JOSE CABANIS : Une dédicace

 

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La très belle dédicace qui figure sur cette page a été donnée à un lecteur en relation épistolaire avec José Cabanis, au moment où le Prix des Libraires de France lui était attribué. Le dédicataire, admirateur, était vraisemblablement lié au syndicat des libraires.

L'intérêt de ce texte est qu'il confirme au-delà des suppositions d'intimisme le caractère personnel et autobiographique du deuxième cycle.

En outre, José Cabanis donne ici une conception du lecteur qui me touche puisque je défends l'idée de cette relation privilégiée de l'auteur et de son lecteur, relation que je vis avec certains auteurs et qui crée une nouvelle forme de lecture : un couple d'amis, d'intimes. L'auteur est, faut-il le dire, défavorisé dans ce couple même quand " l'ami lecteur " se manifeste car le lecteur n'a que rarement le talent nécessaire à la communication et il lui faudrait une œuvre entière pour rendre à l'auteur ce qu'il en reçoit. La supériorité de la littérature sur toutes les autres formes d'art et de communication est bien en cette communion, en cette intimité - fausse ou réelle - qu'elle crée dans ce couple unique. Le lecteur ne s'abandonne pas seulement à l'auteur au fil de ses sensations comme dans la plupart des autres formes de communication, mais il vit l'œuvre reçue, la recrée, l'intimité qu'il noue avec l'œuvre le rapproche de l'homme qui est derrière, un homme certes revisité par lui mais sur lequel il revient sans cesse au-travers de ses écrits, des témoignages de ses proches et, parfois, rarement car elles passent toujours à coté de l'essentiel, des études critiques.

On le sait ce qui m'a attaché à José Cabanis, c'est le premier cycle, l'Age Ingrat, le roman, mais le roman n'est-il pas que le prélude masqué de l'œuvre intime, parfois plus fort parce que, justement, masqué ?

Un vrai lecteur est hanté par certains textes et certains auteurs, quand il marche solitaire ou qu'il écoute distraitement un importun - il en est tant - c'est avec ces trésors, ces compagnons, qu'il avance, c'est avec eux qu'il soliloque dans cet éternel monologue qui est la vraie vie. Il ressent par eux, avec eux, en partageant ce qu'ils ont en commun puisqu'un auteur est - quand il est bon, authentique - quelqu'un qui livre une part de lui au-travers de ses écrits. " La littérature - disait Romain Gary - c'est ce qui permet de sortir de n'importe quelle poubelle !" Il aurait pu ajouter : pour le lecteur. Car avec ces compagnons de tous les instants, toujours disponibles, on n'a jamais à échapper au monde, on est au-delà du triste et sinistre monde des hommes ordinaires et le regard qu'on porte sur eux peut ainsi demeurer indulgent.

J'ai été, je suis, - bien que ce verbe qui donne l'impression d'un oubli de soi, demeure impropre puisque c'est le contraire qui se produit - [ accompagné ], [ habité ], simultanément par le René Boylesve qui demeure l'Enfant à la balustrade, le José Cabanis de l'Age Ingrat et des Lettres de la Forêt Noire, le Stendhal de Lucien Leuwen, le Stravoguine des Démons et le Drieu la Rochelle trompé et traqué des derniers jours de la collaboration, le Romain Gary des Cerfs-Volants avec, jamais perdue l'innocence de l'Idiot.

" Qu'est-ce que la littérature ?" demandait Sartre : quelque chose qui lui échappait, qui dépasse toute définition mais dont le petit texte de José Cabanis donne une assez bonne idée : une relation privilégiée entre deux hommes.