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BOYLESVE POETE ... UNE ANCIENNE POLEMIQUE

 

RENE BOYLESVE ou PAGE D'ACCUEIL

 

Je ne souhaite ici, ni attaquer l'Abbé Marchais, connaisseur de Boylesve, ni défendre mon homonyme, André Bourgeois, je crois que certains qui aiment Boylesve ont encore le souvenir de la querelle que j'évoque, d'autres ont certainement une opinion bien arrêtée et justifiée à ce sujet, cette page les incitera peut-être à donner ici leur avis que je suis prêt à reproduire.

 

Boylesve n'était pas poète, voire ... Il est bien vrai que la poésie, si elle ne se limite pas aux vers, est très présente dans l'œuvre de René Boylesve. Je n'en citerais qu'un exemple : Mon amour. De nombreuses pages de ce roman relèvent de la poésie et la prose de Boylesve y fait parfois penser à Lamartine pour qui il eut toujours une grande admiration.

La polémique née autour de Boylesve poète se résume, à ma connaissance, à deux ouvrages. Le premier de mon homonyme, André Bourgeois, professeur à l'Université de Houston, seul biographe de Boylesve (cela n'est plus vrai en 2013, deux biographies de cet auteur ayant été publiée depuis la rédaction de cette page) et auteur outre sa thèse, d'un essai René Boylesve et le problème de l'amour et d'un autre qui nous intéresse ici, publié en 1967 dans le volume 53 de Rice University Studies, dont il forme le fascicule n° 1 : René Boylesve, le poète et du second : René Boylesve et la poésie, de l'Abbé Georges Marchais, publié en 1977, dix ans plus tard, par les Amis de René Boylesve. Au-delà de quelques inexactitudes, l'Abbé Marchais reproche essentiellement deux choses à André Bourgeois : d'avoir publié les poèmes à Betty Halpérine et de ternir l'image de Boylesve, écrivain sensible et délicat auprès de ses lecteurs.

Qu'André Bourgeois ait été " limite " en publiant les poèmes à Halpérine en 1967, alors que l'œuvre n'était pas dans le domaine public, cela ne fait aucun doute et qu'il ait publié ces poèmes, non en plaquette mais dans une étude, n'y change rien : il n'avait pas le droit de publier sans l'autorisation des ayants droit même si c'est la destinataire des poèmes, Betty Halpérine, qui les lui avait transmis. L'Abbé nous dit qu'il l'a assiégée pour l'obtenir, plus loin qu'elle a " pris " René Boylesve, que Diable, voilà des gens qui, à l'en croire, ne sont jamais responsables de ce qu'ils font !

Ce qui est en revanche moins certain et plus intéressant, c'est le second reproche de l'Abbé Marchais. Pour qui s'intéresse à René Boylesve, cette polémique débouche en effet sur un problème qui est au cœur de l'œuvre et peut-être de la vie de l'écrivain : sa relation à l'amour. On se souvient du petit livre de Gérard-Gailly : René Boylesve, ennemi de l'amour, paru dans la collection du Souvenir de René Boylesve au Divan. Il y a semble-t-il en Boylesve autant que dans son œuvre, une contradiction qu'il faut bien accepter entre un libertin mesuré, auteur des Bains de Bade, du Médecin des dames de Néans, des Leçons d'amour dans un parc et l'auteur du Meilleur ami, de Sainte Marie des fleurs, amoureux d'un idéal féminin ou, plus exactement, d'un amour " spirituel ". L'Abbé Marchais relève très justement le lien entre Dieu et l'amour que fait cet incroyant qu'est René Boylesve, de cette sorte d'incroyant qui, comme Gide son contemporain, mais de façon bien différente, ne sera jamais totalement étranger à la religion. Boylesve a la nostalgie de certaines émotions d'enfance que lui a fait éprouver la religion. Ces émotions, il les retrouve dans l'amour, dans une forme d'amour qui échappe à l'étreinte, à la chair, un amour spirituel. On lui connaît au moins deux de ces amours. Celui qu'il éprouva pour Louise Renaut, plus âgée que lui alors qu'il était très jeune et pour cette raison inaccessible, et celui dont le modèle de Sainte-Marie des fleurs, riche héritière, promise par son père à un accroissement de sa fortune fut l'inspiratrice. Cet aspect de René Boylesve convient bien à une image de lui que donne l'œuvre, à sa grand réserve qui ne cède pas toujours devant les besoins du romancier. Cependant d'où vient alors cette quasi haine de l'amour que l'on trouve parfois chez cet " idéaliste "? Elise par exemple, mais aussi Madeleine jeune femme, nous montrent des femmes que l'amour a broyées, Madeleine nous offrant même un amour féminin platonique. Il est rare dans l'œuvre de Boylesve que l'amour trouve un épilogue heureux. Ou il ne se concrétise pas et il est source de chagrins, ou il déçoit et il est source de désespoir quand il n'amène pas la mort d'un tiers comme dans Mademoiselle Cloque, dans le Médecin des dames de Néans ou de l'héroïne comme dans le Meilleur Ami.

A coté de cela, on nous rapporte qu'il était un séducteur, qu'il plaisait beaucoup aux femmes. Les femmes lui plaisaient également n'en doutons pas, il y en a trop et de trop vivantes dans son œuvre pour cela, on lui connaît d'ailleurs un certain nombre d'aventures non platoniques. Son grand ami Hugues Rebell n'était pas de son coté un saint, il s'en faut de beaucoup. C'est cependant Boylesve que Retté nous montre racontant des grivoiseries à son ami à l'en faire rougir ( Le Symbolisme, Anecdotes et Souvenirs, page 122 ). Je sais que le témoignage de Retté est considéré comme douteux par certains et que celui de Mazel irait plutôt à l'inverse, mais le lien fort à Rebell ne l'est pas et la tendance solitaire de Boylesve jeune, à Paris, est loin d'être contradictoire avec la possibilité d'une vie assez " agitée ", au contraire, les vrais amateurs de femmes ne fréquentent pas leurs semblables trop vains et vulgaires et la nostalgie des amours platoniques est loin d'être incompatible avec la soif de la chair, d'ailleurs le Bel avenir nous donne quelques échos de cette première vie parisienne de l'écrivain.

Autre lien que l'on ne peut pas s'empêcher de faire, sans vouloir jouer les apprentis psy, celui de l'auteur à sa mère trop tôt disparue, disparition qui entraîne l'apparition de sa belle-mère qu'il a admirée nous dit-on et qui est devenue folle alors que son père se tuera de façon affreuse. De même la tante Jeanneau meurt et son mari se suicide. L'amour est dangereux, n'en doutons pas ! Mais il est aussi nostalgie des liens idylliques tels que celui d'une mère aimante pour son jeune enfant ou, plus légèrement, celle du souvenir des parfums et des beautés d'une trop belle et légère marâtre. Nostalgie ... tous ceux qui ont connu de tels amours impossibles ou non réalisés, savent qu'ils demeurent dans leur intimité l'essence de l'amour et gare à celles qui veulent entrer en compétition avec ; mais quels déchaînements quand une semble dans la réalisation de l'amour les transcender ! Déchaînements, voilà un mot qu'il convient peut-être de nuancer et son contenu peut certainement varier selon le sujet auquel il s'applique !

Revenons aux poèmes à Betty. Ils n'ajoutent rien à la gloire de l'auteur, mais, techniquement, surtout compte tenu de leur caractère " privé " ils ne sont pas indignes. Peut-être nous confirment-ils vraiment une dualité bien réelle chez un auteur voluptueux, dualité qu'aggrava certainement son mariage avec " bébé ". Quand on a la sensibilité de Boylesve, que l'on épouse une femme que l'on a connue très jeune, enfant, et que l'on a quelque peu " façonnée ", le " faune " n'est-il pas tenu en laisse ? Les autres explications telle que la grande différence de culture entre les Mors et Boylesve ont certainement comptées également dans l'éloignement progressif de Boylesve et de sa jeune femme qui aboutit à la liaison de 1914. 1914, mais elle sont un peu courtes, les Mors n'étant pas, il s'en faut de beaucoup, des gens incultes. Autre grand bouleversement pour tout homme mais encore plus pour cet homme sensible qui, bien que d'un autre ordre, ne peut que favoriser le refuge dans la chair, la mort qui plane, qui frappe autour, dans l'hôpital où il rencontre Betty après douze ans de fidélité (?) ... et qui appelle la chair, la chair contrepoison. L'amour ne tient pas toujours à une idée comme le dit cette citation, tronquée, de Boylesve que fait l'Abbé Marchais ( Feuilles Tombées, p 332 ), il tient à un contexte qui peut s'élaborer depuis longtemps.

Les poèmes nous montrent un Boylesve très pris par la chair, très attentif aux aspects physiques, charnels, de sa liaison. Un Boylesve qui n'efface pas l'autre bien entendu, mais qui peut l'éclairer et quand le bon Abbé nous dit que c'est Betty qui l'a conquis et non le contraire, il nous fait bien rire ! Est conquis qui le veut surtout quand la conquête dure douze ans, jusqu'à la mort ! N'y a t-il pas là, une remontée de la femme pécheresse, tentatrice, trop conforme à l'image de l'Eglise, après tout, nous sommes face à un abbé qui pense peut-être que tous les lecteurs de son auteur sont de bons paroissiens, pas moi ! Boylesve sensible à l'attrait et aux joies physiques, définitivement soumis ? Non, le biographe termine en citant ce mot de Boylesve : " Moi, heureux ? J'aurais honte. " La soif, le banquet de la chair, peuvent ne pas satisfaire mais ils peuvent également se conjuguer dans la réalisation avec le besoin de spiritualité.

Dès lors on comprend que bien que " privés ", bien que non écrits pour la publication, ces poèmes soient intéressants pour qui veut connaître Boylesve. Ils ne terniront pas son image auprès des lecteurs car ses lecteurs ne sont pas ceux auxquels pensent l'abbé. Boylesve n'est pas un auteur bien pensant, ni un auteur pour bien pensants. Il est un témoin, témoin de son milieu, de son époque et de ses évolutions, il est de ces écrivains qui bien que pudiques, ne peuvent être absents de leur œuvre, leur discrétion mettant tout au plus une sorte de mystère dans les zones d'ombre que l'on y décèle. Les poèmes confirment peut-être l'existence non d'un Boylesve différent de celui de l'œuvre, mais d'une complexité que l'on y trouve bien.

Le débat de la censure autour des écrivains morts n'est pas nouveau, il durera tant qu'il y aura des gens pour interdire. Ce qu'un écrivain écrit peut être publié, question, parfois de temps, pour respecter les proches. Destiné à être publié ou pas ... la belle affaire ! Kafka croyait-il vraiment que Max Brod allait détruire son œuvre ? S'il avait voulu ne pas être publié, il l'aurait détruite lui-même ! Je sais ... on peut vouloir garder jusqu'à son dernier soupir ses écrits sans pour autant désirer qu'un autre les lise ! A vrai dire, je ne crois pas à cette hypothèse et ce que l'on donne à d'autres, même dans l'insouciance, ce que l'on conserve, appartient à cette catégorie des écrits que, ne voulant pas détruire, sans pour autant les livrer au public, on laisse au bon ou mauvais hasard ... Boylesve n'est en rien diminué de cette publication quasiment introuvable qu'en fit le professeur de Houston, on peut lui reprocher de l'avoir faite trop tôt, sans en avoir le droit, d'avoir même commis quelques erreurs d'appréciation, mais pas d'avoir nuit à un auteur qu'il appréciait assez pour lui avoir consacré quatre ouvrages, ce que personne d'autre n'a fait et qui laisse à penser qu'il était peut-être meilleur juge de ce que pouvaient connaître de lui les lecteurs de René Boylesve !

Cette querelle concernant la publication de documents privés me rappelle une autre publication, celle du Journal de Drieu la Rochelle, journal qui, lui non plus, n'était pas destiné à cette publicité et qui n'ajoute rien au prestige de l'auteur, bien au contraire. Dire que j'ai été déçu par cette lecture serait peu dire, atterré est le mot juste. Cependant, si j'avais eu à en décider, qu'aurais-je fait ? Je l'aurais publié, contre mon sentiment profond, parce qu'il éclaire des aspects sur des points trop importants de l'auteur et de la façon dont il s'est situé dans son époque pour que le public en soit frustré. L'amour n'est-il pas une chose importante dans la vie de chaque homme et de chaque femme ? - Je reviens à René Boylesve -. N'a-t-on pas pendant des siècles, au nom de la morale chrétienne, assez tenté de canaliser la chair, d'en donner une fausse image, pour qu'aujourd'hui un témoignage aussi important venant d'un auteur qui lui a consacré une telle part de son œuvre, soit négligé ? Telle page de Madeleine jeune femme où il est question d'éducation, donne la réponse ! Nul doute que Boylesve n'eut pas voulu ajouter à ce qu'il reproche aux autres, la publication des poèmes va dans ce sens.

12 janvier 2006

RENE BOYLESVE ou PAGE D'ACCUEIL