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LES ŒUVRES : Leurs œuvres

 

RENE BOYLESVE

FEUILLES TOMBEES

Incursion dans le premier quart du vingtième siècle

RENE BOYLESVE ou PAGE D'ACCUEIL

 

Page en cours d'élaboration

Quand Boylesve se confie

 

  Paul Verlaine, Catulle Mendès, Maurice Barrès, Paul Bourget, Fernand Vandérem, Edouard Rod, Comte de Montesquiou, Marcel Schwob, 

Feuilles tombées, c'est le titre, choisi par René Boylesve lors de la publication en revue, de quelques feuilles extraites de ses carnets. Pas un journal à proprement parlé, des carnets sur lesquels l'auteur notait tout y compris des choses d'ordre domestique et qui comportent de grandes interruptions.

Il y eut, après la mort de René Boylesve, deux publications de ces carnets, toutes les deux partielles.

La première fut effectuée par Charles du Bos en 1927, l'année suivant la mort de l'auteur, aux éditions de la Pléiade, chez J. Schiffrin. Charles du Bos fit un choix assez limité d'où il exclut bien entendu tout ce qui concernait des personnes encore vivantes ou ayant des proches encore en vie. Cette même préoccupation gêna beaucoup moins Gérard-Gailly, ami, secrétaire et exécuteur testamentaire de René Boylesve, en 1947, vingt ans plus tard, quand il édita chez Dumas un nouveau choix bien plus conséquent et sensé reprendre l'essentiel de ce que contiennent les carnets à la réserve de la confidentialité "utile", déjà bien atténuée à vingt ans de distance. Quand on lit les portraits de ses confrères que peint Boylesve on pense à ce qu'écrivait Emile Faguet : " Les études et exercices des grands hommes de lettres sont toujours intéressants à examiner. " (Propos littéraires - III p117) Ils le sont concernant Boylesve, ne serait-ce que parce qu'ils révèlent sa véritable nature d'ironiste, en général tenue en laisse dans l'oeuvre, et la distance qu'il avait avec l'établissement littéraire et les salons qu'il fréquentait, peut-être une des raisons de l'oubli relatif dans laquelle est tombée l'oeuvre. C'est à la lecture de pages choisies de la seconde édition - parues dans le Mercure de France - qu'André Gide qui avait bien connu René Boylesve et qui avait déjà lu le premier choix, écrivit :

Dans le dernier N° du Mercure, quelques pages, extraites du Journal de Boylesve, où de merveilleux portraits de Montesquiou, de la Comtesse de Noailles, de Barrès surtout, qui ont fait ma joie (d'autant que j'aimais beaucoup Boylesve; mais il n'a rien écrit de meilleur que ceci). Ai tout aussitôt envoyé ces pages à la Petite Dame. Et si tout le journal de Boylesve est de cette qualité, voici du plaisir sur la planche. " Lettre à Roger Martin du Gard ( 8 septembre 19147 )

L'honnêteté oblige à rapporter également le passage de la réponse de Roger Martin du Gard ( 11 septembre 1947 ) :

En revanche, j'avais lu l'extrait du journal de Boylesve. Avec beaucoup de plaisir délicat, moi aussi. Mais attention ! Ce genre de plaisir est un plaisir de chapelle. Ça nous ravit parce qu'il s'agit d'un tout petit aspect d'un coin du monde qui a été le nôtre. En soi, ça n'est rien qu'un potinage d'homme de bonne compagnie. Et le monde qu'il peint ne retiendra, demain, l'attention de personne ; et ce qu'il en dit est sans portée générale, ne dépasse guère le reportage mondain très réussi. Peut-être, d'ailleurs, qu'il y a autre chose dans le journal de Boylesve, et ce que je dis là est sous toute réserve. Je suis en garde contre l'agrément que nous trouvons à ce genre de croquis sans vraie valeur. C'est par un piètre biais que çà nous séduit. Ne boudons pas au plaisir, laissons-nous charmer, mais ne perdons pas de vue l'échelle des hiérarchies !"

Comme on le voit, le terne Martin du Gard n'est ni capable de se laisser aller vraiment au plaisir des portraits si bien croqués de Boylesve, ni de percevoir l'intérêt de ces portraits qui vont directement aux points de faiblesse des modèles, à leur coté artificiel ou mondains, rien de surprenant, son style - je ne parle pas d'art - est à l'opposé. L'idée " de portée générale " qu'il évoque, n'est d'aucun intérêt ici et n'a rien à faire avec celui que l'on peut attacher, au-delà de leur verve et de leur "pénétration satyrique", à ces témoignages concernant des personnages qui furent plus ou moins durablement liés à la gloire littéraire d'une époque. Mme de Noailles, Barrès pour ne citer qu'eux, ne sont pas tout à fait oubliés, pas plus que Verlaine ! De plus, notons que certains aspects de ces hommes de lettres décrits par Boylesve revêtent une "portée générale" à l'époque. Ils sont souvent révélateurs de la vie d'une minorité comme le dit R. M. du G. mais d'une minorité considérée comme élite et qui fait en grande partie l'opinion à cette époque où les journaux sont tous plus ou moins littéraires et où ils sont les seuls médias.

L'édition de 1947 à laquelle nous nous référons, s'ouvre sur cette première note du 19 novembre 1884, René Boylesve a dix-sept ans, :

" Seul, sans une âme à qui je puisse faire partager mes pensées, j'ai pris le parti d'écrire tous les jours ma vie. Ne pouvant causer avec personne, je causerai avec moi-même, en attendant que Dieu veuille m'accorder ce que je lui ai demandé depuis longtemps, un véritable ami. "

N'est-ce pas toujours pour cela qu'on se lance dans cette expérience unique : tenir un journal ? Parler avec soi parce qu'il n'y a autour de nous personne avec qui nous puissions le faire ?

" Il est faux de dire que les paysages influent sur les caractères, car on ne les voit pas. " p30 Cette note ne s'applique certes pas à l'auteur qui tout au long de ces feuillets comme dans ses romans, nous prouvent abondamment qu'il "voyait" les paysages ! Mais l'idée est certainement assez à contre courant des idées reçues de l'époque et il semble presque réfuter à l'avance les multiples appréciations futures le concernant : " Boylesve, enfant de sa Touraine ..."

 Le premier portrait est celui de Verlaine, il est assez réservé certainement compte tenu de l'admiration pour le poète et mêle des éléments subjectifs - l'œuvre - à des éléments d'observation, l'aspect.

" Je viens de passer une heure avec Verlaine, presque le seul, le plus vraiment poète de notre temps. Une âme d'enfant adorable, dans un corps de vieillard prématuré. Une ruine avec tout l'indéfinissable attrait qui s'en dégage. Un amas de choses magnifiques et inconscientes, qui se seraient écroulées faute de se savoir. Il a été un génie ; il en a encore les lambeaux, dépenaillés comme ses habits ; et dans ses confessions naïves, il passe par moments des étincellements rayonnants de grand homme et une certaine bonhommie qui n'appartient qu'aux gens de haut. Et cela fait pitié tout de même de voir ce que la bohême, la faiblesse de caractère a pu faire d'un pareil esprit, aujourd'hui vivant de charité et d'hôpitaux, infirme, perclus, perdant la vue, cherchant ses jambes, et préoccupé de sa maîtresse, et cul-de-jattant après un jupon comme un étudiant de première année. Cet homme vous fait passer des frissons contradictoires. On le regarde, un peu hébété. Il a été, il essaie d'être encore le mélange de toutes les passions en leur plus échevelé désordre. Mais cette vie épouvantable ! A faire regretter de n'être pas notaire à favoris, se tapotant la bedaine, parmi son épouse à couperose et ses enfants morveux ! Brr ! la vie, Dieu de Dieu !Retour haut de page

 Suit immédiatement (à douze jours d'intervalle) le portrait et l'entretien de Mendés (Catulle Mendès, parnassien, poète, auteur de théâtre et de nouvelles, apprécié de son vivant, auteur d'une production abondante, inégale et oubliée.)

" Eté hier pour la première fois chez Mendès.

De l'antichambre, durant qu'une petite bonne introduit ma lettre, je vois, dans une chambre qui paraît nue et que je crois toute fumeuse, quelqu'un d'étendu, d'étendu autant qu'on puisse être étendu dans un fauteuil. Une façon de s'étendre qu'un qu'un quelconque n'aurait pas, que jamais un bourgeois n'aura, qui sent une fièrté, un contentement, une complaisance de dieu.

On me fait entrer. La divinité s'est levée et vient au-devant de moi, avec cet aire galant de la tête en arrière et du sourire affecté de l'homme accoutumé à être reconnu dans la rue et à exagérer les façons envers qui il reconnaît, un air un peu jeune premier, un peu ténor de drame romantique, un peu pommade.

J'ai été bien ennuyé au début de notre entretien, parce que, comme je lui faisais mes excuses de l'avoir interrompu pendant son travail peut-être, il me dit :

"- Ma foi ! je vous avouerai que je m'endormais.

Et moi, sans arrière-pensée, du premier jet je dis :

- Eh bien ! à plus forte raison !

Il me dit : "Merci" d'un air pincé. Cela me fiche la frousse, et je me raccroche, comme je peux, sur le précieux du sommeil pour les poètes. Il ne m'en veut pas, peu à peu se déride et parle. Il veut absolument que j'ai publié un volume en vers. " Mais non !" lui fais-je. - " Mais si ", et il se lève : " Attendez, je vais demander à la petite ". Il ouvre une porte, et se penchant : " N'est-ce pas, chère amie, qu'il y a un volume de vers d'un monsieur Boylesve ?" Il épelle chaque lettre. Chère amie en fait autant, en affirmant qu'il y a un volume de vers ; il se donne la peine de chercher, mais en vain.

Nous causons de ma génération, que je n'aime point, et qui l'inquiète parce que ces malheureux n'ont rien fait qui vaille de quoi vivre ; et on y sent l'amertume de n'avoir pas été traité en maître. Amertume sans ressentiment, car il voudrait surtout qu'ils eussent de quoi manger. Il parle avantageusement de Henri de Régnier, et dit " cet imbécile de Moréas !"

Parlant de leur naïveté, de leur ignorance, il montre que leurs oeuvres sont souvent d'ordinaires plagiats de leurs prédécesseurs immédiats, qu'ils ont lu superficiellement, ou point, et par hasard se rencontre avec eux avec la prétention de les ébouriffer. Cela l'énerve. Je le vois se lever avec peine de son fauteuil d'osier qui craque et qui est si bas, si bas, qu'on n'en peut sortir ; et d'un bond, le voilà parti au bout de la chambre : je crois qu'il va sortir. Pas du tout. Il revient du même pas, retourne, et ainsi de suite tout en parlant. Dès qu'une pensée lui vient, il a besoin de marcher. Il me dit qu'il compose toujours en marchant.

La petite porte s'ouvre et on entend la voix de chère amie qui demande : " Cher ami, dois-je envoyer la note pour Lugné-Poë ? ..."

Il est vêtu d'une robe de chambre de molleton blanc à rayures bleues, ouverte sur une chemise de nuit : et sa tête d'Ange vanné, qui commence à se faire patriarcale, a de la beauté. " pp 32-33-34 Retour haut de page

La mort du grand père Boilesve amène dans les carnets la consignation d'une anecdote de jeu de cartes, qui sera reprise dans une nouvelle, "Ce bon Monsieur" de La marchande de petits pains pour les canards. Dans cette note, on relève : " La mort est bien l'affaire de ces bonnes soeurs. C'est dans la mort qu'elles trouvent à satisfaire un petit instinct de femmes inexercé : les soins charmants et délicats et proprets, mêlés d'ornementation et d'admiration. Elles ne redoutent plus la tendresse pour ce cadavre, homme ou femme, marqué si récemment du doigt de Dieu. C'est un objet d'élection. " p35

Revenant sur son année de philosophie à Tours et évoquant ses émotions d'alors, Boylesve écrit : " En vérité je ne puis imaginer un instant de ma vie qui ne me ressaute aussitôt pour ainsi dire à la figure, animé du bond, de tous les bonds de mon coeur du temps que je le vivais. Je n'ai pas fait un pas, pas regardé un objet, un paysage ou la fuite d'un nuage, sans être secoué, ému violemment, soit par ce qui me venait logiquement de cet objet ou de ses endroits, soit par l'évocation qu'ils me causaient d'une émotion passée ou d'une émotion possible. Ainsi je me promène dans la rue, changeant constamment de couleur ou de visage, et je m'use un peu vite. " pp 37/38

On se souvient du Bel Avenir dans lequel Boylesve a certainement mis quelque chose de sa vie d'étudiant parisien. Vie agitée mais certainement pas trop quand on lit ceci : " De ma vie, ce Luxembourg (le jardin) a déjà connu dix ans ; et les années de métamorphose. C'est sur la terrasse des Reines que j'ai réellement débarqué de ma province. Toute mon enfance, j'avais vécu au jardin. Ici, j'ai continué. J'y venais le matin, j'y passais les plus belles heures de l'après-midi. Si j'ai manqué beaucoup de cours, c'était moins pour faire des folies que pour venir là, là où j'étais dehors, là où je "prenais l'air" comme on me l'avait tant recommandé, et là où j'ai contracté le goût des longs bavardages. C'est là encore que j'ai cultivé cette rêverie devant les hommes qui passent, que j'entends passer et qui semblent là jouer pour moi la comédie. A l'ombre des aubépines ou des lauriers, adossé ou accoudé à la balustrade, quand j'étais seul, que d'histoires, que de petits drames j'ai vu se former, se nouer, se dénouer sur ce gravier pénible aux pieds et sous ces arbres à musique militaire !" p 39.

 Barrès a été un aîné admiré pour René Boylesve comme pour beaucoup d'autres de sa génération. Son premier roman, Le Médecin des dames de Néans, publié dans la Cocarde en a été retiré par l'auteur quand Barrès a été écarté de la revue, fidélité remarquable. Cependant, Boylesve comme d'autres, reviendra sur cette admiration au fil de l'évolution de Barrès et ce retour n'épargnera pas le premier Barrès qui contenait déjà l'autre. La première note date de l'époque du Médecin.

" Barrès, gracieux, charmant, chatte dans ses mouvements, vient à moi du fond de son grand cabinet. J'ai toujours été séduit par sa personne et sa figure, toutes les fois que je l'ai rencontré ! Cette tête si fière, qui s'en va en s'amincissant par en bas, jusqu'à se réduire presqu'à rien au menton, tandis que le front est large, et ses grands yeux bleu clair, à la fois vifs et lassés, animés d'une flamme intérieure et alanguis de mélancolie. " p 44.

Le petit portrait de Barrès qui précède est de 1895. Dès 1903 Boylesve écrit :

Maurice Barrès.

J'éprouve un sentiment de plus en plus pénible à le lire. Il est désormais captif de deux ou trois grandes idées, auxquelles il ramène tout. C'est très bien. Mais dans son zèle, qui est excellent, il me semble qu'il se gonfle continuellement pour faire jaillir, par exemple sa terre Lorraine, la confirmation de l'idée qu'il en a, comme il se gonflait autrefois pour faire jaillir de son " moi " la confirmation de théories préconçues qu'il s'est faites. Que ne trouve-t-il, dans sa terre de Lorraine et dans son culte des morts, ce qui ne saurait manquer d'y être : la simplicité ? Quand il cherchait son " moi ", c'était à Venise qu'il le trouvait. Comment donc se fait-il qu'il soit aujourd'hui si profondément enraciné en Lorraine ?

Au fond, toute cette méthode, c'est toujours la méthode de Taine, un peu fausse. C'est l'influence des milieux, qui en réalité n'est pas rigoureusement exacte, surtout si on l'applique à la façon de Barrès, qui s'appuie sans cesse sur l'aspect extérieur des paysages, le sentiment plastique, - la sensibilité au paysage étant tout à fait obscure chez la plupart des hommes : ce n'est qu'à la longue qu'elle peut influer sur eux. Et Barrès, lui-même, prétend qu'il ne voit point les objets, mais il s'est habitué à discourir à l'occasion d'un objet, d'un paysage. " p94

En février 1904, nouvelle rencontre à l'occasion d'un banquet.

" Barrès est assis entre Marcel Prévost et un M. Gillet, gendre de Doumic. Barrès a un peu vieilli, quoiqu'il garde de loin l'aspect jeune qui semble faire partie de son attitude. Il a dans les chairs des bouffissures, comme des parties meurtries de fruit trop tâté aux doigts. Il a une belle tête délicate qui aurait servi à un jeu de boules d'hommes politiques. Les yeux sont particulièrement fatigués ; mais il conserve le cheveu noir intact. Il mange peu ; il se tient à table les deux mains dans les poches du pantalon, fort dédaigneux des mots et des gens. Pendant que Faguet parle, Barrès a sorti une main du gousset et prend devant lui chacun des cinq verres demeurés pleins de vins différents ; il les respire et les repose successivement devant lui sans y toucher, puis fini par boire un verre d'eau. En arrivant sa première parole avait été, s'adressant à Rod : " A quelle heure est-ce que ce sera terminé ?" p 111

En 1909, cinq ans avant le Grand Massacre, c'est à l'occasion de la réponse de Barrès à une enquête du journal Le Gaulois que réagit, en privé dans ses carnets, René Boylesve et cette fois il se montre tout à fait hostile, il est vrai que Barrès a basculé dans le patriotisme guerrier le plus abject et s'est fait le propagandiste imbécile du futur massacre dont il est certainement - sottise - alors bien incapable de prévoir l'ampleur à la différence des gens sensés dont Boylesve, lui-même cependant patriote (patriote peut ne pas signifier guerrier) :

Le Gaulois a adressé " aux personnalités les plus qualifiées dans le monde des Lettres, de l'Armée et du Parlement " la question suivante : Quels sont les moyens de mettre un terme à la propagande comme aux manifestations antipatriotiques, etc ?

M. Barrès répond : " Vous me demandez le moyen de restaurer l'enthousiasme autour du drapeau... Je crois qu'une victoire sur le Rhin serait le meilleur moyen, le seul. " Et il signe désormais " Barrès " tout court, comme s'il était entré dans l'immortalité !

Le comédien, toujours. Il cherche la formule qui est apte à produire l'effet le plus inattendu, le plus choquant, ou le plus vif, sur les gens qu'il sait simples d'esprit, et il frappe son coup. Ce sont toujours ces moyens grossiers d'homme raffiné qui veut se faire entendre du peuple. Il voterait la guerre, celui-là aussi, d'un coeur léger. Et cela répand aussi une lumière sur le parti qui écoute M. Barrès, qui, au pouvoir, précipiterait le pays dans la plus périlleuse aventure, uniquement par patriotisme !

Rapprocher cette réponse de jeune homme de celles qui l'environnent, de celle du général Bonnal, si sage, de celle de Paul Bourget, qui signe de son prénom, lui, modestement, comme le premier écrivain venu, et dont les mots sont toujours si sensés, si intelligents. " pp 185/186

Je passe l'anecdote du 8 juillet 1910 dont Barrès malade de constipation est le héros, nous arrivons au 28 novembre 1910 et René Boylesve connaît un regain de sympathie pour Barrès, non sans formuler quand même, entre les lignes, quelques réserves.

" Barrès rajeunit. Il triomphe. Il a pris une aisance, une ampleur, une sécurité de grand homme, d'homme unique ; et il est digne de cette attitude. Je le trouve beau. Il a tous les dons, et entre autres celui de la jeunesse. Son visage est meilleur qu'à vingt-cinq ans. Ses yeux, magnifiques, sont un foyer ardent, de mieux en mieux alimenté. Son profil est superbe. Il y a dans toute sa personne un équilibre heureux, en même temps que quelque chose d'actif, de militant, de noble, mais qui n'exclut pas une certaine gouaillerie juvénile et supérieurement indulgente. On sent qu'il peut à tout instant se hausser sur le tréteau et mettre pied à terre, plaisanter finement avec ceux qui sont au pied de l'estrade. Toutes choses lui apparaissent sous le double aspect du comique et du pathétique, qu'un homme habile peut en tirer pour le grand bien de tous et pour sa propre gloire. Il aurait pu n'être qu'un ironiste, il était né pour cela. Mais bien plus intelligent que l'ironiste il a vite compris le maigre rendement de la finesse d'esprit dans le monde, et il a bâti aussitôt son estrade, où il parade, à l'antique, le visage couvert du masque que Molé avait vu sur Châteaubriand.

Sur toutes les questions, Barrès a une vue rapidement improvisée, mais ample, succincte, frappante et qui a toujours une apparence de justesse, qui a toujours quelque chose de juste. Et chacune de ses vues a le charme de ces paysages où des monts bien dessinés encadrent une vallée où l'oeil se perd dans un vaporeux lointain. Sa vue est toujours plus belle qu'une autre, qui sera plus juste. Elle est prise de plus haut. Si elle ne donne pas les détails exacts, elle fournit la sensation de l'altitude qui suggère. Cela est le propre de l'art. C'est notre plus grand artiste.

Il est le seul homme que j'aie approché et qui me donne l'impression d'incontestable supériorité. Sa vue m'humilie. Elle m'enchante et me déprime en même temps. Il est trop comblé de beaux dons. Lui seul, parmi mes contemporains, excite mon envie. " pp 204/205. Retour haut de page

Bien entendu, nous sommes loin, ici, des réserves de Roger Martin du Gard, mais toutes ces pages n'étaient certainement pas de celles du Mercure et faisaient partie de cette autre chose au profit de laquelle il faisait réserve de son jugement. Boylesve fait en partie, ici, un anti-portrait de lui. Il envie Barrès ... d'être ce qu'il n'est pas ! Mais par certains mots utilisés, on peut percevoir que son envie ne va pas au bout, qu'il ne voudrait quand même pas être ce qu'est Barrès. Ce portrait de Barrès est fait d'après une rencontre qui a lieu dans le salon de Madame Daudet. A cette "réunion" assistent également Lemaître et d'autres. Boylesve rapporte une anecdote savoureuse concernant Myriam Harry puis enchaîne sur un propos de Jules Lemaître :

Comme nous parlions d'Anatole France avec qui il est réconcilié, Lemaître dit qu'il tenait de lui cette confidence : qu'à son âge il n'avait plus guère de plaisir que dans les petites débauches. Et Lemaître ajoute : " C'est assez juste. Pour un vieillard il n'y a plus guère que deux choses qui aient de l'importance : la crainte de la mort et l'amour physique. " Barrès ne contredit pas. Pense-t-il autre chose ? Sa magnanimité, son angoisse pascalienne, n'est-elle aussi qu'une attitude ?

En entendant dire cette chose, cet aveu grave de la part d'un vieillard, j'éprouve un insupportable malaise, moi. Et je me dis : cela est peut-être vrai et me semble même vrai : mais cela dépend de l'idée que l'on se fait de la mort et du lendemain de la mort. Que la mort du chrétien me paraît enviable ! Et je sens en moi le plus profond désespoir à la pensée que, vieux, je pourrais penser comme Anatole France et comme Jules Lemaître. Ah ! qu'importe la vérité transcendante, pourvu qu'une illusion nous donne l'exaltation, la passion du sublime à notre dernière heure !" p 206

En dehors du doute quant à Barrès qui signifie bien que la confiance de René Boylesve ne lui est pas revenue au-delà de son admiration, il est à noté de quelle façon il prend une simple anecdote, un propos de salon et débouche sur une réflexion personnelle du plus haut sérieux et de quelle sensibilité il accueille tout ce qui l'entoure.

La plus grande sévérité marque la note suivante concernant, trois années plus tard, le même Barrès lors de la publication de la célèbre Colline inspirée.

" Je ne suis pas allé hier soir au banquet de la Revue hebdomadaire, afin de ne pas assister encore une fois au triomphe d'un roman de Barrès, que je tiens pour un assez médiocre livre. Il y a deux ans, j'ai vu le triomphe organisé de Colette Baudoche ; j'ai vu une salle de trois cents personnes applaudissant avec fureur l'auteur charmant et ivre de gloire, vert d'émotion, qui, à la table académique, son papier à la main, parlait lui même de son méchant bouquin : je crois avoir été le seul à ne pas remuer mes bras croisés. Mais revoir la même scène à propos de la Colline inspirée, que le directeur en son discours qualifie de : " le plus beau livre de l'année ", cela ne m'est pas possible. Je ne puis participer à ce concert d'avilissement et de platitude ; je ne puis sous aucun prétexte abdiquer mon jugement, renoncer aussi bénévolement à la littérature en faveur des intérêts de carrière. L'art littéraire est complètement oublié ou méprisé. La théorie du succès triomphe. C'est une décadence nationale beaucoup plus grave que celle même qu'on dénonce tous les jours ; car c'est par l'art que la France se survivra ou pourrait, comme la Grèce, se survivre. " p 220 Retour haut de page

 La guerre n'arrangera rien dans l'opinion qu'à désormais Boylesve de Barrès, bien au contraire et c'est en le comparant à Paul Bourget, - gloire de l'époque, oublié aujourd'hui dont le talent indéniable n'a été suffisant seulement en raison de son engagement " moral " qui gâche l'oeuvre, - que Boylesve l'exprime le 12 novembre 1914.

Chez Barrès, je ne sens pas l'honnêteté qui, par exemple, se trouve chez Bourget.

Je lis un article de Bourget toujours avec une attention appliquée, parce que je suis sûr que, bien qu'il y prêche toujours en faveur de sa thèse, sa thèse ne suscite pas ses arguments ; ce sont ses arguments, consciencieusement amassés et déduits, qui concourent régulièrement mais normalement à fortifier sa thèse. Bourget a une conscience, une honnêteté. Il consent à écrire un article ingrat, c'est à dire qui ne plaira point, parce qu'il juge opportun pour une cause publique que ses idées soient divulguées.

Barrès travaille sans cesse pour lui, pour sa gloire. Il se pose d'abord, non pas franchement, mais à la sournoise, et il emploie la France à son service. Sa gloire, l'accroissement quotidien et méthodique de sa gloire se confondent avec la cause publique ; il sert la cause publique, il ne le faut pas nier, et il faut penser qu'il irait jusqu'à s'immoler sur l'autel de la Patrie, pour peu qu'il fut convaincu que l'holocauste fut de nature à auréoler son nom du seul éclat incomparable. Il a lié si étroitement la France à sa cause personnelle qu'il est très sincèrement patriote. Mais il n'aime pas, comme Bourget, la vérité. De la vérité il a perdu le goût, si l'on admet qu'il l'ait jamais eu. Il est capable d'écrire un article  intitulé : La victoire de l'Aisne vers le 20 octobre 1914, alors qu'aujourd'hui, 12 novembre, les attaques allemandes sont aussi sérieuses qu'il y a sept semaines. C'est parce que cela, croit-il, fera patienter l'opinion. Il ne lui en coûte pas de mentir : la perce le bout de l'oreille de l'histrion, du conquérant de l'opinion.

Bourget ne l'eut pas fait. Bourget a le respect du fait. Il appartient encore à une génération scientifique qui ne peut pas s'écarter de la vérité observée. Bourget est " soumis à l'objet ". pp 225/226

Barrès apparaît encore une fois dans les carnets sous forme de l'" esprit barrésien " dans une note qui ne fait que confirmer la précédente :

Sans que nous y prenions garde, nous vivons et nous allons vivre sous la direction d'un état d'esprit " barrésien " qui prend sa source dans Corneille et, à cause de ces sublimes sommets de son origine, s'impose sans examen, mais qui est néfaste, parce qu'il est mensonger. Il faut être véridique : on ne doit pas tromper. En nous éloignant du respect du fait, qui était caractéristique de l'esprit scientifique, nous inclinons les Français dans un sens où ils n'étaient que trop enclins à se porter : vers l'à-peu-près, vers le mot et la version imprécise. "  p 228 Retour haut de page

 Vandérem, critique littéraire, auteur de quelques romans, n'est pas Barrès, mais il connaît Boylesve qui le connaît, qui lui dédicacera La Marchande de petits pains pour les canards, parce que - la note qui annonce la préface manuscrite de Boylesve à Vanderem - que j'ai la chance et le plaisir de posséder et que Vanderem publiera dans Gens de Qualité après la mort de l'auteur - le dit : " Monsieur Vandérem. Vous avez été le premier à signaler dans un grand quotidien mon livre début. (Le Médecin des Dames de Néans) C'était en 1896 ; vous ne me connaissiez point, je ne vous avais rien demandé, et, dans ce temps là, il n'y avait certes nulle hâte à découvrir l'ouvrage d'un nouveau venu. Je n'ai jamais oublié cette surprise et il me plaît de la rappeler aujourd'hui en offrant à l'auteur de Charlie, Les deux Rives, de Victimes, et de Chers Maîtres, ce petit livre où sont groupés quelques points  repère du chemin que j'ai parcouru depuis que vous avez marqué le départ. Bien amicalement votre. Ci joint pour le bibliophile le projet de préface abandonné et inédit. " Cela n'empêche pas René Boylesve de juger au plan de son art le critique-écrivain. Hypocrisie ? Non, il faut avoir lu les Chroniques du Miroir des Lettres de Vandérem pour comprendre combien sont justifiés les reproches de Boylesve. Vandérem, homme d'un goût assez sûr, y passe rapidement d'un sujet à l'autre, sème quelques remarques sans grande originalité. Il sait reconnaître les vrais talents, par exemple il reconnaît Louis Codet, André Baillon, Neel Doff, Drieu la Rochelle dès Interrogations, malgré le peu de retentissement de leurs publications. Semer des commentaires, Vandérem sait le faire, ne le dit-il pas lui-même, reconnaissant ainsi naïvement son défaut quand il regrette que les critiques littéraires ne soient pas logés à la même enseigne que les critiques d'art ? " Que la critique d'art est heureuse ! A chaque salon, on lui sert trois mille toiles et sculptures d'un coup et en deux articles, elle vous expédie le tout, vingt lignes à cette salle, dix lignes à cette autre, un petit compliment sur celui-ci, une petite allusion à celui-là. Et tout le monde est ravi : les lecteurs qui se débrouillent dans cette cohue, je me demande, mon Dieu, comment ! Les peintres et sculpteurs, que satisfait la moindre offrande, une ligne, une demi-ligne, rien que leur nom cité. Et les critiques d'art aussi, qui, une fois leur palmarès liquidé, en ont pour six mois à se tourner les pouces.     En littérature, hélas ! les deux ou trois mille volumes qui nous tombent dessus par an ne nous permettent ni ces aises ni ces vacances. ..." Le Miroir des Lettres VII, p 172 Et, faisant la critique d'Elise de René Boylesve en quelques lignes selon son habitude, il discerne les deux grands thèmes, pèse leur poids respectif, décèle un amoralisme profond mais manque le principal : Elise et sa sensibilité sans cesse battue en brèche, Elise et son terrible isolement parmi les personnages communs et grossiers, d'une pâte vulgaire et commune, d'une banalité dévoreuse, Elise figure de Boylesve s'il en est dans son oeuvre !

" Ne pas oublier, chez Vandérem, la bourriche à gibier, posée sur un guéridon, et où il jette la correspondance qu'il a reçue à propos des Deux Rives, et les coupures de l'Argus. Elle est toujours là, la bourriche, en évidence, mais cependant avec une affectation négligée. On ne peut pas ne pas la voir, mais ce n'est qu'une bourriche à gibier, le plus vulgaire des paniers à papiers ; on a l'air tout prêt à la jeter, on n'attend que le geste au valet de chambre : " Enlevez donc ça !" Cependant elle est toujours là, depuis des mois ; les dernières lettres y sont tout ouvertes ; on pourrait lire malgré soi.

Je me souviens qu'après m'avoir averti, un jour, de n'attacher aucune importance aux lettres qui me pourraient venir au sujet de mes livres, il ne résista pas au désir de me lire quelques lettres de la bourriche ; et il ajoutait, l'oeil attendri :

- Hein ? Quand quelqu'un vous parle sur ce ton là, on sent que c'est vrai !

Je n'osai pas lui dire :

- A moi aussi on a écrit des lettres sur ce ton. Pourquoi faut-il que je n'en tienne aucun compte ? " pp 52/53

Plus tard, le 16 août 1909, Boylesve écrit du même :

Rencontré tantôt Vandérem au bar de Deauville, avec Mme. B... Il est composé de petitesses. Tous les microbes dont l'agglomération le constitue, sont apparents. Que ces animalcules sont laids ! C'est un homme peint par le procédé du pointilliste : il faut se retirer assez loin pour que sa vue soit supportable. " p181

En novembre 1918, on trouve encore :

Vanderem inaugure une critique littéraire dans la Revue de Paris. C'est toujours équivalent à ce que produit la plume de ce petit homme informé et appliqué à outrance. Il peut donner l'illusion d'un travail remarquable, par la précision, par la variété de l'information, par un certain bon sens, par la concision et par l'absence de lignes perdues. Cela a l'air plein, rempli comme la bedaine de l'auteur. Il appartient à cette classe d'hommes qui sont des cultivateurs du génie, mais qui sont totalement dépourvus de génie.

Avec Vandérem, on voit aussitôt apparaître le monde des des théâtres, les expressions de courses de chevaux, la superstition de " ce qui se fait ", autrement dit de l'éminemment parisien. C'était déjà autrefois ridicule ; c'est suranné et pitoyable en 1918. ..." p 250

Et, pour en finir avec le critique, la note d'octobre 1919 :

" Vandérem. Article odieux sur Sainte-Beuve dans la Revue de Paris, 15 octobre 1919.

Dire, pour résumer d'un mot : tout ce qu'il pense de Sainte-Beuve en un long article-éreintement, est expliqué par ce qu'il écrit en quatre ou cinq lignes de Dominique et de Fromentin. ..." p 260 Retour haut de page

La délicatesse de Boylesve, sa sensibilité qui le fait ressentir vivement tout vécu de qualité, transparaissent dans cette note de la petite Aveugle des pages 56-57 " Et quand elle n'avait plus rien à toucher, ses petites mains restaient ouvertes, en l'air, dans une attitude que nous ne connaissons pas, nous autres, et qui est celle des yeux suspendus dans le vide quand on n'a plus rien à regarder. "

En 1902, Boylesve voyage beaucoup (pour l'époque). En avril, Italie, Sienne, San Gimignano, Pérouse, en juillet Autriche, Veinne, Aout, septembre, Trouville, Sablé, Angers, Bordeaux, retour à Paris en octobre.

 Edouard Rod. Ecrivain, critique, suisse d'expression française, proche de Zola, Edouard Rod est une personnalité des lettres françaises de la fin du XIXème. René Boylesve nous en donne un portrait sur la fin de sa vie : " A trois heures, parti à pied pour Auteuil faire visite à Edouard Rod, qui m'y a gentiment invité. Une petite maison de brique au fond d'une allée. Une entrée noire. La porte ouverte, on entre librement. Un salon obscur aux meubles garnis de velours violet à rayures : ce qu'on imaginerait pour caricaturer l'intérieur de Rod, sans le connaître. Et, avec cela, de lourdes tentures de peluches verdâtre, semées d'énormes fleurs de lys d'or en broderie.

Rod est un homme bedonnant, assez laid, grisâtre, les yeux fatigués et sans expression, et qui à l'air renfermé, je veux dire : qui a l'air de sentir le renfermé.  Accueillant, aimable d'ailleurs, mais sans sourire : de ces hommes chez qui l'on sent tout de suite que la fantaisie est absente de leur esprit.

Il dit avoir un fils qui n'a aucune disposition pour la littérature. Tout le monde dans le salon s'en étonne. " p85

Une certaine résignation trouve sa place quand il nous dit : " Etant admis que dans quatre-vingt-dix-huit pièces (de théâtre) sur cent il n'y a pas trace d'art, il faut bien se déclarer satisfait lorsque dans un spectacle vous trouvez l'occasion de penser ou d'être émus, fut-ce par les plus antiques lieux communs. " p86. Retour haut de page

 Le comte de Montesquiou était une figure du Paris littéraire et mondain. Proust le prend pour modèle. Boylesve nous en fait un portrait sur le vif. " M. le comte de Montesquiou arrive en jabot gaufré, garde ses gants. Il salue les dames d'un coup de tête bref, d'un jeu de la tête en avant, qui tombe comme une boule poussée au bord d'une balustrade. Il tend la main aux hommes, en rejetant tout le corps en arrière et fléchissant imperceptiblement les jarrets. J'ai cru remarquer, à l'avantage exclusif des messieurs cette particulière politesse ...       

Aussitôt qu'il a le buste redressé, M. de Montesquiou commence à parler, avec aisance, élégance, mouvements charmants du corps et des bras, port agréable de la tête, insensibilité étudiée du visage. Il parle des enfants ; il dit sur eux des choses si promptes que l'on s'étonne qu'il ne s'accorde pas les quelques minutes nécessaires du conférencier. Il semble savoir par coeur ce qu'il dit. Il tient à ce que rien n'en soit perdu. Il s'adresse aux hommes ; et l'un d'eux vient-il à manquer soudain au cercle d'auditeurs, M. de Montesquiou ralentit, se montre inquiet, voudrait attendre que le manquant revint ou fut remplacé.

Il dit, des enterrements (tout le monde revient des obsèques de Mühlfeld, que ce sont d'odieuses cérémonies auxquelles on ne devrait convoquer personne. Il dit qu'il y a deux occasions où tout le monde est grognon et mécontent : les enterrements et les bals masqués. Les bals masqués, parce que chacun n'y va qu'avec la certitude qu'il a le plus beau costume, et qu'il attend jusqu'au matin qu'on lui dise qu'il a le plus beau. Les enterrements, parce que chacun y entend accorder au défunt une attention que l'on se croit seul à mériter.

Il s'adresse surtout à Marcel Schwob, qui lui paraît seul apte à apprécier ses finesses. Il parle toujours, il n'écoute point ; il en aurait peu l'occasion, d'ailleurs ; car on ne se hasarde guère à l'interrompre.

Il a la tête distinguée, plutôt que la physionomie. Le dessin de la tête, avec la calotte de cheveux épais, relevés au fer par derrière, à ce qu'il me semble, et formant beau diadème sur le front, est joli. Les traits mêmes sont bien, quoique empâtés. Mais il a l'oeil terne et rond, la bouche petite et terne, une bouche de mignon usé, plutôt qu'une bouche d'homme d'esprit. Après l'avoir entendu toute une soirée, je me demande s'il est homme d'esprit. Je ne devrais pas me le demander. Il cause seulement avec élégance. Il cultive dans toute sa personne une élégance affectée qui le prive de toute grâce. On n'est point charmé, ni de le voir, ni de l'avoir vu ; et son départ produit une sorte de soulagement général. Mais il a frappé et son image demeure ineffaçable.

Il cause en dinant, entre chaque service, les deux mains dans son assiette, emboîtées l'une dans l'autre, se caressant un peu, se soulevant légèrement pour scander sa parole. Il ne porte qu'à l'annulaire gauche, une bague fort simple, en argent.

Il parle de ses aïeux sans sot esprit humain. Et pareillement de sa fortune, et de sa merveilleuse maison. Mais, de ses aïeux, il avait fraichement repassé la liste, car j'ai lu ce matin dans le figaro un article de lui où cette liste se trouve, ainsi que quelques belles citations qu'il nous a faites hier soir. " pp 87/88 Retour haut de page

 Marcel Schwob, écrivain délicat, régulièrement sauvé de l'oubli, par la collection 10/18 entre autres, puis pas la belle édition des oeuvres complètes aux Belles Lettres en 2002, était un contemporain de Boylesve qui nous en donne un portrait suivi d'une courte évocation de Marguerite Moréno, actrice, amie de Marcel Schwob : " Schwob parle peu, et plus volontiers, dirait-on, en anglais, avec miss Harkett, une actrice, et mistress Van B..., une Américaine. Il a une étrange tête de vieillard, et il a à peine trente-deux ans. Il a été fort gros, on l'a connu en boule. Il est maigre, petit, le dos vouté, la nuque dénudée. Il est complètement rasé. D'énormes lèvres, en relief extraordinaire, semblent le reste de l'ancienne chair, celle qui atteignait tout autour de sa personne un autre niveau. Son sol s'est abaissé, sauf la bouche, organe de cette parole érudite et curieuse que l'on dit avoir été si intéressante. Aujourd'hui il en use peu. Il a des yeux de visionnaire, qui s'élèvent volontiers au ciel, et c'est effrayant. Il porte un habit rapé, une chemise dont le plastron n'est pas du jour, et des souliers cirés à lacets. Il tombe dans un fauteuil et il s'y engloutit tout entier ; il y semble couché, ses souliers à lacets en avant. Il a l'air d'un vieux membre de l'Institut sans décoration.

Moréno, bon type, bonne enfant, simple comme bonjour et drôle. Elle imite Paul Mounet, avec sa basse. Elle dit en s'en allant : " J'ai été un peu turbulente." pp 89/89

Anatole France : Il n'y a pas de portrait d'Anatole France dans Feuilles Tombées, seulement des notes à différentes occasions. Parution de l'Île des Pingouins, mort de l'écrivain,

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  Quand Boylesve se confie :

Extraits de Une heure avec (Entretien entre Frédéric Lefèvre et René Boylesve) NRF 1924 Toutes les citations sont de René Boylesve.

 Le symbolisme :

"C'était l'heure du symbolisme. Un long commerce avec Montesquieu et Voltaire m'avait mal préparé à prendre part à ce mouvement. Je faisais des nouvelles et des proses que publiait "l'Ermitage". C'était le seul groupe où je fréquentais. Je ne suis jamais sorti. D'un naturel un peu sauvage, j'ai toujours eu la terreur des parlottes, ce qui vous explique que je ne me sois jamais mêlé aux autres groupes ou revues de jeunes, dont la plus importante était Le Mercure de France.

J'écrivais alors beaucoup de vers ; j'étais persuadé que j'étais un poète, et, au surplus, j'imaginais non seulement que le métier de poète était ,un noble métier, mais qu'il était le seul digne d'un véritable écrivain. Pour moi, écrire des romans, c'était commercialiser son talent.

Je songe aujourd'hui que si les jeunes écrivains de ma génération considéraient le roman avec tant de mépris, cela venait du peu d'estime où nous tenions la descendance de Zola.

Mais comme je faisais des vers de forme très classique, je ne les publiais point, à cause du symbolisme auquel j'ai toujours été hostile et dont les théories me choquaient. C'est vers cette époque que je rencontrais Hugues Rebell. Nous nous plaisions à nous entretenir tous deux des bizarreries du symbolisme. Rebell, le plus bel homme de lettres que j'aie jamais vu ! Notre amitié se prolongea une dizaine d'années, jusqu'à sa mort. Il présentait un mélange curieux d'érudition et de frémissante jeunesse, et le symbolisme, vous le savez, s'éloignait fortement de la vie."

Le livre préféré :

"C'est toujours celui que je vais faire ! Je les ai tous écrits pour mon plaisir, mais pour continuer à les aimer, je ne dois pas les regarder de trop près."

"Je ne suis guère complaisant pour mes créations, mais je donne ma préférence à ceux de mes romans que l'on qualifie généralement de "provinciaux". Pour moi, le but certain de la littérature est de parler de la comédie des hommes. J'en parle, prétend-on sur un ton moitié attendri, moitié enjoué. Je veux bien accepter ces qualificatifs, quoiqu'ils me paraissent, à moi, je vous le confesse, tout à fait insuffisants à traduire mon état d'esprit. Je croirais celui-ci, au contraire, extrêmement amer. Le désenchantement, quand il va jusqu'à produire une blessure, peut très bien provoquer chez le patient un sourire ; celui-ci n'exprime plus alors la nature première mais, tout au rebours, le résultat de diverses attitudes essayées puis rejetées comme impossibles, et qui seraient, par exemple ; l'indignation, le mépris, la colère, même et surtout l'infiniment triste "à quoi bon ?" Sans la discipline de Flaubert, mon goût eut été de m'épancher indéfiniment ; il m'est arrivé de regretter que les écrivains français soient si étroitement soumis aux règles de la composition, dont les Anglais, eux, se libèrent avec tant d'insouciante aisance. Ceux de mes livres qui ont eu plusieurs manuscrits laissent tomber une quantité d'observations extrêmement minutieuses qui altéraient, à mon sens, la pureté de la composition. Mais cette règle est tout de même une cause de stérilité relative. De nos jours, un grand écrivain, Marcel Proust, a osé s'en affranchir. Cet affranchissement lui a permis d'être infiniment plus riche que nous ne sommes. Aucune œuvre n'a produit sur moi une impression aussi forte que celle de Marcel Proust. Certes, je suis très frappé par la naissance de talents nouveaux d'après guerre, mais pour Marcel Proust on peut se prononcer sans hésiter, on le relira toujours, et on le relira surtout par les cotés qui le différencient des autres romanciers. C'est pourquoi prétendre comme Maurice Martin du Gard que la postérité réduira l'œuvre de Marcel Proust à un Amour de Swan c'est méconnaître l'apport essentiel du grand romancier psychologue. Proust n'est pas un exemple à suivre, dit-on. J'entends bien? Mais il donnera toujours des regrets aux écrivains qui sont riches et qui ne croient pas avoir le droit de montrer leurs richesses.

"Sous les masques les plus étrangers, d'apparence, à l'auteur, celui-ci introduit plus de lui-même que dans la plus personnelle confession.

 

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