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LES ŒUVRES : Leurs oeuvres

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DE RENE BOYLESVE A ANDRE GIDE

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1867, 1869, René Boylesve est l'aîné d'André Gide de deux ans, mais c'est en 1891 qu'André Gide publie sa première œuvre, les Cahiers d'André Walter alors qu'il faudra attendre 1896 pour la première œuvre de René Boylesve. Les deux hommes se côtoieront assez tôt à l'Ermitage appartenant cependant à des groupes différents. Boylesve mourra en 1926 à cinquante neuf ans, après avoir été élu assez jeune à l'Académie française, alors que Gide dépassera les quatre-vingt ans et mourra en 1951 après avoir reçu le prix Nobel.

En quoi le parallèle entre ces deux écrivains est-il intéressant ?

Il est lié à la question que se pose beaucoup d'amateurs de René Boylesve : pour quelles raisons son œuvre est-elle tombée dans un oubli relatif ?

En effet, quel meilleur baromètre de notoriété que Gide, l'écrivain le plus marquant du vingtième siècle français venant du dernier quart du dix-neuvième ?

Quand on compare les deux œuvres ce qui choque dès le premier regard c'est qu'on ne trouve pas dans l'œuvre gidienne l'équivalent de romans tels que la Becquée, Mademoiselle Cloque, l'Enfant à la balustrade ou la Jeune fille bien élevée et Madeleine jeune femme auxquels on pourrait ajouter Elise. Gide n'est pas un romancier, il n'a d'ailleurs donné ce nom qu'à une seule de ses œuvres : les Faux-monnayeurs. Pas d'équivalent, cela signifie-t-il qu'il faille passer par dessus bord la Porte étroite, l'Immoraliste, la Symphonie pastorale ou les fameuses Caves du Vatican ? Non. Si ces œuvres n'ont ni l'intensité, ni la nervure romanesques des meilleurs œuvres de Boylesve, elles ont le style gidien sur lequel je reviendrais, et elles témoignent de ruptures, parfois indirectement, en se plaçant sur des thèmes brûlants - religion, foi, mœurs - traitées parfois sur un fond ironique ce en quoi les deux auteurs se rejoignent même si le type d'humour employé par Gide pourrait être qualifié par Boylesve d'amateurisme ou de dilettantisme - il n'appréciait pas un humour par trop irrespectueux - à ses yeux - tel que celui de l'Ile des pingouins d'Anatole France ou des Caves du Vatican de Gide. Les romans de Boylesve, plus "romans" que les soties gidiennes ; plus denses, sont des témoignages, ayant toujours un caractère autobiographique, d'une époque et d'un milieu, ils ne rejoignent des archétypes universels qu'accidentellement. Gide quant à lui est une sorte d'éveilleur, il vise à déranger, réveiller, il veut la liberté "intime", privée, pour chacun. Le paradoxe est que c'est des deux, l'écrivain qui s'accroche le plus aux thèmes religieux - Gide - fusse pour les resituer dans une trajectoire de libération - qui semble le plus moderne par ses héros. Boylesve rejoint Flaubert, s'il annonce Proust, tout en se censurant dans cette voie ; Proust que Gide "manquera" et que dans un premier mouvement Boylesve rejettera malgré les similitudes ; il appartient par ses œuvres à des mondes finis, clos, même si l'évolution des idées et des mœurs est au cœur de ses préoccupations, alors que chaque œuvre de Gide n'a de sens qu'au travers des autres. On a reproché à Boylesve une certaine faiblesse, comparé par exemple à Flaubert, mais elle tient à la progression dans la voie qui aboutira avec Proust et à un parti pris de l'auteur de ne s'intéresser qu'à des gens "moyens", Boylesve est un romancier ethnologue. J'ai dit que je reparlerai du style. Le style gidien est bien particulier. C'est le seul style précieux que j'apprécie. C'est, je pense, le plus beau style du vingtième siècle, celui qui donne à la langue sa musique la plus artistique, peu d'auteurs peuvent rivaliser avec Gide. France qui appartient aux deux siècles et représente la perfection classique, mais ni Proust dont la phrase longue et balancée est très loin d'un tel style, malgré sa musique si particulière et envoutante, ni Sartre bien entendu qui n'a aucun style et écrit comme un mauvais journaliste payé à la ligne, ni Camus, trop sec, peut-être Montherlant dans ses meilleurs moments dans un registre plus hautain et distant. Aujourd'hui, je citerais Richard Millet à la longue phrase incantatrice et également envoutante, une phrase proustienne triste et Gabriel Matznef, un continuateur de Montherlant. René Boylesve n'a pas un style, je vais attrister mes amis boylesviens en écrivant cela, mais, sans rejoindre le sinistre et malhonnête Paul Souday et son éreintement commandé de Boylesve, ni le Criticus et ses recherches professorales de fautes chez les écrivains connus, je pense que Boylesve, très doué, est capable d'écrire dans des registres très différents et que son œuvre ne présente pas une unité de style même si on peut le considérer comme un classique qui emploie une langue généralement concise.

Donc, chez Gide, deux éléments déterminants de durée : les thèmes dits modernes parce que d'actualité à son époque et le style, qui effacent et font oublier un manque d'ampleur des principales œuvres romanesques. Ces deux éléments n'existent pas chez Boylesve.

J'ai dit que les deux écrivains emploient l'humour et que la comédie n'est jamais loin chez l'un comme chez l'autre. Cependant, chez Gide nous trouvons des satyres avérées, comme les Caves du Vatican, jonglant avec l'absurde comme dans Paludes, chez Boylesve peu d'œuvres de ce type, le Bel avenir est trop proche du vaudeville et heurte les lecteurs des "grandes œuvres" de l'auteur, les Leçons d'amour ressemblent à des contes libertins, le Carrosse est un conte, l'humour chez Boylesve est dans l'œuvre, discret, donnant le ton, mais pas "accrocheur" comme dans certaines œuvres de Gide sans donner à ce mot un sens péjoratif.

Gide et Boylesve se rencontrent à l'Ermitage durant les premières années de leur carrière, mais Boylesve n'est pas, au contraire de Gide qui l'est "également", un homme de revue, sa participation à l'Ermitage, largement symboliste, mérite l'oubli. Symboliste, Gide l'a été, l'est, il est même certainement le plus grand écrivain symboliste français, un des rares chez qui le symbolisme survit à la prose et à la fiction littéraire, ce que l'on ne remarque pas assez. Gide est un homme de revue, après l'Ermitage il aura "sa" revue, la NRF qui sera durant quarante ans, la plus belle revue littéraire française, celle qui fera oublier les autres. Il l'utilisera comme une caisse de résonnance pour imposer une conception ouverte de la littérature dans laquelle cette dernière se place au centre du monde. Il en fera l'organe officiel d'une des plus belles époques des lettres françaises. Quatre collaborateurs de la revue obtiendront le prix Nobel dont deux des principaux, Gide et Martin du Gard. (Les deux autres étant Saint-John Perse et Mauriac).

Boylesve est l'homme du roman et des nouvelles, s'il touche à différentes formes de romans, récit, souvenir, journal, conte, épistolaire, voyage, il ne s'essaiera à aucun autre genre, ni théâtre, ni poésie, ni essais. Gide aborde tous les genres, fictions en prose, poésies, essais, critiques, mémoires, théâtre et son journal est, au contraire des carnets de Boylesve, une œuvre élaborée destinée à la publication.

Enfin, Boylesve est, par son mariage et peut-être par son éducation, homme de salon, cela le mènera à l'Académie, Gide est un homme de relations personnelles, des relations qui se nouent par le retentissement de son œuvre d'éveilleur, de curieux, et par la revue. Il sera au centre d'une constellation qui est la plus belle qu'on puisse imaginer et sa correspondance, monumentale, en témoigne.

Pour me résumer, je dirais que Gide est un homme d'idées, un artiste, un formidable "animateur", ce faux solitaire est certainement l'écrivain le plus recherché de son époque. Au contraire, Boylesve est un artisan des lettres, un homme de cabinet qui n'en sort que pour ses voyages, au contraire de Gide, des petits voyages, pour le salon de sa femme ou de la belle Madame Muhlfeld. Son cercle est étroit.

Les œuvres comme le comportement qui tient à la nature des écrivains font le succès de l'un et la petite carrière posthume discrète et effacée - et de plus trop souvent axée sur le plus mauvais aspect de l'œuvre - de l'autre. On perdrait à ignorer Gide, on gagnerait, dans un autre registre, à redécouvrir les œuvres maîtresses de Boylesve.

 

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