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LES ŒUVRES : Leurs œuvres

 

ANATOLE FRANCE ET LES NATIONALISTES

 

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Ils furent de véritables bêtes furieuses, des fous ivres de Patrie, un jour on en verra une partie trahir leur chère "nation" au profit de Hitler, peut-être parce qu'ils avaient toujours confondu Patrie, Nation et défense de leurs intérêts, ce qui expliquerait finalement pour quelles raisons ils étaient si âpres et tellement prêts à risquer la vie des autres. Au fond je leur préfère de loin ces jouisseurs dégénérés qui constituèrent une autre grande fournée de traîtres mais qui, eux, au moins, ne cachaient pas qu'ils se battaient pour leurs privilèges : les aristocrates exilés lors de la Révolution.

Je donne ci-après un article d'Anatole France, écrit après le bombardement de la cathédrale de Reims par les Allemands en 1914 et laisse, dans un premier temps le lecteur apprécier le goût de ce texte avant que d'expliquer pour quelles raisons je le donne à lire.

 

Lettre du 22 septembre 1914

Mon cher Hervé,

Je viens apporter à la Guerre sociale (*1) ma protestation indignée contre la destruction de la cathédrale de Reims. Les barbares ont incendiés, en invoquant le dieu des chrétiens, un des plus magnifiques monuments de la chrétienté.

Ils se sont ainsi couverts d'une infamie immortelle ; et le nom allemand est devenu exécrable à tout l'univers pensant. Qui donc, sous le ciel, peut douter maintenant qu'ils sont les barbares et que nous combattons pour l'humanité ?

La guerre sera sans merci. Soldats du droit, nous resterons dignes de notre cause, nous nous montrerons jusqu'au bout formidables et magnanimes.

Comme vous le dites dans votre noble article d'hier, mon cher Hervé, nous tirerons une vengeance impitoyable de ces criminels. Nous ne souillerons notre victoire d'aucun crime, et sur leur sol, quand nous aurons vaincu leur dernière armée et réduit leur dernière forteresse, nous proclamerons que le peuple français admet dans son amitié l'ennemi vaincu.

Je vous serre la main patriotiquement.

Anatole France "

 

 

Voilà une lettre qui nous semble, à moi en tout cas, faire bien des concessions au nationalisme. " barbares, infamie immortelle, le nom allemand devenu exécrable à tout l'univers pensant, " opposés à : " nous resterons dignes de notre cause, formidables et magnanimes, " et bien ... cela ne suffisait pas à nos excités.

Maurice Barrès, Albert de Mun qui devait mourir quelques jours plus tard, Clémenceau, l'élite de la racaille nationaliste en somme, criaient immédiatement au scandale, vitupéraient le Maître. Pour quel crime ? "amitié". Pas question d'admettre dans son amitié l'ennemi vaincu ! Ces gens en voulaient encore des guerres et des guerres pour la "fin des siècles des siècles" comme disaient leurs curés ! Ils en eurent une autre, belle et bonne en 1939 ! comme ils l'avaient souhaitée déjà en somme en ce début de premier massacre !

Ulcéré de ces critiques imbéciles qui déchainèrent contre lui la foule des patriotes planqués, Anatole France adressa à Hervé qui avait d'ailleurs pris sa défense, une seconde lettre dans laquelle il fit quelques concessions au délire de ses contradicteurs :

 

Lettre du 28 septembre 1914

" Mon cher Hervé,

Vous ne vous êtes pas trompés sur ma pensée que vous avez hier fidèlement commentée. Etait-il besoin de le dire ? L'Allemagne qui menace l'Europe depuis quarante ans n'a pas d'adversaires plus confiants et plus résolus que nous. Nous ne voulions pas la guerre. Maintenant nous voulons la victoire. Nous la voulons énergiquement.

Nous la voulons avec tous ses fruits. Pour ma part, je me félicite d'avoir tenu, dans la lettre que je vous ai adressée, un langage assez fier, à le bien comprendre, le langage d'un Français soucieux de la gloire de son pays, et qui n'est pas assez stupide en tout cas pour conseiller à la France victorieuse de conclure une paix précaire et stérile. Mais je ne veux pas parler de moi davantage. Que valent à cette heure les paroles ?

Ne détournons pas notre pensée de nos soldats, plus grands que leurs grands ancêtres et dont le courage fait l'émerveillement du monde.

Beaucoup sont déjà tombés. Il en tombe au moment où j'écris et cette pensée fait trembler ma main ; il en tombera encore, hélas ! Du moins le sang de ces jeunes hommes et les larmes des mères n'auront pas coulés en vain. Il en naîtra la victoire et ce sera le triomphe de la justice et de la liberté.

Avec quelle tendre admiration, quelle pieuse reconnaissance nous contemplons ces héros qui, par un effort surhumain allègrement accompli, par le sacrifice de leur vie encore dans sa belle nouveauté, délivrent la patrie d'un ennemi monstrueux et sauvent l'Europe de la barbarie.

Par eux, la victoire est assurée. Et (qu'on soit sans inquiétude à cet égard) nous exigerons de l'Allemagne toutes les réparations, toutes les restitutions dues, toutes les garanties nécessaires.

Je vous serre la main.

Anatole France "

 

Après cette lettre, le journal Le Temps, entre autres, publia un article favorable à Anatole France sous le titre "Incident clos". Rappelons que c'est le même journal qui, après guerre, ne rendit pas compte de la parution des cinq volumes de l'Anthologie des Ecrivains morts à la guerre" dont son critique littéraire le sinistre Souday n'avait même pas, ainsi que je l'ai déjà rapporté, découpé les pages sauf celles concernant Péguy et deux ou trois autres et que j'ai acquis à l'état de neuf. Le Temps n'allait pas jusqu'à se soucier de ceux qu'il avait envoyé se faire tuer.

 

Article du Temps du 3 octobre 1914, non signé.

INCIDENT CLOS

La lettre adressée au ministre de la guerre par M. Anatole France (*2) met fin à un incident qui se termine il faut le dire hautement, tout à l'honneur du célèbre écrivain. Un mot prononcé par lui naguère dans un document public, parut trop généreusement prématuré. Il le rectifia aussitôt par un commentaire qui ne laissait subsister aucun doute sur sa pensée et précisait nettement ses intentions. Mais cela ne suffit pas à son patriotisme justement soucieux de s'affirmer sans réserves ni réticence, à cette heure décisive où la France a besoin du courage et du talent de tous ses enfants. C'est pourquoi il s'est mis à la disposition du ministre de la guerre en des termes qui ont satisfaits ses nombreux admirateurs =et qui ne sauraient surprendre qu'un adversaire de parti pris et un détracteur de mauvaise foi.

Nul n'a le droit, en ce moment, de suspecter chez autrui un patriotisme dont l'unanimité a fait tout à coup, sous la menace de l'ennemi commun, l'accord magnifique de tous les partis politiques, de toutes les confessions religieuses, de toutes les écoles littéraires. En face des germains d'Allemagne et d'Autriche il n'y a plus en France que des Français réconciliés et fraternellement résolus à tous les sacrifices qu'impose le devoir national.

On ne reprochera pas à M. Anatole France d'avoir allégé, en ce qui le concerne personnellement les honorables charges de ce dernier. Noblement désireux d'écarter de l'entretien public tout ce qui pourrait être sujet de dispute, l'illustre académicien offre de "cesser d'écrire". Ce serait dommage. Il faut, en effet, que les brutales prétentions de la Kultur germanique, caricature de science et forme pédantesque de la barbarie soient combattus par tous ceux qui sont les représentants éminents et bienfaisants de la culture française et de la civilisation européenne. Il faut ... - puisque nous vivons des heures dont le souvenir doit être impérissable, - il faut qu'un monument soit écrit à la gloire de cette armée française qui est le meilleur de la nation, et dont l'héroïque exemple égale ou dépasse l'antique ... des générations disparues. Il y aura de l'ouvrage pour nos historiens et pour nos poètes. Dans l'élite de nos écrivains, M. Anatole France a depuis longtemps marqué sa place au premier rang. C'est un poste où son grand talent, renouvelé, fortifié par une matière neuve ne manquera pas de s'exercer et de servir.

 

Le "boche" : Appelé il y a plus de trente ans à expliquer à deux sarrois qui avaient fait la guerre, sous l'uniforme de la Wehrmacht, et qui passaient en revue les surnoms que les français leur donnaient durant l'occupation, je fus bien embêter de leur dire d'où provenait le terme "boches" pourtant le plus souvent utilisé pour qualifier l'ennemi. Comme je leur disais que ce terme est  péjoratif, ils me demandèrent ce que signifiait "péjoratif" et quand il l'eurent compris je les vis stupéfaits, ils venaient de se rendre compte qu'ils avaient été haïs durant toute cette période et que ces surnoms n'étaient pas des noms amicaux ! Quant au mot "boche" il semble qu'il est une forme abrégée du terme "alleboche" ou "alboche" employé après la guerre perdue de 1870, pour désigner les prussiens, lequel n'était qu'une déformation du mot "allemand".

 

Lire la presse des années de guerre est étonnant. Passons sur les communiqués quotidiens concernant l'étonnante progression russe, pas toujours d'ailleurs faux puisque les russes à plusieurs reprises infligèrent de sérieuses défaites aux sinistres vatenguerres d'opérette autrichiens, premiers responsables de l'hécatombe. Mais le débat entre La Croix et le Temps et le gouvernement sur les prières officielles et la présence des autorités aux cérémonies religieuses au moment où des millions d'hommes sont sous les obus est étonnant ! Pendant ce temps le Président des Etats-Unis appelait les Américains ... à la prière ! Etonnants ces débats mais pas tant que cela. Il y eut en effet durant la première guerre mondiale tout une guerre de propagande autour de l'idée de France anticléricale, guerre dont la cible était les neutres, avec la complicité du Pape pro-allemand, auxquels il s'agissait de vendre - du coté allemand - l'idée d'une France athée à combattre. Lire sur le sujet l'intéressant Journal du Cardinal Baudrillart ( qui devait bien mal finir en pronazis ).

Si le nationalisme est une religion, tout aussi nuisible que les autres, il est d'une nature un peu différente sur certains points. En effet, le nationaliste ne présuppose pas que sa Nation est meilleure que les autres, qu'elle détient une quelconque Vérité, simplement, il se contente d'affirmer son intangibilité et il s'instaure chien de garde. En fait, le nationaliste est un des seuls crétins de l'univers connu capable de se battre ou de faire s'entretuer les autres ... sans (mauvaise) raison !

*1 Journal de Hervé.

*2 Anatole France avait adressé une lettre au Ministre de la guerre, le 28-9-1914 pour se mettre à sa disposition et dans laquelle il disait " cesser d'écrire puisque des braves gens trouvaient que son style ne valait rien en temps de guerre. " Cette lettre fut publiée dans l'Humanité du 3 octobre 1914.

 

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