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LES ŒUVRES : Leurs oeuvres

 

 ANATOLE FRANCE - REPERES BIOGRAPHIQUES

suivi de

 

La Mort D'ANATOLE FRANCE dans la PRESSE Française

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ANATOLE FRANCE ou PAGE D'ACCUEIL

 

Pour une biographie détaillée, seule capable de faire comprendre la carrière et la participation d'Anatole France aux mouvements et à la vie littéraire de son temps, on se reportera soit aux ouvrages de Marie-Claire Bancquart, soit à la Chronologie de l'édition Pléiade des oeuvres d'Anatole France.

Ces " repères " bibliographiques ont été " pompés " mot à mot par http://www.biblioweb.org/-FRANCE-Anatole-.html sans citation d'origine. Curieuses moeurs ! Cela m'a donné l'occasion de voir un autre site reprendre ce trait : le "cuistre" Valéry ! Valéry, un cuistre ! Bigre ! Les plagiaires n'hésitent pas !

16 avril 1844 Naissance à Paris d'Anatole-François Thibault, son père est Libraire à l'enseigne "Librairie Politique Ancienne et Moderne de France" au 19 quai Malaquais.

1855 : Sixième au Collège Stanislas où il se montre élève médiocre.

1856 : Première communion.

1859 : Il remet à l'Académie Stanislas (son collège) La Légende de Gutemberg.

Fin 1865 : Publication dans la revue d'un ami d'une nouvelle : "Ezilda"

1866 : Anatole France travaille pour l'éditeur Lemerre, il commence à fréquenter les Parnassiens.

1867 : Collaboration à des revues précaires dans lesquelles il publie sous divers pseudonymes des nouvelles et des poèmes.

            Collaboration à "L'Amateur d'autographes"

1868 : Publication de l'essai Alfred de Vigny.

1869 : France collabore à diverses revues, il est lecteur chez Lemerre et pion dans une institution à Ivry.

1870 : France est en réserve des troupes combattantes.

1871 : Impropre au service il est dans la garde nationale.

1875 : Collaboration au Temps.

1876 : France entre à la Bibliothèque du Sénat.

1877 : 28 avril, mariage avec Valérie Guérin de Sauville. Il s'installe à Neuilly.

1886 : Mort de la mère d'A.F.

1887 : Fréquentation de Madame Arman de Caillavet.

1890 : Démission de son poste à la Bibliothèque du Sénat.

1892 : A.F. quitte sa femme.                                                                                                                                                                         Madame Arman de Caillavet

1893 : Divorce d'A.F.

1896 : Election à l'Académie Française au fauteuil de Ferdinand de Lesseps

           Préface du livre de Marcel Proust : Les Plaisirs et les Jours.

1898 : France signe derrière Zola la pétition des intellectuels en faveur de Dreyfus. Quand Zola est radié de l'ordre de la légion d'honneur, France cesse de la porter.

1900 : France cesse de fréquenter l'Académie Française, repaire d'anti-dreyfusards.

1902 : Obsèques de Zola, assassiné par les ligues, l'assassinat ne sera jamais reconnu officiellement, la bonne société a trop peur de ses crimes ( plus tard, l'assassin de Jaurès sera acquitté ). France prononce un discours sur la tombe de son ami.

1904 : France participe au premier numéro de l'Humanité. ( Qui est alors le journal de Jaurès, le Parti communiste qui déshonorera ce journal n'existe pas encore )

        France entre au Comité Central de la récente Ligue des droits de l'Homme à laquelle il appartenait déjà.

1910 : Mort de Madame Arman de Caillavet qui était son amie et égérie.

1912 : Publication des Dieux ont soif.

1914 : Article jugé trop peu agressif par les nationalistes, menaces.

1915 : France qui a peur écrit des "articles dans le ton" qu'il reniera.

1916 : Retour à l'Académie. Achat de la Béchellerie près de Tour, à Saint-Cyr-Sur-Loire où il mourra.

1917 : Il écrit un article "Paix sans victoire" censuré et prend le parti de Caillaux mis en accusation par le parti de la guerre.

1918 : Mort de la fille d'Anatole France, il se fait nommer tuteur de son petit-fils : Lucien Psichari.

1919 : Acquittement de l'assassin de Jaurès. Il participe à la manifestation de protestation.

1920 : Manifestation publique de sympathie à Caillaux condamné.

           Mariage avec Emma Laprévotte.

           Elu premier président du P.E.N. Club français qui vient d'être fondé.

1921 : Congrès de Tours, France ne choisit pas entre le Parti Socialiste et le Parti Communiste.

           Mort de sa première femme, il recueille son petit-fils.

           Prix Nobel de littérature.

1922 : Prise de position contre les premiers procès soviétiques.

1924 : Jubilé (quatre-vingtième anniversaire)

12 octobre 1924 : mort d'Anatole France.

1927 : Paul Valéry élu en 1925, à l'Académie Française, est reçu. Ce cuistre antidreyfusard, ne prononcera pas le nom de son prédécesseur lors de son hommage. (Il aura néanmoins des funérailles nationales certainement par défaut parce qu'il est le premier "grant'écrivain" présentable pour les gaullistes, mort après la seconde guerre mondiale.)

 

 LA MORT D'ANATOLE FRANCE dans la Presse                 (En cours d'élaboration)

Le Figaro  Supplément Littéraire du Figaro   L'Humanité   Le Temps   La Croix Le Journal des Débats Politiques et Littéraires

Remerciements pour le travail remarquable de la Bibliothèque Nationale sur le site de laquelle les textes qui suivent ont été récupérés. Il faut dire l'outil exceptionnel qui ne cesse de s'améliorer et de s'enrichir, que nous donne cette mise à disposition en ligne de notre patrimoine. Souhaitons qu'il demeure indépendant et ne soit pas gâché par la fièvre financière qui tient nos gouvernants tarés qui bradent tout le domaine public aux intérêts privés, nuisibles,  cupides, malhonnêtes et destructeurs.

 

 Le Figaro (*1) du 13-10-1924 ( Article de titre sur les trois premières colonnes de première page ) par Abel Hermant (*2) ( successeur de René Boylesve à l'Académie Française)

ANATOLE FRANCE

Tours, 13 octobre minuit 30 - Anatole France vient de mourir.

Quand une flamme si claire s'éteint, ce n'est pas le brusque passage de la lumière aux ténèbres, c'est d'abord, pour les yeux qui longtemps s'était fixé sur elle, comme un douloureux éblouissement. Le regard violenté s'étonne, parmi tant d'éclairs, qui le sollicitent ; il voudrait une dernière fois les saisir et les lier ensemble comme une gerbe de feu. On voudrait instinctivement trouver  le cri ou le mot si riche de substance, et de signification que toute l'âme qui vient de passer y fut fut enclose, et l'on ne sait qu'appeler en vain le grand mort, à haute voix, par son nom.

La réponse est celle du silence. On songe avec consternation : " Il est vraiment mort, il s'est enfui. " Socrate, près de boire le poison avait, d'un ton enjoué, avertit ses disciples : " Tenez moi bien, prenez garde que je ne vous glisse entre les doigts. " Mais il leur disait aussi : " Celui que vous ensevelirez tout à l'heure, ce n'est pas moi, ce n'est pas le même Socrate qui, maintenant, s'entretient avec vous et arrange toutes les parties de son discours. " Nous ne croyons pas non plus que la dépouille devant qui nous venons de nous incliner, soit ce même Anatole France qui écrivit les vers dorés, les doctes propos de l'abbé Coignard ou de M. Bergeret et qui prenait soin, comme Socrate, d'arranger toutes les parties de son discours. C'est celui-ci que, selon le conseil du Sage, nous voulons tenir solidement afin qu'il ne s'échappe pas d'entre nos mains. Hélas ! nos mains tremblent...

Cette image est trop matérielle. Ce n'est que par un lien de pensée que nous pouvons encore espérer de l'attacher, de l'enchaîner à nous. Nous sentons bien qu'à un tel artiste nous ne devons qu'un hommage, celui de la vérité. Mais comment si tôt, à la minute même où il expire en murmurant peut-être "Qualis artifex perco !" (?) comment porter un jugement qui ne complaisant ou sommaire, hâtif et, de toute manière, indigne de lui ?

Ce n'est que dans des mythologie que l'arrêt sans appel suit de si près la mort : la justice des critiques, ainsi que toutes les justices humaines chemine d'un pas plus lent. Elle n'est pas pour cela plus sûre? A peine est-il permis de situer celui qui vient de se dérober à nous, et qui pourrait mieux que lui-même nous suggérer une formule ?

Il nous souvient qu'aux dramatiques obsèques d'Emile Zola, France trouva une expression saisissante pour situer aussi le romancier qu'il avait traiter naguère moins honnêtement . Mais il n'avait pas la superstition de la chose jugée, même quand c'était lui qui avait rendu la sentence, et il était trop instruit de la propriété des termes pour confondre ce que les peintres appellent un repentir avec ce que les poètes érotiques appellent une palinodie. " Vous êtes, dit-il, apostrophant celui qu'il célébrait, vous êtes un moment de la conscience humaine. "

Le souci permanent, talent exclusif que chacun a de soi, et qui fait que tous les portraits ont un air de famille du peintre, fait aussi que les maîtres du langage trouvent à leur insu leur propre définition quand ils essaient de définir un autre maître. Je n'ai pu entendre dans le tumulte cette petite phrase magnifique sans connaître qu'elle s'appliquait, avec quelques changements de mots, à l'homme qui venait de la prononcer : peut-être ai-je alors pressenti que j'aurais l'occasion de la répéter à l'heure où pour lui l'éternité recouvrirait le temps : " Vous êtes un moment des lettres françaises. "

Il se peut que l'éloge semble modeste ; mais qui sait même si c'est un éloge ? C'est un fait. Il est vrai que ce sont les faits qui louent. On me dira que j'aurais pu aller jusqu'à écrire " un moment de l'esprit français ". On oublie que cette distinction n'avait pas de raison d'être pour lui, et qu'il appartenait à un siècle où la littérature était encore considérée comme une profession libérale, la plus libérale ou la seule au sens latin.

Il ne lui semblait pas étrange qu'un Descartes, au début du Discours de la Méthode, se félicitât d'avoie été " nourri aux lettres dès son enfance ", ni que Bossuet dans son Panégyrique de François de Paul ait noté le défaut de lettres du saint homme : " Bien qu'il fut sans lettres, il parlait si bien des choses divines et dans un sens si profond que tout le monde en était étonné. " En ces temps lointains, si j'en crois des dictionnaires qui dit-on ne sont plus à la page, " lettres " signifiaient les connaissances que procure l'étude des livres. "

On ne manquera pas de me répliquer encore que c'est justement pourquoi les lettres inspirent de l'éloignement à une jeunesse curieuse uniquement de la vie. Sans décider entre les deux écoles, nous ferons remarquer à ce propos comme l'exemple d'un Anatole France illustre bien la différence qu'il y a d'un citoyen de la cité des livres à ce qu'on appelle avec dédain un rat de bibliothèque.

Si nous prétendons pour les lettres ainsi qu'un usage très ancien nous en donne le droit, une compétence universelle, nous ne cherchons pas à dissimu [ une ligne au moins sautée à la composition ] qu'elles embrassent, elles les envisagent d'un point de vue un peu particulier. Quoique Descartes n'ait pas honte des lettres et motive ainsi " l'extrême désir qu'il eut toujours de les apprendre " : " On me persuadait que par leur moyen on peut acquérir une connaissance claire et assurée de tout ce qui est utile à la vie. " Cette utilité nous semblerait aujourd'hui peu littéraire. Il est certain que l'amour d'un Descartes pour les lettres s'est tourné de bonne heure vers une recherche technique de la vérité, et que cette recherche n'est pas la cause finale des lettres telle que la plupart des lettrés les entendent.

Un Anatole France a la passion des idées, mais s'il les "chasse" comme dit Platon, c'est moins pour enrichir son esprit et faire largesse de son superflu que pour orner le beau logis de sa pensée. On n'insinue pas qu'il y ait le moindre soupçon de dilettantisme ; mais on sait, entre les penseurs officiellement qualifiés ou les philosophes ou lui la même différence qu'entre ceux qui font des collections et ceux qui font de la décoration. Si l'on osait emprunter le jargon d'une industrie devenue depuis peu très spécialement mondaine on dirait qu'un Anatole France est un merveilleux ensemblier.

On garderait aussi de sembler croire qu'il y ait entre les lettres et certains genres de littérature fut-ce une demie incompatibilité. Il n'apparaît pas moins dans l'œuvre romanesque d'Anatole France que l'invention d'une fable, d'une histoire feinte et la construction d'un livre n'étaient pas ce qui l'intéressait plus malgré son sentiment admirable de l'architecture et de l'harmonie et que ses plus fines anatomies n'ont jamais été faites sur une table de laboratoire, mais en effet dans la cité des livres sur un bureau à écrire. Est-il besoin d'ajouter que ceci n'est pas une critique, bien au contraire ?

On ne songera pas davantage à lui reprocher d'avoir pour ainsi dire transposer hors du plan de la sensibilité ce qui ne paraissait point d'abord susceptible de cette élévation, et d'avoir presque toujours épargné les vulgarités de l'émotion à ses lecteurs, en les divertissant par les prestiges d'un art tout spirituel d'une grâce inoubliable, constamment maîtresse de soi.

Mais si la formule qu'il a lui même suggéré pour le définir est juste, et s'il est bien " un moment des lettres françaises ", il importe aujourd'hui surtout de dater ce moment, et il est clair que c'est l'ouvrier des lettres qui le date. J'ai, pendant la guerre, assisté à un déjeuner intime que les amis de France lui offraient, le même jour que l'on reprit à la Comédie, sous les bombes, les Noces Corinthiennes. Je notai parmi les compliments qu'on ne lui ménagea point celui-ci qui me sembla le plus ingénieux " Quand vous êtes venus, lui dit un critique éminent et divers (?), les meilleurs écrivaient comme des contremaîtres, et il nous a paru que, seul, vous écriviez comme un écrivain.

Les contremaîtres étaient plein de bonne volonté, mais ils manquaient de culture. Ils ne professaient point le superbe mépris de leurs cadets pour le vocabulaire ou pour la grammaire ; mais ils s'obstinaient à traduire le pittoresque par des mots, l'abstraction et la généralité les effaraient, ils inventaient l'écriture artiste et ils méconnaissaient le génie de la langue française.

Le miracle d'Anatole France est d'avoir parlé avec le même naturel, avec la même aisance que Voltaire, un français qui paraît être sa langue maternelle. Comme il n'est pas contemporain de Voltaire, ce français spontané a bien des chances d'être aussi artificiel que celui de Flaubert ou des Goncourt ; mais on ne sait par où le prendre pour le convaincre d'artifice.

Il n'y a point trace d'archaïsme, ni de pastiche, et les néologismes tolérables ne l'effraient pas ; un peu de pédanterie parfois, mais pour s'en moquer ; des répétitions de mots, des négligences, comme on s'en doit permettre quand on est chez soi et qu'il serait parvenu de faire trop de frais ; mais cette surveillance de soi, qui est la civilité puérile et honnête de l'écrivain.

Les romantiques ont dit bien des choses obscures, enfantines, sur l'identité du fond et de la forme : elles deviennent lumineuses quand on lit Anatole France. Qui, hors lui, nous fait comprendre et sentir que, si l'on ne pense qu'avec le secours des mots, l'on ne peut aussi enchaîner les idées que par le moyen de phrases bien agencées, que l'association se confond avec le style et une syntaxe agile avec l'agilité du raisonnement.

J'ai aussi, en le lisant, aperçu que l'ironie n'est pas une pointe mais une sorte de ton ou d'accent, et qu'il ne faut pas mettre de l'esprit dans un jeu de mots, comme font les gens d'esprit sur l'escalier ou à Montmartre, mais en pénétrer tous les mots qui ne jouent pas et le répandre par tout le livre, comme l'esprit de Dieu au commencement était dispersé sur les eaux.

J'avais déjà fait cette remarque parfois en lisant Renan et toujours en lisant le divin Platon.

***

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 LE FIGARO - SUPPLEMENT LITTERAIRE

C'est dans son numéro du 18 octobre 1924 que le Figaro Littéraire rendit hommage au Maître décédé. Les trois premières pages sur quatre lui étaient consacrées et ouvraient sur un article de Paul Gsell (Auteur des Matinées de la villa Saïd, publiées en 1921.

ANATOLE FRANCE

Au moment d'évoquer le noble écrivain qui vient de s'éteindre, nous sommes saisis d'un scrupule.

C'est rapetisser sa mémoire que de dépeindre l'homme. Il est déjà plus grand que lorsqu'il vivait.

L'influence exercée par les personnages illustres porte l'esprit à leur accorder une stature surhumaine. Mais leurs contemporains qui les voient se refusent toujours à leur reconnaître cette taille imaginaire qui est l'exacte mesure de leur génie.

La mort qui estompe leur souvenir permet à la postérité d'amplifier leurs traits.

Pourtant ceux qui ont connu Anatole France nous serons sans doute gré de le leur montrer encore tel qu'il était, et ce sera pour eux comme un triste adoucissement à leur douleur.

Sa physionomie et toute sa personne faisaient songer à l'ancienne bourgeoisie française. Il avait cette solide structure de tête qu'on remarque dans les portraits et les bustes des grands légistes et des parlementaires du temps jadis. Son masque étiré que sa barbe allongeait encore était emprunt d'une sorte de majesté que tempérait la malice de ses yeux très noirs et très vifs.

Rodin n'avait jamais voulu modeler son buste, bien qu'on le lui eut officiellement commandé. Le grand statuaire avait désespéré sans doute de pouvoir fixer une expression extraordinairement mobile.

Depuis, Antoine Bourdele a pétri l'image du Maître. Mais il n'a reproduit, à vrai dire, qu'un aspect du moraliste, la gravité pensive. Il a été forcé de laisser échapper la malice étincelante.

Le caractère bourgeois que nous venons de noter sur le visage d'Anatole France se reflétait dans la sereine distinction de toute sa personne.

Ce révolutionnaire n'était pas du tout faubourien. Il était d'une politesse raffinée et s'efforçait de rendre son accueil aimable aux hôtes les plus indifférents. Il ne se permettait que très rarement, et entre vieux amis, les mots d'argot dont on abuse tant aujourd'hui. Il ne tutoyait que fort peu d'intimes qu'il connaissait de très longue date.

Il ne répugnait pas on le sait de donner quelque singularité à sa mise. C'était bien son droit quand il était chez lui. Il composait sa silhouette comme une oeuvre d'art. Son ample robe de chambre beige en molleton douillet répondait bien à la placidité et à l'aménité de son tempérament.

Et quant à ses diverses coiffures qu'il choisissait selon son humeur, barrette de pourpre cardinalice, foulard indien, bonnet de toile de Jouy, elles s'harmonisaient avec sa fantaisie charmante.

Il aimait qu'on le vint voir. Les réunions qui longtemps se tinrent chez lui à la villa Saïd, le mercredi et le dimanche matin ne lui faisaient pas perdre son temps. Car les personnalités les plus diverses s'y rencontraient et elles l'entretenaient de tout ce qui pouvait l'intéresser.

Il recueillait aussi une foule d'information sur les événements de la bouche même de ceux qui y étaient mêlés.

Les savants l'initiaient aux progrès de la science. Les lettrés, les artistes le renseignaient sur leurs dernières œuvres et le mettaient au courant des récentes polémiques. Les hommes politiques lui exposaient les questions actuelles.

Il les écoutait donc avec plaisir parce qu'ils lui apportaient chez lui-même le reflet de toute la vie sociale.

Ils les étudiait aussi et c'était autant de types qu'il épinglait dans sa mémoire pour les peindre ensuite dans ses romans.

Enfin, sur cet auditoire, il essayait volontiers les récits qu'il voulait écrire. C'était surtout aux femmes qu'il s'adressait pour causer, parce qu'elles lisent plus que les hommes, et qu'il voulait éprouver sur elles l'incantation de ses phrases. Ses conversations qu'il multipliait étaient les premiers brouillons de ses ouvrages.

Dans ces entretiens plus encore que dans ses livres, se décelait le fond de ses pensées.

On aurait attendu de ce raffiné, de ce magicien du verbe qu'il fut partisan de l'art pour l'art. Mais point du tout. Il n'admettait pas que la littérature ne fut que littéraire. Il voulait qu'elle fut agissante.

Il entendait que les écrivains jouassent leur rôle dans la vie de l'humanité. Et il leur assignait une très haute mission. Il désirait qu'en amusant leurs semblables, ils se fissent leurs conseillers et leurs guides.

C'est la tâche qu'il prît lui-même. On peut discuter la manière dont il l'a remplie, mais l'on ne peut nier l'élévation de ses vues.

Même sur l'histoire, qui peut passer pourtant pour une science rigoureuse, il professa une opinion ironiquement utilitaire.

Il disait que les bons historiens, c'est à dire ceux qui avaient été passionnés, n'avaient jamais écrits que l'histoire de leur temps, même quand ils avaient paru conter celle du passé le plus lointain. Il montrait que Bossuet, en rédigeant son Discours sur l'Histoire universelle avait célébré la puissance de l'Eglise du dix-septième siècle, que Voltaire avait jugé les annales humaines du point de vue d'un intellectuel du dix-huitième siècle, que Michelet en étudiant le moyen âge s'était affirmé un démocrate de 1848, que Mommsen, en relatant les fastes de Rome, pensait à l'Allemagne, que Renan n'avait pris pour thème la Vie de Jésus que pour mettre en circulation les idées rationalistes qui lui était chères.

Et Anatole France les louait tous d'avoir ainsi compris l'histoire c'est à dire d'en avoir fait un moyen d'action sur le présent.

Mais cette influence spirituelle qu'il souhaitait pour les écrivains, il n'entendait pas du tout qu'elle s'exerçât dans la politique journalière.

Lui-même ne se mêla de politique que dans les moments de crise, quand il lui semblât qu'il fallait agir immédiatement et payer de sa personne.

Mais, en temps ordinaire, il dédaignait la cuisine de la vie publique.

Que de fois des comités vinrent lui demander son nom retentissant pour l'inscrire sur leurs listes électorales ! Il n'eut jamais l'ombre d'une hésitation, il refusa toujours très nettement toute candidature.

Du reste, la liberté de ses maximes dans ses livres prouve combien il tenait à son indépendance. Les divers partis politiques se réclament des pensées qu'il a exprimées tour à tour et qui semblent opposées.

Les socialistes attestent son roman : Sur la pierre blanche, où il a développé des anticipations sur la société de l'avenir.

Les conservateurs revendiquent les vérités sévères qu'il formula contre les révolutionnaires de 1793 dans le chef d'œuvre qui s'intitule Les dieux ont soif.

En réalité, ses jugements à partir de sa maturité ne varièrent point. Mais s'il était partisan de la logique et de l'équité dans l'organisation sociale, il abhorrait tout fanatisme, et celui de la Raison plus que tout autre, parce qu'il le considérait comme le travestissement atroce d'une chose sublime.

La pondération même de son esprit rendit suspecte la sincérité de ses tendances réformatrices. On crut qu'un moraliste d'un si clair bon sens adoptait une attitude quand il s'érigeait en prophète démocratique.

Maurice Barrès nous disait un jour pittoresquement : - " Je l'aimais mieux quand il ne jugeait pas encore utile de ressembler à un de ces forains qui dévorent des lapins vivants pour étonner la populace. " - Mais Barrès se trompait.

Anatole France était profondément convaincu.

Il ne faut point dire au reste, que ses très magnanime méditations aient été malfaisantes.

Les leaders de tous partis l'ont assidument fréquenté. Ils ne l'eussent point fait si chacun d'eux n'y eut trouver quelque profit.

Si Jaurès fut son frère intellectuel, M. Clémenceau fut son grand ami. M. Briand fut longtemps de ses familiers. M. Barthou ne cessa jamais d'en être. Et l'on n'ignore pas que M. Charles Maurras, qu'il chérissait, se reconnaît son débiteur pour l'ordre harmonieux des pensées.

Certaines essences sont trop pénétrantes. Mais il ne faut pas dire qu'elles soient détestables. Il suffit de les diluer pour en faire usage.

Ainsi la pensée d'Anatole France, qu'on peut trouver parfois excessive, s'est cependant répandue comme un parfum exquis dans l'inspiration de son époque.

 

***

 

 

LE FIGARO

21 octobre 1924 - C'est encore Le Figaro qui reviendra le 21 octobre 1924, sous le titre question : POURQUOI sur l'enterrement d'Anatole France sous la signature de Fernand Vanderem, bien connu des lecteurs de René Boylesve.

POURQUOI ?

Au point de vue décoratif comme au point de vue politique, les funérailles d'Anatole France resteront un modèle du genre. Sans parler du catafalque, des draperies, des torchères, tous les pouvoirs publics, toutes les grandes administrations, tous les corps constitués, disposaient d'une tribune particulière. En outre, Anatole France appartenant à l'Académie, on avait jugé convenable de réserver quelques places aux membres de l'Institut. Et comme c'était, ne l'oublions pas, un écrivain, on avait accordé un tour de parole au Président de la Société des gens de Lettres. Enfin, en guise de clou, ce spectacle, digne de la plume de Tacite ou du sourire de M. Bergeret : M. Joseph Caillaux au premier rang, recueillant les adulations de tant de parlementaires qui, hier encore, le vouaient au diable ou même à Vincennes.

Toutefois, bizarre phénomène, dans cette belle cérémonie, on remarquait non sans stupeur, une absence étrange : celle des écrivains. Sauf deux ou trois auteurs de marque que la presse a péniblement repérés, la littérature n'était pas là. La veille, pourtant, n'avait-elle pas recréé, sur le nom d'Anatole France, l'union sacrée, saluant, dans tous les partis, avec le même enthousiasme, le même respect, son génie, son œuvre, sa gloire ?

Alors, pourquoi cette abstention en masse ?

J'ai assisté à bien des obsèques d'écrivains. Mais, qu'il s'agit d'un modeste confrère ou d'un maître célèbre, s'il se glissaient parfois dans l'assemblée quelques personnages officiels, toujours la littérature dominait, toujours la littérature était là.

J'ai vu, dans ma prime jeunesse, les funérailles de Victor Hugo. Il y avait bien, dans le cortège, des ministres, des députés, des sénateurs, les bannières des Francs-Maçons et celle des Béni-Bouffe-Toujours. Mais toute la littérature était là.

J'ai vu les obsèques de Verlaine, où le gouvernement avait daigné se faire représenté par un sous-chef de cabinet. Mais, derrière le corbillard, toute la littérature suivait.

J'ai vu les obsèques d'Alphonse Daudet, où je ne me souviens plus si figuraient ou non les autorités. Mais de la maison mortuaire jusqu'aux dédales du Père-Lachaise, toute la littérature accompagna le maître de ses bataillons émus.

J'ai vu les obsèques de Maurice Barrès. Et parmi tant de délégation du Parlement, des provinces, des sociétés patriotiques, les littérateurs se pressaient en foule.

Tandis qu'à la cérémonie funèbre d'Anatole France, sauf les quelques Académiciens privilégiés et les deux ou trois auteurs susnommés, personne d'entre-nous, personne.

***

Pourquoi ? Oh ! tout simplement parce qu'on avait négligé de nous inviter et parce que, si nous nous étions avisés de vouloir franchir les barrages du service d'ordre, la main solide, qui empignait jadis Crainquebille, nous eut dûment menés au poste.

L'enterrement d'un maréchal d'où l'on écarterait les généraux et les militaires, les obsèques d'un amiral d'où l'on exclurait les marins, celles d'un cardinal d'où l'on eut bannis les ecclésiastiques, voilà l'équivalent de ce que nous ont offert les funérailles officielles d'Anatole France.

La raison dune si paradoxale omission ? Ne vous l'ai-je pas répétée cent fois ? C'est que, pour le régime, nous n'existons pas, nous ne comptons pas. Il ne veut certes pas de mal à la littérature. Mais il ignore les littérateurs. Et, dès lors, quand il convoque à une solennité nationale toutes les hautes collectivités du pays, comment s'étonner que la seule qu'il oublie, ce soit la nôtre ? Nous ne figurons ni sur ses carnets électoraux, ni sur ses registres d'émargement, ni sur les listes d'invitation. Il ne sait ni nos noms, ni nos adresses. Où voulez-vous qu'il aille nous chercher ?

***

Néanmoins, dans la circonstance, ne vous semble-t-il pas que l'Etats eut gagné à faire un petit effort et à tenir davantage compte à tout ce qui nous liait à l'illustre défunt.

Car, passe encore pour la précipitation un peu voyante qu'à apporté le gouvernement à s'emparer d'Anatole France. La politique se plie mal aux usances et aux atermoiements. Et quand un  parti peut arborer dans ses rangs, un palladium comme Anatole France, on comprend qu'il se hâte de mettre pour ainsi dire, sur lui les scellés.

Mais si explicable que soit, politiquement, cette fructueuse opération, le gouvernement n'eut-il pas été bien inspiré en témoignant, faute de gratitude, quelques égards à la corporation de celui qui lui valait un tel appoint ? Et si l'on nous prenait Anatole France, n'eut-il pas été au moins courtois de nous convier, ne fut-ce que pour la forme, à la cérémonie de confiscation ?

D'autant plus que malgré notre déplorable organisation administrative, qui prive l'Etat de tout contact direct avec les Lettres, cette mesure de politesse ne présentait pas de si grosses difficultés.

Ne sommes- nous pas répartis en vingt associations dont le gouvernement connait, à défaut des membres, les titres : Société des gens de lettres, Société des auteurs dramatiques, Syndicat des romanciers, Cercle de la critique, Société des poètes, nos grands groupements de presse, etc. ? Or, qui croirait que, si des places leur eussent été offertes, ces Sociétés ne se fussent pas empressées d'envoyer des délégations ?

La dépense matérielle était presque nulle : quelques timbres. La dépense morale insignifiante : un peu d'élégance jointe à un peu de bonne grâce. Et, au lieu des regrettables, des inéluctables abstnetions où l'on nous a contraints l'autre jour, voyez alors dans l'aspect de la solennité quel changement !

Puis, quand l'ordonnateur aurait appelé "la famille !" - derrière la veuve et le petit fils éplorés, tous nous nous serions avancés d'un seul élan, et sans que personne put nous marchander le pas.

Fernand Vanderem

 

 

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 L'HUMANITE

Le 13 octobre, l'Humanité annonce la mort d'Anatole France par un communiqué en page 2 :

ANATOLE FRANCE EST MORT

A 1 heure du matin, nous apprenons qu'Anatole France vient de mourir. Les dernières nouvelles reçues de Tours laissaient prévoir une fin imminente. Elle eut lieu à 23h20.

Au moment où disparaît le plus grand écrivain de notre époque - l'auteur incomparable du Crime de Sylvestre Bonnard, de Thaïs, du Jardin d'Epicure, du Lys Rouge et de tant d'autres chefs d'œuvres nous saluons avec émotion l'homme qui fut un grand ami de l'Humanité, où il publia quelques unes de ses plus belles œuvres.

Artiste et penseur, Anatole France aimait le prolétariat dont il souhaitait le triomphe universel. Il admira Lénine et la Révolution russe. A ce titre il mérite que sa mémoire nous demeure chère.

Le 14 octobre, sur les deux colonnes centrales de la première page, sous un portrait d'Anatole France par Steinhem "Anatole France, dans son cabinet de travail", le journal publiait :

LE SALUT DE L'HUMANITE A ANATOLE FRANCE

Au moment où disparaît, hélas, pour toujours, l'illustre écrivain, nous voulons rappeler non sans fierté, qu'en ces dernières années, Anatole France choisit souvent l'Humanité de préférence à tout autre journal pour s'adresser à l'opinion.

Si Anatole France faisait choix de cette tribune pour faire entendre à la foule ses recommandations et ses directives, c'était de sa part, un hommage délibéré et voulu à la classe ouvrière qu'il aimait et à son organe de combat.

Il tenait en mépris la grande presse servile et menteuse. Il accordait hautement et publiquement sa préférence au journal sans tache des humbles et des révoltés.

Aussi, en ce jour de deuil, est-ce un pieux devoir pour nous de saluer une dernière fois, au nom du journal, le grand écrivain qui nous apporta une collaboration d'une si haute valeur et un témoignage si précieux de solidarité et d'affection.

Après une longue agonie, Anatole France est mort. Il était âgé de 80 ans, étant né en 1844.

L'illustre écrivain qui disparaît fut un parfait ouvrier des lettres, le meilleur de son époque, l'un des plus grands de tous les temps.

Son art était simple et harmonieux. Philosophe et érudit, il aimait les idées clairement exprimées. Il s'était forgé une langue à la fois pure et savante et extrêmement [ ? ]. Sous sa plume, les sujets graves, les problèmes ardus devenaient accessibles aux esprits les plus paresseux. C'est la raison sans doute de son immense succès.

Il proclamait toujours l'excellence de la vie. Aux prêtres qui enseignaient la nécessité de la souffrance, il opposait la bonté de la joie. Non pas qu'il fut optimiste en toutes occasions. Mais il avait pour combattre l'adversité la meilleure des armes : une ironie souriante.

Les débuts de l'écrivain

L'enfance d'Anatole France - de son vrai nom François Thibault - s'est passée dans la "cité des livres" son père étant libraire sur le quai Voltaire. Le goût d'écrire lui vint très tôt.

Admis au séances littéraires de la boutique de l'éditeur Lemerre, Anatole France écrivit ses premiers vers. Il exaltait la république - si belle alors qu'elle n'était qu'une espérance. Il étudia à l'Ecole des Chartres où, dans les bouquins poussiéreux, son esprit avide de savoir découvrit la substance spirituelle des siècles. Il écrivit pour le théâtre, notamment en collaboration avec Xavier de Ricard. Il se signala par des critiques littéraires qui servirent de préface aux éditions classiques de Lemerre.

L'œuvre

Il commença aussitôt après cette série de beaux romans : Le crime de Sylvestre Bonnard, Thaïs, l'Etui de Nacre, La Rôtisserie de la reine Pédauque, Les opinions de Jérôme Coignard, Les Contes de jacques Tournebroche, Le Lys Rouge, Le jardin d'Epicure, Balthasard, Le Livre de mon Ami, Jocaste et le Chat Maigre, Les désirs de Jean Servien, qui donnèrent à son nom un éclat universel.

Vint ensuite son Histoire Contemporaine (L'Orme du Mail, Le mannequin d'Osier, L'Anneau d'Améthyste, M. Bergeret à Paris) qui reflètent les préoccupations politiques de l'heure.

Ses quatre volumes de La Vie Littéraire, sont les feuilletons qu'il publia dans Le temps. D'autres suivirent. L'Ile des Pingouins, Les Dieux ont soif, Le Génie Latin, Vers les Temps Meilleurs, La vie en Fleurs, etc, etc ...

Sceptique et indulgent, il sut néanmoins prendre parti en diverses occasions mémorables. De même qu'en ses jeunes ans, il avait pris la république au sérieux, il combattit, au temps de l'affaire Dreyfus, le nationalisme et les forces de réaction.

Anatole France philosophe

Grand ami de Jaurès et socialisant, il a compris dès cette époque le danger de l'Etat bourgeois, de la caste militaire, de l'ordre capitaliste. Il sentit au temps du tsarisme assassin, le danger de l'alliance franco-russe. "L'Alliance, c'est l'emprunt" se plaisait-il à dire. Plus tard, il méconnut les mobiles réels de la guerre de 1914. Il les comprit ensuite quand il proclama, avec son ami, Michel Corday : " On croit mourir pour la patrie, on meurt pour des industriels."

Ce nihiliste intellectuel n'était au fond qu'un grand libéral, tout imprégné de sentiments démocratiques. Nullement timoré - il a admiré Lénine sans comprendre toutes les conséquences de la révolution bolchevique - il adhéra au socialisme d'abord, au communisme ensuite, mais en les considérant comme l'achèvement de la démocratie.

Il admettait comme légitime que le prolétariat dirige et utilise lui-même sa propre force. Il ne croyait pas, comme Bourget, la guerre éternelle.

Il entrevoyait l'union des prolétariats. Dès 1905, alors que fermentait déjà la révolution russe, il disait dans une réunion organisée au Trocadéro : "Prenons ici, l'engagement d'aider, de servir par tous les moyens en notre pouvoir, la Révolution qui pour lointaine qu'elle est, gronde à nos oreilles, car il n'y a déjà plus de distance entre les peuples.

 Anatole France et le communisme

Est-ce à dire qu'il était tout à fait des nôtres ? Non. Car intellectuel de la grande lignée des Montaigne, des Voltaire, des Renan, ne pouvait concevoir dans toute son étendue la Révolution prolétarienne que, dans son amour de la justice, il pouvait souhaiter. L'inévitable violence des convulsions sociales dérangeaient par trop ses habitudes d'esprit. S'il admettait la lutte de classe, c'était comme pis-aller. Les solutions pacifiques convenaient mieux à la sérénité de sa pensée.

Ce n'est pas l'homme politique que retiendra la postérité, mais le génial écrivain qui a poussé à un aussi haut degré de perfection l'usage des mots qui traduisent les nuances les plus délicates de la pensée.

La lecture de ses livres restera un enchantement pour les générations futures comme elle l'est pour ses contemporains. On ne saurait trouver plus d'esprit philosophique allié à plus de clarté dans l'expression.

La Révolution prolétarienne qu'Anatole France entrevit parfois et souhaita comme l'indispensable recours des masses spoliées, niera la culture bourgeoise, fera table rase de bien des formules périmées. Mais l'importance littéraire de l'œuvre d'Anatole France sauvera son nom de l'oubli.

Déjà plein d'années, il donna à notre mouvement naissant son adhésion morale jusqu'au jour où d'autres influences l'écartèrent un peu de notre voie. Si l'admirable écrivain de Crainquebille, plus démocrate que vraiment communiste, ne fut pas l'intégral moteur que notre époque réclame, nous nous inclinons cependant avec émotion devant le beau labeur de ce grand ouvrier des lettres, qui a été de son temps, l'a devancé parfois et de toutes manières a bien rempli sa journée.

Fernand Despres (*3)

 

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 Le TEMPS (*4) Dans son numéro du 14 octobre, en troisième page, un discret article sur trois colonnes, anonyme.

LA MORT D'ANATOLE FRANCE

LES DERNIERS MOMENTS

La mort a clos la longue et paisible agonie du Maître glorieux dont la belle et lucide intelligence universellement rayonnait. Anatole France s'est éteint cette nuit, à une heure et demie. Sa robuste et souriante vieillesse avait entendu le dernier jour d'août le suprême avertissement. Il l'avait accueilli avec la philosophie d'un sage. Contre toute espérance, ses proches, ses amis, voulaient encore espérer et sa sérénité qui se traduisait en propos affectueux et tendres, dégagés de toutes appréhensions, les y encourageait. Cependant depuis le 4 de ce mois, il n'était plus que la flamme vacillante qui va finir. Le monde entier, dans l'attente du dénouement fatal, suivait, [     ]   anxieux, la faible [      ]  sortit de cette bouche qui avait prononcé les paroles les plus harmonieuses qui aient chantées sur les lèvres des hommes. Dans cette funèbre veillée, les esprits communiaient en pensée et de toutes parts s'élevait déjà le cantique d'admiration saluant l'œuvre immortelle d'un des plus grands écrivains de la langue française.

A six heures, hier matin, pour la première fois depuis la longue agonie dont de brefs billets communiqués à la presse fixaient l'ingrat développement, la pensée du malade oscilla vers les ombres. Il avait perdu connaissance dans cette chambre Directoire, toute peuplée des souvenirs que son art avait choisis. Anatole France achevait de mourir. Des gémissements étouffés à peine perceptibles, précipitaient l'angoisse des assistants. Un nom, le nom le plus sacré de la tendresse humaine errait sur ses lèvres : "Maman" appelait-il.

Maman, c'était vers cette pieuse figure, penchée il y a bien longtemps, sur un berceau que le chantre de la pitié et de la vie tournait, au moment de mourir, son regard éteint.

Pourtant, la lutte se prolongeait sourde et tenace, entre l'esprit et les ténèbres.

"Je meurs", murmurait le Maître.

Ainsi fut tout un long jour et la nuit vint. Autour du mourant, les amis étouffaient leur désespoir, ils savaient qu'il ne voulait pas qu'on le pleurât.

Aux cotés de Mme. Anatole France, le docteur Mignon suivait les ravages du mal.

A 11 heures 26 minutes Anatole France expira ; on prévint les hôtes de la Béchellerie : M. Léopold Kahn, le secrétaire, Mme. Voisin, M. Michel Corday et M. François Crucy. On évita au petit-fils de l'écrivain, Lucien Psichari ce spectacle douloureux.

Dans cette pièce jadis si gaie où l'écrivain s'enivrait au chaud soleil tourangeau, la mort a fait son gîte. Sur le lit Louis XVI, où il a souffert, Anatole France, maigri, repose. On l'a revêtu d'une chemise de nuit blanche ; sur le drap, remonté jusqu'à mi-corps les mains sont posées l'une auprès de l'autre.

L'ouverture du testament aura lieu demain dans la matinée, probablement les deux notaires, celui de Paris et celui de Poitiers, ainsi que M. Calmann-Lévy son éditeur, ont été prévenus. Les détails des obsèques seront réglés dès l'ouverture du testament.

NOTES BIOGRAPHIQUES

M. Anatole France, de son vrai nom Thibault, est né à Paris en 1844. Il était fils d'un libraire parisien établi au quai Malaquais et, comme Charles Monselet, fils d'un libraire de Nantes, il aurait pu dire :

Le principal étant de vivre

Fidèle au - tel père, tel fils -

Ma ressource devient le livre

Mon père en vendait, moi j'en fis.

D'ailleurs il commença par aider à en vendre. De même en effet qu'Emile Zola fut, à ses débuts, employé à la librairie Hachette, il fut attaché comme lecteur à la Librairie Lemerre pour laquelle, en outre, il écrivit des notices et des préfaces et prépara des éditions et des rééditions.

Il fit ses études au collège Stanislas.

Il collabora tout d'abord à plusieurs publications littéraires, notamment au Chasseur Bibliographe dont il était secrétaire de rédaction et où il faisait la " revue des livres " sous son nom d'A Thibault et la revue théâtrale sous le pseudonyme d'Anatole France à la Gazette rimée, à la Gazette bibliographique, à l'Amateur d'autographe, au Bibliophile Français, etc ...

C'est en 1873 qu'il fit paraître son premier volume, les Poèmes dorés. A part ce recueil les Noces Corinthiennes 1876, drame antique qui fut représenté à l'Odéon en 1902. Au petit bonheur, un acte joué au Théâtre de la Renaissance en 1906 et plusieurs poèmes parus dans des revues notamment la Légende de sainte Thaïs, comédienne, première version, mais en vers, de Thaïs, que publia en 1867 le Chasseur bibliographe, toute son œuvre est en prose.

La liste de ses ouvrages est longue et offre une variété extrême.

Voici, tout d'abord, celles de ses oeuvres d'imagination, romans, contes et nouvelles : Jocastre et le Chat maigre (1879), Balthasar (1889), Le crime de Sylvestre Bonnard (1881), Les Désirs de Jean Servien (1882), Le Livre de mon Ami (1885), Thaïs (1891), l'Etuit de Nacre (1892), Les opinions de Jérôme Coignard (1893), La Rôtisserie de la Reine Pédauque (1893), Le Lys rouge (1894), le Jardin d'Epicure (1895), Le Puits de Saint Claire (1895), les quatre volumes qui forment la série de "l'Histoire Contemporaine", l'Orme du Mail (1897), le Mannequin d'Osier (1897), l'Anneau d'Améthyste (1899) et Monsieur Bergeret à Paris (1901), Pierre Nozière (1899), Clio (1900), Histoire 

 

 

 

 

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 La Croix du 14-10-1924 ( Note discrète de première page en milieu de 5ème colonne ) Anonyme - comme tous les forfaits.

MORT D'ANATOLE FRANCE

M. Anatole France est mort

M. France, de son vrai nom Anatole Thibault, était le fils d'un libraire de Paris. Il était né en 1844. D'une grande habileté de plume mais d'une profonde immoralité, il a écrit de très nombreux romans qui lui valurent une renommée mondiale. En vrai élève de Voltaire il voulut s'attaquer à Jeanne d'Arc : on sait le livre qu'il produisit. La passion politique conduisit le père de M. Bergeret, lui, le propriétaire de la merveilleuse villa Saïd, au Bois de Boulogne, à s'affirmer lourdement communiste. Il avait obtenu le prix Nobel de la littérature en 1921.

Après une longue agonie, il s'est éteint dans la nuit de dimanche à lundi, à 11h1/2.

Par testament, le défunt a demandé des obsèques civiles.

Triste fin de la triste vie d'un homme qui avait du reste un très beau talent.

Le gouvernement aurait proposé des funérailles nationales, mais en l'absence des chambres, elles se feront seulement aux frais de l'Etat. MM. Doumergue et Herriot envoyèrent à Mme. Anatole France leurs condoléances.

Le 19 octobre, en deuxième page, cinquième colonne, La Croix rendait compte de l'enterrement.

Les obsèques d'Anatole France

C'est, on le sait, ce samedi à 11 heures qu'à eu lieu la levée du corps quai Malaquais.

Sur le quai Malaquais en face de l'ancienne librairie du père d'Anatole France, un catafalque enveloppé de mousselines violettes et orné de quatre cassolettes, est dressé. Dans la tribune ont pris place le président de la République, les ministres, des académiciens, des parlementaires, des littérateurs etc ...

M. Caillaux y est d'ailleurs à son arrivée, l'objet de chaleureuses félicitations.

Prennent successivement la parole :

1er M. Hanotaux ;

2è M. Georges Lecomte ;

3è M. Ferdinand Buisson au nom de la Ligue des droits de l'Homme ;

4è M. Painlevé en son nom personnel

5è Le ministre de l'Instruction publique

6è M. Léon Blum au nom du Parti Socialiste

7è M. Jouhaux au nom de la Confédération Générale du Travail

Les discours terminés, le programme musical épuisé, le cortège se forme. Deux chars de fleurs, puis le catafalque trainé par six chevaux caparaçonnés d'argent et la foule. Et sur les quais, puis par la Concorde noire de monde, la dépouille d'Anatole France est conduite au cimetière de Neuilly.

Et tout ceci s'est passé sous le sourire moqueur de Voltaire.

Voici un spécimen tiré de la harangue de M. Painlevé, comprenne qui pourra !

" O poète, que votre âme, éparse dans la divine lumière par elle divinement chantée, épouse la pure beauté des lignes et des contours, pénètre et imprègne l'âme entière de l'humanité pour que celle-ci devienne plus douce, pour qu'elle se purifie des erreurs de la violence et du mensonge, pour que le soleil de demain renaisse suivant votre espoir plus radieux et plus beau. "

 

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 Le Journal des Débats Politiques et Littéraires le 14 octobre 1924

ANATOLE FRANCE  par Armand ALBERT-PETIT *5).

"On a un peu honte d'écrire en ce jour de deuil des banalités sur l'homme qui 'avait le plus au monde l'horreur des idées convenues et des phrases toutes faites. Anatole France avait réalisé le paradoxe d'être populaire sans sacrifier a la vulgarité, et d'être goûté par des esprits, du tour le plus différent et de la formation la plus adverse. Il savait si bien comprendre les idées qui n'étaient pas les siennes et les sentiments qui ne lui étalent pas naturels que, par un juste retour, son charme ne laissait insensible aucun de ceux qui avaient le regret de n'en pouvoir pas toujours approuver l'emploi. On lui doit quelques-unes des pages les plus parfaites de notre littérature, de celles dont Jules Lemaître disait que tout homme qui a le culte de notre langue voudrait les avoir écrites.

Il a su animer d'une vie à là fois très réelle et très symbolique les personnages les plus contradictoires. L'excellent Silvestre Bonnard de ses débuts, savant ingénu dont la bienfaisance bourrue a des délicatesses maternelles qui essayent en vain de se voiler sous des dehors archéologiques, est la première de ces savoureuses incarnations dont la galerie incomparable constitue nos portraits de famille. L'abbé Jérôme Coignard est de la même lignée, mais son ingénuité est de caution moins bourgeoise. Sa sagesse est de celles qui résistent rarement  à la tentation,  et sa pensée a des hardiesses dont sa soumission théologique aux vérités de la foi n'atténue que bien tardivement le danger. M. Bergeret, qui ne porte que la robe du professeur, est plus libre encore dans ses propos. Venu plus tard dans un monde plus laïcisé, il néglige davantage les précautions oratoires dont s'entourait la verve gauloise et iconoclaste de l'habitué de la rôtisserie de la reine Pédauque. A côté de ces sages et discrets vieillards dont la docte assemblée juge le siècle avec "une vertu fortifiée par l'âge", le néophyte Evariste Gamelin représente l'ardeur inconsidérée de la jeunesse qui croit tout résoudre par des formules, alors que les formules sont bonnes tout au plus à justifier et à classer après coup les gestes désordonnés des hommes. Le dernier mot de tout n'est-il pas la philosophie désabusée, de Crainquebille, qui renonce à comprendre la malice des hommes et des dieux et qui se couche sous sa voiture de marchand des quatre saisons comme Diogène dans son tonneau sans plus rien attendre de bon ni dans ce monde ni dans l'autre ?

Les héroïnes d'Anatole France, du moins celles qui lui sont le plus chères, se perdent encore moins en vaines complications. Leur vertu principale, celle qui leur tient lieu de toutes les autres, c'est de
suivre les impulsions de la bonne nature. La toute gracieuse princesse Trépof passe de sa mansarde du quai Malaquais à son hôtel des Champs-Elysées en changeant simplement de robe. Catherine la dentelière n'écoute pas les dissertations de Jérôme Coignard ce qui n'offense en rien le bon maître exempt de toute vanité et qui  ne parle pas pour être écouté, mais elle a l'oreille fine quand il s'agit d'appels moins philosophiques. Et ses sœurs les plus raffinées, femmes du monde du Lys rouge ou courtisanes de l'époque de Thaïs, ne sont pas d'une autre substance. Les Instincts élémentaires sont leur conscience, elles sentent que leur rôle est d'y céder ; c'est à ce prix qu'elles sont une force de la nature, et l'exercice de cette force ne leur parait pas d'ailleurs sans agrément. Tout le reste est de la parure, qui doit conduire au but et non pas en détourner.

On trouvera sans doute que nous simplifions un peu trop. Cependant l'abus de certaines scènes ne s'expliquerait pas autrement. Dans Les Dieux ont soif, il est deux pages déplaisantes, qui n'ont aucun lien visible avec le sujet et qui seraient un hors-d'œuvre sans excuse si elles ne répondaient pas à la pensée profonde de l'auteur. Le malheur, ce qui fait précisément que le Maître ne les a pas supprimées, c'est que pour lui elles n'étaient pas hors du sujet, qu'elles étaient, au contraire, au cœur de l'éternel sujet à traiter dès qu'il s'agit de l'éternel féminin. On peut regretter que cette tendance épicurienne ait de plus en plus prévalu dans l'œuvre d'Anatole France, mais ce serait se tromper que d'y voir un manque de goût, une défaillance du génie. C'est la conséquence naturelle de sa conception païenne de !a vie, qui a toujours été la même, mais qui s'est accentuée avec l'âge, parce que la critique n'atteint plus ces sommets olympiens.de la gloire où Anatole France était parvenu depuis de longues années.

Beaucoup de ceux qui vont magnifier Anatole France et demander pour lui des honneurs qu'il n'aurait probablement pas enviés célébreront l'ardeur dernière de ses convictions sociales. Sa pitié pour la souffrance humaine, sa sympathie pour les déshérités à qui !a vie refuse les joies du corps et les satisfactions de l'esprit, méritent, un universel hommage. Ne dénaturons pas ces sentiments généreux et imprécis en leur imposant les contours aigus d'une doctrine. Anatole. France est tout l'opposé d'un doctrinaire. Il a fait le tour de tout ce que les hommes ont souffert et pensé depuis qu'il y a des hommes, et qui pensent et qui souffrent. Il a vu la misère de la condition humaine, il n'en a pas pris son parti. N'ayant pas la foi aux compensations éternelles, il a rêvé, il a souhaité un peu de paradis sur terre. Ceux mêmes qui trouvent que ses rêves et ses souhaits se sont parfois exprimés sous une forme qui n'était pas la meilleure ne peuvent que s'incliner devant la tendance qui les a inspirés.

 

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*1) Le Figaro qui réagit très vite à la mort d'Anatole France par cet article d'Abel Hermant, y revint chaque jour, et y consacra une revue de presse le 14. Robert de Flers écrivit un autre article conséquent le 19 octobre, après l'enterrement, précédent un compte rendu de ce dernier.

*2) Abel Hermant : 1862 - 1950 Successeur de René Boylesve à l'Académie Française, écrivain prolifique et très apprécié entre les deux guerres, il prit la rubrique littéraire du Figaro en 1918. Oublié aujourd'hui, quelques uns de ses livres d'un humour agréable, méritent l'attention de ceux que cette époque intéresse.

*3) Cet article de l'Humanité me semble assez remarquable, d'abord d'honnêteté, ensuite parce que, en faisant de justes réserves au sujet de l'engagement et des idées d'Anatole France, en conformité de ses propres idées, Fernand Despres lui donne, sans le savoir, raison au regard de la postérité. C'est tout le communisme qui a basculé dans l'oubli avec sa rhétorique marxiste assez proche d'ailleurs de celles des curés qu'Anatole France a toujours moqué et avec l'illusion dont elle se nourrissait. 

*4) Anatole France collabora au Temps de 1875 à 1879 et de 1886 à 1893. Une partie de ses chroniques a été publiée par lui en quatre séries, deux autres furent publiées après sa mort, la sixième dans l'Edition des Œuvres complètes de Edito Service.

*5) Armand Albert-Petit, 1860-1939, Historien, signe un bel et intelligent article.

 

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