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ANATOLE FRANCE et ANDRE GIDE

 

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Anatole FRANCE  ANDRE GIDE

Pour s'amuser : A.FRANCE  A.GIDE

La littérature française, aux époques où elle était un des éléments les plus importants de la vie nationale, a connu quelques papautés marquées. De Voltaire à Hugo en passant par Chateaubriand et Lamartine, puis de France à Gide pour mourir en Sartre et Camus, le premier n'ayant pas pu assumer seul ce rôle qui aurait peut-être échu au second. On pourrait m'objecter qu'entre ces étoiles de première grandeur d'autres se sont glissées, tels Renan, Barrès, Bourget, mais le premier a été relativement oublié du grand public en raison du genre où il excellait, les deux autres en raison de leurs idées et de la nature d'un militantisme qui ne peut que devenir archaïque.

J'oublie donc volontairement Barrès entre France et Gide pour tenter de cerner ce que ces deux ont en commun. D'abord, à n'en pas douter, un amour de la liberté. Seulement, France, le plus ancien, est né libre quand Gide a dû la conquérir sur l'environnement le plus rétrograde et c'est là un paradoxe dont l'explication principale tient certainement aux milieux familiaux et sociaux. La conquête de la liberté sur la religion, marquera l'oeuvre de Gide et sera à l'origine d'un malentendu entre lui et les catholiques qui verront longtemps en lui un des leurs puis tenteront encore de le convertir. France connaîtra ce malentendu au plan politique, longtemps situé à droite en raison de son classicisme et d'une réserve politique il sera regardé comme un transfuge auquel on prêtera beaucoup de mauvaises raisons avant que de l'abandonner à la gauche sociale pour certains non sans le renier. Les deux hommes sont des sensuels, ils ont tout les deux la religion du plaisir, mais chez Gide, le plaisir sort de la faute, du péché alors que chez France, il est naturel, donné. Cela sera à l'origine du grand reproche de Gide à l'égard de France : le manque d'angoisse. France n'avait pas à se retourner à chaque seconde pour voir s'il n'était pas épié dans sa chasse au plaisir de même qu'il n'avait pas connu ce sentiment trouble du plaisir conquit sur l'interdit.

Les deux hommes s'intéressèrent à la justice, je devrais dire à l'injustice, mais l'angle selon lequel ils abordent le problème est très différent. Pour France, il s'agit simplement de la justice due à l'homme, pour Gide, il s'agit plus de comprendre l'homme derrière le "coupable". France se bat pour une justice "humaine", pour Gide le problème est ailleurs, il ne peut y avoir de justice étant donné la diversité de l'homme. Là encore, l'angoisse n'est pas la même, celle de France naîtra de l'inquiétude pour l'innocent, celle de Gide va aux profondeurs de l'humain. Dans le combat France lui est supérieur, dans le long terme, Gide milite pour une compréhension, une exploration serait plus juste, des extrêmes qui ne va pas peut-être pas jusqu'à, ou qui est au-delà, de la simple justice institutionnelle dont on sait alors qu'elle sera toujours "injuste".

C'est le sentiment de l'injustice qui mènera cependant les deux hommes vers la chose sociale, mais France s'y retrouvera mieux que Gide - l'époque y est plus favorable -, il n'est pas confronté dès le début de son parcours à un communisme dont l'évolution ne permet plus d'ignorer qu'il a fourvoyé le socialisme - tout comme catholicisme et protestantisme ont fourvoyé le christianisme. France, de plus, est un sceptique, il se défie de tout et en tout perce la faille, Gide en est incapable et il lui faut la sentir, la vivre, pour la voir.

Sur la forme, France sera classique alors que Gide, " né " après Dostoïevski trouvera un style personnel légèrement précieux, d'une préciosité qui ne gêne pas, bien au contraire, le lecteur. France est un grand " causeur ", pas Gide qui serait plus tôt un faux silencieux, et leur différence de style traduisent bien cette différence. Le style de France est celui d'une conversation élevée, d'une forme qui tend à la perfection alors que celui de Gide tient de l'élaboration artistique. Ni l'un ni l'autre ne sont des grands romanciers, mais tous deux donnent des romans qui marquent. France avec par exemple son Histoire contemporaine et les Dieux ont soif, Gide avec les Caves et les Faux-Monnayeurs. France fut journaliste là où Gide se contenta ( ou exigera ) des revues puis, rapidement, " sa " revue. Chez Gide la volonté de faire école est permanente - une école où la seule règle est : priorité à l'art, elle n'existe pas chez France qui n'en est cependant pas étranger aux mouvements artistiques de son époque.

Tous deux athées, Gide restera un athée " converti " à l'athéisme et un croyant dans la forme là où France sera le véritable énergumène, une image de l'athée moderne qui ne regarde la religion que de l'extérieur non sans en comprendre les acteurs, les deux cependant seront finalement exécrés par la " Sainte mère " romaine et considérés, ce qui n'est pas peu, comme des représentants du diable. Chez Gide, la préoccupation est " divine ", chez France elle tient dans les hommes, c'est l'animal ecclésiastique qui l'intéresse.

La position officielle de France sera également différente de celle de Gide, si tous deux sont honorés du Prix Nobel, France sera académicien, honneur dont Gide ne voulu pas, France, institution quasi "officielle", aura droit aux obsèques nationales alors que Gide n'aura pas cette reconnaissance - préjugés de moeurs  -. Tous deux cependant seront dès le jour de leur mort la cible des imbéciles, surréalistes annonceurs des sectarismes totalitaires pour France, communistes pour Gide et pour tous deux cagots de tout poils. Pour la petite histoire, c'est l'ami de Gide, Valéry qui succédera à l'académie française, à Anatole France, cet admirateur de Salazar dont d'aucuns ne cessent d'évoquer l'intelligence, se fera remarquer par la rancunière et très petite impolitesse de ne pas nommer une seule fois son prédécesseur dans son éloge. Enfin Anatole France sera le premier préfacier de Marcel Proust que Gide se reprochera longtemps d'avoir " laissé passer ".

L'un et l'autre ont été menaçants pour l'ordre établi. Mais c'est encore Gide qui l'aura été le moins ne s'attaquant qu'aux mœurs et ne faisant souvent qu'oser affirmer haut ce que beaucoup déjà acceptaient ou pratiquaient dans l'ombre. France lui, était éminemment subversif pour l'ordre social autant que pour les mœurs. Ses livres engagés sont redoutables et pleines de formules qui font mouche et n'épargnent pas grand chose. Relativiste absolu, il ne tenait rien pour définitif et pas grand chose pour sûr ce qui est toujours une attitude éloignée de celles des politiques qui, à les entendre, touchent toujours à la fin de l'histoire, la perfection collant à leurs godasses.

Je pense que Gide a laissé une grande image avant tout par la volonté assumée et illustrée par son œuvre, sa correspondance, ses relations, d'être un révélateur pour les générations qu'il a vécues. France a moins pensé son rôle, il l'a assumé tranquillement au fur et à mesure que le courant l'emportait, le faisait entrer dans les débats. Au contraire de Gide il a très bien compris son temps au plan social et politique.

Gide satisfait en nous le penchant à s'arque bouter sur l'art et sur la littérature qui en est son expression la plus " révélée ", c'est une position de repli face à la société qu'on n'appréhende plus dès lors que sur un plan individualiste, mais c'est une position qui permet de dépasser l'impasse politico-sociale. Je ne sais pas si France nous incite vraiment à nous lancer dans la lutte sociale et politique qui est son pendant inévitable, mais c'est de ce coté qu'il porte les yeux, plongeant sans cesse dans le passé pour éclairer l'avenir, n'abandonnant jamais une philosophie mélange d'hédonisme et de scepticisme et tout empreinte d'une authentique sagesse dans sa vision de l'homme, de l'histoire, des sociétés.

Il ne s'agit ici que d'un exercice rapide et superficiel, qu'un spécialiste qualifierait peut-être de mauvaise esquisse de devoir, mais le thème mériterait certainement une véritable étude pourvu qu'elle ne soit pas rédigée selon les normes en vigueur actuellement et dans le jargon des professeurs.

10 juin 2004

 

Il y eut après la mort d'Anatole France au moins trois sortes d'attaques. La première, stupide et sans conséquences, est celle des surréalistes dont les jugements hâtifs et sommaires relevaient plus de la mauvaise plaisanterie que de la littérature. La seconde est celle de Paul Valéry et n'est qu'une mesquinerie de la part d'un esprit petit. Elle consista à ne pas énoncer le nom d'Anatole France lors de son discours de réception à l'Académie où il succédait à l'illustre auteur.

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