête sera l'occasion pour l'inspecteur qui en a la charge de découvrir sa vraie vocation.

Citations : " Gohar réfléchissait. Il n'avait rien contre le vol ; tout le monde volait. Il y avait seulement des façons et des nuances qui échapperaient certainement à El Khordi. Il aimait bien le jeune homme ; il lui eut déplu de le voir finir en prison. Il lui manquerait. En plus, El Khordi n'était pas capable d'apprécier la sécurité d'une prison, il se meurtrirait l'âme et se ferait des idées idiotes sur la liberté. "

" Il faut dire à son avantage - caractéristique assez rare chez les poètes - que Yeghen ne se prenait pas pour un génie. Il trouvait que le génie manquait de gaieté ! L'immense entreprise de démoralisation que certains esprits dits supérieurs exerçaient sur l'humanité lui paraissait relever de la plus malfaisante criminalité ... "

" Il savait pourtant qu'il devait compter avec la justice des hommes. La police ne s'embarrassait guère d'analyses abstraites ; pour elle le destin signifiait l'épée du bourreau. Elle ne concevait la fatalité que comme une volonté oppressive, uniquement occupée à maintenir les esclaves dans leur servitude. ... Non pas que ce meurtre d'une prostituée fût à leurs yeux un acte odieux et inhumain, mais simplement parce qu'il dérangeait leur ordre tyrannique. Le concept selon lequel toute faute devait recevoir son châtiment était encore un de ces mensonges hypocrites servant de remparts à une société agonisante et pourrie. "

Confronté au policier qui mène l'enquête, Yeghen invoque " la bombe ", la bombe qui peut détruire toute une ville. " Le monde devient de plus en plus amusant " dit-il. Puis : " de toute façon, ils ne la jetteront jamais dans ces parages. Elle coûte trop cher. "

" Gohar était reconnaissant aux femmes,  à cause de l'énorme somme de bêtise qu'elles apportaient dans les relations humaines. Elles étaient capables de faire une scène de jalousie à un âne, rien que pour se rendre intéressantes. " Retour bibliographie

Les hommes oubliés de Dieu : ( 1941 ) Ce livre, composé de cinq nouvelles, est le premier qu'Albert Cossery a publié. De Zouba, le facteur victime qui croit posséder les habitants du quartier misérable où il officie parce qu'il connaît leurs secrets, à Faiza qui découvre que le démon n'est que ce qui la sépare du plaisir, à Chaktour, le ferblantier qui, dans une nouvelle qui est peut-être le plus beau texte de Cossery, voit la misère du monde au bout de son destin, à Abou Chawali qui lutte pour que la misère éclate sous son pire aspect, aux yeux des repus au travers des mendiants loqueteux de son école de mendicité, à l'acteur Sayed Karam qui découvre l'amour des souffrants par le corps de Raya, ces cinq textes ne nous laissent aucun répit.

Le gendarme Gohloche était né bourreau. Il y avait dans son regard une bêtise qui tuait. "

" - Pourquoi fumer ? Mais pour oublier, fille. - Oublier quoi ? - Tu ne comprends donc pas ? Oublier tous ces fils de prostituées. Tous ces chiens qui ne cessent de me poursuivre avec leurs dents très longues. Oublier, fuir les autos, les tramways, les voitures et tous les vendeurs qui vous réclament toujours de l'argent. ..."

" Ce gendarme, qui venait de surgir comme une autre nuit dans la nuit, l'effrayait. "

" Le gendarme Gohloche personnifiait la méchanceté la plus haïssable : la méchanceté mise au service des grands de la terre. Une méchanceté monnayable. Elle ne lui appartenait plus. Il l'avait vendue à des gens plus compétents qui en usait pour asservir et mortifier tout un peuple misérable. Il n'était plus le maître de sa méchanceté. Il devait la conduire et la diriger suivant certains règlements dont l'atrocité ne variait guère. " Retour bibliographie

* * *

Conversation avec Albert Cossery ( Michel Mitrani ) Albert Cossery dit quelque part dans ces entretiens que sa vision n'est pas celle d'un écrivain mais celle d'un artiste, n'importe quel artiste qu'il soit peintre, écrivain ... On pourrait s'étonner de ce non suivi d'une énumération dans laquelle on retrouve " écrivain ". Un écrivain n'est pas toujours un artiste, il s'en faut. Cossery est d'abord un artiste. Il y a là quelque chose d'essentiel pour appréhender ou comprendre Cossery : il est d'abord un artiste, un écrivain après. Cela signifie que d'une certaine façon ses personnages, ses visions, sont transposées, on ne voit pas un mendiant, on voit un mendiant par les yeux de Cossery ...

"... j'avais cette vision que d'autres n'ont pas, c'est tout. C'est à dire que j'ai vu ce que les autres ne voyaient pas. "

" J'avais dit aussi que les nantis appelaient les pauvres " voleurs " ou " mendiants " suivant leur insistance à vivre. Rien n'a changé. " Retour bibliographie

L'Egypte d'Albert Cossery - 2001 : Il ne s'agit pas d'un ouvrage somptueux comme en ont réalisé certains écrivains, celui-ci est modeste, petit format, soixante-dix pages, broché, un ouvrage à 15 €. Les photos sont de Sophie Leys, les textes les illustrant choisis dans les ouvrages de Cossery. Disons-le, les photos ne correspondent pas à l'image que je me suis faite de l'univers de Cossery au travers de ses livres. Certaines sont belles, elle ne cèdent pas à l'exotisme comme le dit bien la préface, mais en tant que lecteur, je me suis construit une vision plus dépouillée encore, les êtres que Cossery nous peint sont beaucoup plus loin dans le dénuement. Il me viendrait à l'esprit de souhaiter que ce décalage soit dû à une amélioration de la situation en Egypte ... on peut rêver.  Retour bibliographie

La Maison de la mort certaine - 1944 : Je termine la lecture de ce roman écrit en 1944, en novembre 2005, au moment où les banlieues répondent aux imbéciles qui nous gouvernent et nous vendent et ne peut qu'être frappé de l'actualité de Cossery, l'actualité de la misère et des exploiteurs.

Ils vivent dans une maison qui menace de s'écrouler et dont le propriétaire est un minable exploiteur qui fait vivre les gens dans des ruines pour quelques piastres, un imbécile de petit actionnaire libéral en somme ! Ils sont en dehors de tout. Le charretier n'a plus d'âne, le menuisier construit des cercueils trop petits, l'éboueur - le fonctionnaire - déménage en catimini abandonnant ces gueux à leur sort. Pourtant ils s'agitent. L'un d'entre eux fait manger à sa famille la chèvre du montreur de singes. Ils sentent qu'ils sont l'âme de la maison. Qu'est-elle ? Un de ces hôtels parisien qui brûle les enfants immigrés ou la maison Egypte qui prend l'eau, pourquoi pas le monde, la France d'aujourd'hui ? Je citerais le dernier paragraphe, quand l'homme qui cherche, est face au propriétaire, Si Khalil, ce pourrait être face au Baron de Seillière ou à une compagnie de CRS à tête de Sarkozy, de ces hommes qui s'agitent frénétiquement en balançant des évidences inappropriées et ne comprennent jamais rien. Il faut retenir ce qu'il leur dit, ce qu'ils ressentent alors : " - La maison s'écroulera sur nous, dit Abel Al. Mais nous sommes nombreux. Elle ne tuera pas tout le monde. Le peuple vivra et saura venger les autres.

Si Khalil ( Sarkozy CRS, Baron Seillière ) écoute cette voix qui monte dans la nuit. C'est la voix d'un peuple qui s'éveille et qui va bientôt l'étrangler. Chaque minute qui passe le sépare de son ancienne vie. L'avenir est plein de cris, l'avenir est plein de révoltes. Comment endiguer ce fleuve débordant qui va submerger les villes ? Si Khalil imagine la maison effondrée sous la poussière des décombres. Il voit les vivants apparaître parmi les morts. Car ils ne seront pas tous morts. Il faudra compter avec eux, lorsqu'ils se lèveront avec leurs visages sanglants et leurs yeux de vengeance. "  

Albert Cossery dit qu'il écrit pour donner envie à un lecteur de rester coucher. Je me prend à rêver, comme Abel Al, si nous restions tous couchés, si nous envoyions se faire foutre ces marchands de France pourrie et de démocratie frelatée, que feraient-il ces exploiteurs ? A quoi leur serviraient CRS et baratin, élections truquées et libéralisme ? Bush, pétrole et cons de soldats ? Organisation mondiale de la misère et Europe avec ou sans Turquie ? Retour bibliographie

Mise à jour le 16-11-2005

 

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