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ECRIVAINS MORTS A LA GUERRE - LES ŒUVRES

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Paul Acker  Antoine Yvan, Jean Arbousset, Maurice Bonneff, Léon Bonneff, Emile Clermont, Louis Codet,  René Dalizé, Prosper-Henri Devos,  Colonel Driant (Capitaine Danrit), Paul Drouot, Albert Dumange, Abel Ferry, Pierre Fons, Albert Guénard, Edouard Guerber, François Lafond, Jules Leroux, Charles Péguy, Eugène Pic, 

Charles Troufleau


Enfin disponible en volume :

Le roman d'Édouard Guerber (1882 - 1922, mort des suites d'une maladie contractée au front)

Publié dans la revue La Minerve du 1er décembre1919 au 1er janvier 1920 :

L'Homme Bleu

disponilble au prix de € 11,- + frais d'envoi : € 3,94 Commander : bourgeois.andreg@gmail.com


 

ASSASSINES POUR LA FRANCE ou la BELGIQUE : Alors que je m'interrogeais sur cette formule utilisée pour qualifier l'hécatombe de 14-18, je ne pouvais manquer de m'arrêter sur un article de revue trouvé, découpé, entre les pages d'un livre de Paul Drouot acquis auprès d'un libraire de livres anciens. " « Noblesse oblige », songeait Drouot. Et nous apprîmes, en effet, qu'avide de grandeur ( ainsi se peignit-il sous les traits du héros d'un roman ébauché), le poète abdiqua sans regret en faveur du paladin qu'il portait en lui et malgré lui. Cette grandeur qu'on lui avait enseignée dès l'enfance et qui avait contaminé toute sa génération, lui, porteur d'un grand nom guerrier, ne manquerait pas de la conquérir à son tour. Hélas ! aujourd'hui que nous voyons plus clair, il nous apparaît que laisser périr des cerveaux de cette trempe, c'était saigner la France à blanc, gaspiller follement sa seule richesse authentique, le vrai, l'inestimable patrimoine de la race. " Ce texte écrit par Yves-Gérard Le Dantec en 1951, en dehors du fait qu'il est très élitiste et passe par pertes et profits les 1 290 000 morts qui n'étaient pas " dotés de cerveaux inestimables " juge déjà sévèrement ce patriotisme qui au nom de la Patrie envoie à la mort le meilleur de sa jeunesse, il évoque aussi l'éducation que donnèrent à leurs enfants des générations de revanchards qui après 1870, n'avaient plus qu'une idée, idée fixe d'une droite nationaliste qui n'en eut jamais beaucoup : l'Alsace et la Lorraine, générations d'ailleurs plus aptes à éduquer ses enfants à la mort qu'à préparer l'état militaire du pays pour en sauver le plus grand nombre possible ! A l'heure où de vagues nationalistes issus d'une mouvance qu'on peut en " gros " qualifier de " collabo " tant elle s'aligne sur Pétain et sa clique, commencent de nouveau à remuer les idées de Patrie et de France pour des raisons bassement électorales, même quand ils n'en sont possesseurs que depuis assez peu de temps au regard de ce que ces concepts - de mort - véhiculent, il peut être salutaire de ne pas perdre de vue qu'ils n'ont jamais mené qu'aux grands cimetières et aux alignées de croix blanches.

 ABEL FERRY, Carnets Secrets : Députés, Sous Secrétaire d'Etat dans le Cabinet Viviani, réformé il insiste pour participer aux combats, il est au Front mais participe encore aux Conseils des Ministres et au Comité Secret de la guerre. Ses carnets sont un témoignage accablant tant pour les généraux incompétents dont l'arriviste Joffre que pour certains politiciens. Millerand, arriviste, médiocre et redoutable, pourrit avec Joffre la première année de guerre. Poincaré, intelligent et incapable de décision, laissant faire sous son autorité d'autres, en embuscade, songeant plus à leur propre carrière qu'à gagner une guerre que les poilus paient de leur sang ; Briand, arriviste, ou un épouvantable médiocre comme Millerand. Effroyable médiocrité encore, celle du Grand État-major de Joffre, peuplé d'intrigants, loin des combats, ignorant la réalité de cette guerre, y éclate à chaque page. Ce témoignage en recoupe d'autres comme celui de Gallieni ou même celui d'Henry Bordeaux qui nous décrit Joffre, déchu, errant, dans les bureaux de l'Etat-major, se répandant en reproches : " Cela ne va pas assez vite !" Il aurait pu dire : " Le massacre n'arrive pas assez vite. " Nivelle, le Boucher de Verdun qui sera réhabilité, car on recule devant rien en France, le massacre, celui des poilus prolongeant l'assassinat commandé de Jaurès. Si l'on ne doit lire qu'un livre sur cette guerre, c'st certainement celui-ci. Abel Ferry est le neveu de Jules Ferry, il appartient à une grande famille de la République et il a été sans aucun doute, digne de cette aristocratie de devoirs qui a posé, dans de durs combats, les bases d'une République, depuis longtemps trahie par de pseudos élites d'une insigne médiocrité bien incarnée par les indignes gouvernants d'hier auxquels répondent ceux d'aujourd'hui, droite et fausse gauche confondues.

ALBERT DUMANGE : Né le 5 juillet 1894 à Remaucourt, il avait vingt-et-un an depuis trois mois quand l'Allemagne ( que la France chargeait de tuer sa jeunesse, lui rendant le même service en retour, les deux putes s'entendaient déjà très bien !) assassina ce jeune poète naïf dont le chroniqueur nous dit qu'il craignait toujours à la suite d'un combat d'avoir tué.

Quand je serai couché dans un trou froid et sombre,

Personne ne saura peut-être qui je suis ;

Et pour veiller sur moi, il n'y aura dans l'ombre

Que de petites fleurs de rameaux et de buis.

 

Et, cependant, France, ma tombe mystérieuse

Sera le talisman de la folle espérance,

De la Future Humanité, belle et heureuse,

Dont tu seras encore la Mère, France ! France !...

Faut-il dire quelques noms que l'actualité nous délivre régulièrement, les minables trucages électoraux qui nous ravalent au rang d'une république bananière, les quatre millions de chômeurs, le racisme, ... pour apprécier le mot qu'emploie le chroniqueur de l'Anthologie des Ecrivains morts à la guerre : assassiné ? Retour liste des Ecrivains morts ...

PAUL ACKER : Le désir de vivre. Depuis que j'ai entrepris la construction de ces pages consacrées aux écrivains morts à la guerre de 1914-1918, j'ai lu quelques œuvres avec grand plaisir, d'autres avec intérêt ou même étonnement, j'ai eu quelques difficultés à en terminer certaines et, enfin, j'en ai abandonné d'autres. Rien de plus normal, le bilan serait plus lourd si je ne m'étais pas donné ce but : prospecter ce champ fauché trop tôt. Ce livre est de ceux qui se lisent facilement, il n'est jamais désagréable même si presque tout y est prévisible dès que l'on a compris que l'auteur nous décrit la vie de celle qui n'est pas tombée. Roman mondain, nul doute que cette classification du fameux abbé Bethléem ne convienne parfaitement ici. Paul Acker sait écrire, composer, situer des personnages, mener une intrigue à partir de peu. Il s'occupe de personnages insignifiants, comme René Boylesve, la différence étant la consistance de l'analyse. Dans ce roman, elle est légère et assez conventionnelle. La fin du roman, habile mais un peu outrée en regard de la petite vie de l'héroïne dont le caractère "protégé" a été mis en évidence par une incursion caritative quelques chapitres plus tôt, met l'auteur à l'abri du reproche d'avoir écrit un compte de fées.

Les exilés. Une phrase du début de ce livre donne, surtout sous la plume d'un homme qui allait mourir "en service", une idée de l'état d'esprit assez généralement répandu dans une assez large partie de l'opinion, esprit qui se nourrissait de la défaite de 1870 mais également du souvenir ému des épopées napoléoniennes et révolutionnaires, épopées que l'on ne songeait alors pas fréquemment semble-t-il à évaluer en nombre de morts et en dégâts divers tels l'avènement des guerres totales : " Il éprouvait à son égard, non pas seulement cette tendresse naturelle qui monte d'un fils vers l'auteur de ses jours, mais encore un respect très particulier, comme à l'égard d'un homme qui représentait une autre époque, lointaine, plus belle, meilleure, plus tragique aussi, et qui, au lieu des médiocrités présentes, avait vu des révolutions, des guerres, des victoires, des désastres, des peuples se soulever pour conquérir des libertés, et d'autres pour constituer leur nation, toute la cruauté des hommes enfin et en même temps tout leur courage, tous leurs féroces appétits et en même temps toutes leurs magnifiques vertus. "

Paul Acker, né le 14 septembre 1874 à Saverne, alors sous domination allemande depuis quatre ans. Moins jeune que beaucoup de ses collègues en littérature, il a déjà quand la mort le prend, le 27 juin 1916, publié une œuvre abondante. Son père, alsacien, Inspecteur des contributions, opte en 1871 pour la France et s'établit à Paris, puis à Aurillac. Paul fait de bonnes études, entre au Lycée Louis le Grand mais échoue à l'oral de Normale. Licencié en lettres, il décide de se consacrer à une carrière littéraire et journalistique. La guerre le surprend en Alsace d'où il rentre pour se faire mobiliser. C'est au cours d'une mission en Alsace libérée qu'il est mortellement blessé dans un accident automobile. Sa bibliographie comporte alors vingt titres publiés, deux autres posthumes le seront en 1917 et 1921. Outre des romans il a laissé de nombreux articles dans quelques unes des grandes revues de l'époque dont une étude sur Erkmann-Chatrian, auteur(s) alsacien(s) et une autre sur la Comtesse de Ségur. Retour liste des Ecrivains morts ...

 EUGENE PIC : Figures et choses du front. Plus que par des anecdotes, c'est par des descriptions légères et vivantes que l'auteur nous convie à la vie du poilu. Une vie au quotidien, qu'il a bien fallu aménager, dans laquelle il a fallu glisser des activités telles que la chasse ou l'industrie de l'aluminium. La vie, c'est encore dans ce témoignage ce que nous retrouvons, la vie misérable mais parsemée de petites fleurs des champs quand revient le printemps, de petites fêtes entre soldats, de mascarades où le ridicule de l'armée explose comme dans les conseils de guerre, pas ceux qui feront assassiner des innocents, parfois même des héros, mais les autres, qui, banalement, envoient en prison pour quelques coups de feux sur des pigeons, qui ont affolés de pauvres officiers. Pic n'oublie pas la mort et il dit fort bien en quelques mots comment on vit avec : " Les mots peuvent un peu différer; le fond de la pensée est le même. C'est ce fatalisme du front qui veut  qu'on jouisse de l'heure sans se préoccuper de l'avenir, sans se laisser émouvoir par le passé. Et ce fatalisme n'est pas un manque de cœur. Le soldat laisse au combat les meilleurs de ses camarades; au cantonnement, quelques jours après, il est gai de nouveau et s'étourdit. Mais cette gaieté est un besoin qu'a la bête humaine de se détendre après les heures de cauchemar d'un Douaumont, d'un Damloup. L'effort physique, la fatigue entravent aussi le jeu du sentiment. Et tout cela aboutit à cette insouciance qui est le fond, qui est le charme aussi de la vie du fantassin. Plus tard, après la guerre, quand, rentrés chez soi, on fera le bilan de tous ceux qu'on a connus et qui ne sont plus, ceux qu'on a vus emportés, les deux jambes enlevées, dans une toile de tente où le sang se mêle à la boue, ou ceux plus heureux qu'une balle a frappés d'un coup, oh! alors, ce sera bien plus triste. " Le style d'Eugène Pic parce qu'il ne recherche jamais l'effet, parce qu'il est sûr, descriptif, juste en quelques mots, authentique, retient et touche au-delà de toute rhétorique ou de toute exploitation dramatique. Ses deux témoignages sur la vie du soldat sont des œuvres d'écrivain révélant un vrai talent de peintre, justement couronnées par l'Académie Française.

Eugène Pic en juillet 1914, à la veille de la guerre devient licencié en lettres et bachelier en droit. La déclaration de guerre le trouve en vacances en Angleterre, il rentre immédiatement et s'engage pour la durée de la guerre. Il participe à plusieurs combats, est blessé à plusieurs reprises, et est tué le 23 mars 1917, sous lieutenant, à Clastres pendant la bataille de la Somme. Il a publié un livre de témoignage, on en publiera un second à partir de textes inédits et selon un plan préparé par lui après sa mort. Il avait 21 ans. Retour liste des Ecrivains morts ...

LEON ET MAURICE BONNEFF : La vie tragique des travailleurs ( Jules Rouff et Cie, réédité par Etudes et Documentation Internationales en 1984 ). Une enquête ! Est-ce du domaine de la littérature m'étais-je demandé ?  Le livre des frères Bonneff est mieux qu'un roman, écrit dans une langue forte, les études se lient mieux qu'une histoire à l'intrigue la plus solide. Ils passent en revue de nombreux métiers, la misère du monde ouvrier de leur époque et l'on ne peut s'empêcher de penser que la situation qu'ils décrivent est " moins pire " que celle qu'ils auraient trouvée sous le second empire par exemple. On s'étonne moins que la grande masse des jeunes français de l'époque se soient laissée conduire à l'abattage dans les tranchées, on sait ce que sont les camps de concentration sans barbelé du libéralisme, ceux-là même qu'une bande de salauds est entrain de remettre en place que ce soit chez nous, chez Adolphe Bush ou Vladimir Hitler. Je donnerais simplement le début du chapitre sur les travailleurs juifs de Paris parce que ces lignes écrites avant la guerre de 14-18 témoignent trop que des gens intelligents existaient bien avant que de tristes salauds de petits bourgeois tels que Céline crient leur haine sous les applaudissements qui n'en finiront pas des anarchistes de carton par exemple du Canard Enchaîné : " Parmi les ouvriers de Paris, un peuple vit, famélique et laborieux,  qui a conservé ses coutumes et son langage : c'est le prolétariat juif. Alors que les ouvriers se groupaient étroitement, sans distinction de nationalité, les travailleurs israélites, pour bien des causes, ne pouvaient s'assimiler au reste de la population. La plupart proscrits, tous exploités, les ouvriers juifs supportent le fardeau des haines religieuses, de l'assujettissement économique le plus étroit, de toutes les misères du vieux monde. Le Juif ouvrier manuel, le Juif éloigné de la boutique et du comptoir, est généralement peu connu. Cependant les IVe et XIe arrondissements de Paris, les quartiers de la Bastille et de l'Hôtel-de-Ville, donnent asile à une population juive de tailleurs, de casquettiers, d'ébénistes, de forgerons, de cordonniers, de sculpteurs, de mécaniciens, de ferblantiers, de serruriers, de chaudronniers, de confectionneurs en fourrures, parlant tous le même idiome: le jargon yiddish. " Les Bonneff décrivent ensuite le long périple de douleur et de souffrance du peuple juif de Russie persécuté, assassiné par la racaille tsariste dans des pogromes organisés par ce pouvoir sanguinaire et finissant avant d'arriver à la situation des immigrés réfugiés. On est loin des Gédéon d'Antoine Yvan et de ses sirupeux clichés.

Aubervilliers : Aubervilliers, c'est la banlieue nourricière et l'égout de Paris. Usine d'équarrissage qui empuantit l'atmosphère, fourgons de vidange qui livrent leur marchandise, maraîchers, tout un peuple laborieux vit dans les " casernes " HLM avant la lettre, grands immeubles mal entretenus, trop sonores ... Pas de syndicat, pas de repos, pour certains la boisson. Léon Bonneff ne s'attarde pas sur les drames individuels, un meurtre de mari violent ne donne que quelques lignes, c'est un avatar de la misère et de l'exploitation. La ville, la banlieue, leur population, sont le véritable personnage tout comme Manhattan le sera beaucoup plus tard pour Dos Passos. On est tout aussi loin du roman naturaliste que du roman psychologique, quelle psychologie pour des gens soumis au quotidien ? Ici c'est le roman du travail, du mauvais travail, de celui issu, encadré par cette putain de société libérale qu'il n'est même pas besoin de dénoncer. On fait souvent lire la Vie d'un simple de Guillaumin aux enfants des écoles, je comprends très bien pour quelles raisons on le préfère à ce livre, Aubervilliers, pourtant bien plus riche d'enseignements sur notre société au travers d'un passé récent. D'ailleurs les histoires de la littérature ont préféré oublier ces frères qui ont eu le bon goût de mourir pour le capital dès le début de cette guerre du fric que se sont livrés les deux putains dominantes de l'époque, la vieille et la jeune, France et Allemagne, entraînant derrière elles leur cortège de victimes, de petits maquereaux, de julots casse croûte, je veux parler des Belgique, Italie, Pologne, Russie, Angleterre et autres poufs et pouffiasses aussi peu recommandables. Léon Bonneff ne fait pas de théorie, au fil des histoires individuelles, il restitue la machine à emprisonner, à tuer, qu'était le libéralisme. Une machine toute simple, basée sur l'exploitation de l'autre, le profit, en toute liberté et absence de scrupule. L'histoire du breton Le Louël est ainsi exemplaire, on le sent, qui mène ce fort gars breton dans un bagne d'Aubervilliers où il ne maîtrise plus rien et où le premier incident le fait vraiment esclave - ce qu'il était déjà potentiellement. Ce roman qui se lit comme un livre d'histoire est un ouvrage d'ethnologie. Aucun auteur à un euro spécialiste auto proclamé du roman historique ne nous livrera un centième de ce que nous donnent les frères Bonneff. Oserais-je dire que l'on comprend que même la guerre et son cortège de mort, ait pu sembler gaie et libératrice à certains de ces hommes qui subissaient une telle vie ... privilégiée pour beaucoup d'entre eux ! N'est-ce pas cela le libéralisme : faire que les hommes puissent aimer à jouer leur vie pour mourir en héros après avoir goûter aux délices de la liberté économique ? Patrie et Libéralisme ne sont-elles pas les deux mamelles de l'actionnaire où il tête le sang des autres.

Léon Bonneff né à Gray le 20 septembre 1882 et Maurice né à Gray le 28 décembre 1884 arrivent à Paris le premier en 1898, seul, pour entrer chez un cousin éditeur, le second avec sa famille en 1900 pour rejoindre son frère. Dans sa préface à la réédition de La vie tragique, Michelle Perrot dit qu'ils n'avaient pas le certificat d'études ce qui semble faux. D'après Léon Descaves qui rédigea leur rubrique pour le Dictionnaire des écrivains morts à la guerre, Léon l'obtint le 30 juillet 1893 et Maurice le 30 juillet 1895. De la Vie tragique que les frères Bonneff lui demandèrent de préfacer, Lucien Descaves dit " Les Bonneff nous faisaient parcourir des champs de bataille couverts de morts et de blessés. ..." On ne peut mieux qualifier ce qu'ils nous montrent du monde ouvrier où le patronat libéral se comporte en assassin pour des profits qui avoisinent parfois 30% du chiffre d'affaire et des feuilles de salaire au solde négatif après amendes, coopérative patronale et autres " divers ". Maurice écrivit ensuite un roman, " Didier, homme du peuple ", pensé avec Léon, écrit seul, que Léon refusa de cosigner en laissant le mérite à son frère. Maurice Bonneff fut tué le 24 septembre 1914 à Mouilly, Meuse, son frère mourut le 24 décembre 1914, de la suite de blessures reçues le 13 décembre.

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PAUL DROUOT : Eurydice deux fois perdue. Eurydice deux fois perdue est une ébauche de roman, on hésite à employer ce terme tant le roman n'est justement pas ébauché. Il s'agit d'un ensemble de notes concernant un amour malheureux et la grande souffrance du narrateur, que Paul Drouot avait accumulées en prévision d'un roman à écrire. Le texte publié est donc sans lien et l'intrigue n'a pas été définie. On ne peut dire ce qu'aurait été cet ouvrage. Les notes révèlent des sentiments intenses, elles sont dans un ton romantique et poétique et donnent l'impression d'un grand nombre de redites, impression que l'auteur aurait " traitée " d'une façon ou d'une autre en les intégrant dans un texte. Emile Henriot qui écrivit sa notice dans le dictionnaire des écrivains morts à la guerre tout comme Henri de Régnier qui préfaça Eurydice s'accordent à reconnaître à l'auteur un talent certain, un grand lyrisme - ce qui est certainement le plus grand reproche que l'on puisse lui faire dans le cadre d'un roman à venir -. Les notes furent publiées en 1921, ce n'est que plus de trente ans plus tard, en 1953, qu'on eut quelques éclaircissements sur la passion évoquée par Paul Drouot dans son projet de roman, en 1953, lors de la parution de l'admirable Journal de Paule Régnier, qui s'était suicidée en 1950. Eurydice était en fait la sœur de Paule Régnier, elle même passionnément amoureuse de Paul Drouot. Très jolie, Paule Régnier souffrait d'une malformation qui lui fit aimer silencieusement Paul Drouot dont elle découvrit après sa mort sa passion pour une autre. Outre ce Journal paru après son suicide, Paule Régnier est l'auteur de plusieurs romans.

Arrière-petit-neveu du Général Drouot qui accompagna Napoléon à l'île d'Elbe dont il fut Gouverneur, Paul Drouot est né à Vouziers, le 21 mai 1886. A la veille de la guerre il a publié trois recueils de vers. La Chanson d'Eliacin, 1906 - La grappe de raisin, 1908 - Sous le vocable du chêne, 1910. Une dernière plaquette de vers inédits paraîtra après sa mort en 1922. Mobilisé dès les début de la guerre, refusant un poste arrière où sa santé fragile aurait pu le faire reléguer, il fut tué par un obus le 8 juin 1915 devant Notre-Dame-de-Lorette. Il faut rapporter cette phrase terrible de Paul Drouot extraite d'une lettre à sa mère et citée par Emile Henriot, qui révèle la pression que les événements et la situation exerçait sur ces jeunes hommes : " On vivra toute sa vie avec ce qu'on aura fait durant cette guerre, et l'on ne saurait souhaiter à personne de ceux qu'on aime de traîner plus tard une conscience amoindrie et des regrets dont rien ne saurait consoler ..." Les puissances avaient conditionné leurs jeunes générations au massacre auquel elles les destinaient ce qui répond en partie à l'horrible question : " Pourquoi se sont-ils laissés ainsi massacrés ?" C'est la raison pour laquelle on ne saurait pas plus pardonner aux écrivains nationalistes revanchards qu'aux antisémites avant la seconde guerre mondiale leur sale travail de propagande. Retour Liste Ecrivains morts ...

CHARLES PEGUY : Né le 7 janvier 1873 à Orléans, Charles Péguy est le fils d'un ouvrier menuisier lui même mort des suites des fatigues et des épreuves du siège de Paris où il avait combattu comme mobile. Après des études fort troublées il entre tard à Normale et échoue en 1898 à l'agrégation. Il mène déjà à cette époque de nombreuses activités littéraires et militantes.  Il participe à la Librairie socialiste et se brouille avec les autres associés. Il fonde alors, suivi par Romain Rolland et les frères Tharaud, les Cahiers de la Quinzaine. L'administration de ces derniers était assurée par un ami d'enfance, André Bourgeois. Dreyfusard, Péguy s'affirma rapidement dans son originalité socialiste et chrétienne. Marcel Péguy, son fils cite de lui cette phrase marquante : " Tout commence par la mystique, et tout finit par de la politique ; l'intérêt, l'essentiel, est dans chaque ordre, dans chaque système, la mystique ne soit point dévorée par la politique à laquelle elle a donné naissance." L'œuvre de Péguy est une grande œuvre poétique et une œuvre d'idées. Sa présentation de la Beauce à Notre Dame de Chartres est un des poèmes les plus connus et les plus beaux de la langue française, un chef d'œuvre incontestable dans lequel la musique du vers et l'assemblage des mots donnent à chacun d'entre eux un surcroît de charge et de sens. Le vers de Péguy, répétitif et balancé produit un effet particulièrement fort. " Etoile de la mer, voici la lourde nappe Et la profonde houle et l'océan des blés Et la mouvante écume et nos greniers comblés, Voici votre regard sur cette immense chape. - Et voici votre voix sur cette lourde plaine Et nos amis absents et nos cœurs dépeuplés, Voici le long de nous nos poings désassemblés Et notre lassitude et notre force pleine. - Etoile du matin, inaccessible reine, Voici que nous marchons vers votre illustre cour, Et voici le plateau de notre pauvre amour, Et l'océan de notre immense peine. - Un sanglot rôde et court par delà l'horizon. A peine quelques toits font comme un archipel. Du vieux clocher retombe une sorte d'appel. L'épaisse église semble une basse maison. - Ainsi nous naviguons vers votre cathédrale. De loin en loin surnage un chapelet de meules, Rondes comme des tours, opulentes et seules Comme un rang de châteaux sur la barque amirale. - Deux mille ans de labeur ont fait de cette terre Un réservoir sans fin pour les âges nouveaux. Mille ans de votre grâce ont fait de ces travaux Un reposoir sans fin pour l'âme solitaire. ... Nous arrivons vers vous de Paris capitale. C'est là que nous avons notre gouvernement, Et notre temps perdu dans le lanternement, Et notre liberté décevante et totale. - Nous arrivons vers vous de l'autre Notre Dame, De celle qui s'élève au cœur de la cité, Dans sa royale robe et dans sa majesté, Dans sa magnificence et sa justesse d'âme. - Comme vous commandez un océan d'épis, Là-bas vous commandez un océan de têtes, Et la moisson des deuils et la moisson des fêtes Se couche chaque soir devant votre parvis. ..." Charles Péguy est le seul avec Guillaume Apollinaire des écrivains morts à la guerre de 14-18 à figurer dans cette prestigieuse collection, La Pléiade (3 volumes), c'est qu'il avait à quarante et un an, lors de sa mort, derrière lui une œuvre déjà importante. Réserviste volontaire depuis 1907, il partit dès les premiers jours de la guerre et prît part aux combats devant Metz. Dirigé vers Guise il prit part aux combats destinés à protéger la retraite de la cinquième armée de Lanrezac. Le 5 septembre 1914, à Villeroy, près de Meaux, il est tué avec tous les officiers alors que comme eux il observait le tir lors de l'attaque dans l'exercice de son commandement. Il fut un des premiers poètes que je découvris au-delà des " poèmes scolaires " et, avec Rimbaud et avec Rabelais et le Roman de Renard, un des premiers éléments sérieux de littérature qui me confirmèrent dans ma passion de lire. Charles Péguy ne se discute pas, il se savoure. 

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COLONEL DRIANT ( Capitaine DANRIT ) : Emile Driant, né le 11 septembre 1855 à Neufchâtel (Aisne) fut l'une des grandes figures héroïque de cette guerre. Sous-lieutenant en 1877, il quitte l'armée à la suite de ses protestations véhémentes lors de l'Affaire des fiches, en 1906. Il a épousé la fille du général Boulanger dont il était un proche après avoir exercé auprès de lui les fonctions d'officier d'ordonnance. De militaire et littéraire sa carrière devient alors politique et littéraire. A l'Assemblée Nationale il s'intéresse aux questions militaires et se montre préoccupé de renforcer la puissance militaire française. Il poursuit sa carrière littéraire. Sous le pseudonyme de Capitaine Danrit, il a développé une œuvre populaire et patriotique dans laquelle il explore les guerres de demain, préparant ainsi l'opinion au prochain conflit. Cette œuvre qui explore la guerre sur tous les continents comporte plus de cent volumes et est totalement oubliée aujourd'hui. De tous les écrivains tués durant cette guerre, le colonel Driant est celui qui a le plus écrit et publié. Il reprend du service dès le début du conflit et son premier fait d'armes a lieu le 1er septembre 1914 dans le village de Gercourt qu'il reprend dans des conditions difficiles. Affecté ensuite dans le secteur de Louvemont, près de Verdun, il prépare soigneusement ce secteur dont il a la charge, à une offensive massive dont il est persuadé qu'elle se produira à Verdun et tente d'alerter en vain les autorités incompétentes (Joffre) sur le manque de moyens. Quand l'attaque allemande a lieu, le 21 février 1916, ses deux bataillons opposent une résistance farouche et il faudra deux jours et un corps d'armée complet pour enlever la place. Driant fut tué et ses chasseurs exterminés. Emile Driant dont une rue à Paris commémore le souvenir de la Banque de France à la Bourse du Commerce, est de ceux qui ont " chauffé " l'opinion, explorant les conflits futurs dans tous les sens : L'invasion noire, l'invasion jaune, la guerre franco-anglaise et, bien entendu, la guerre franco-allemande, il a également prospecté les nouvelles formes de guerre, aérienne, sous marine, communications, propagande, il a au moins deux mérites : il a essayer de prévoir, ce que n'ont pas su faire nos vat-en-guerres ordinaires, il s'est battu - et bien - ce que se sont bien gardé de faire les ténors du patriotisme ... Retour Liste Ecrivains morts ...

PROSPER-HENRI DEVOS : Monna Lisa. Cette œuvre est placée sous le double patronage de Charles-Louis Philippe par une citation de Bubu en exergue et de Louis Codet par la dédicace à la Petite Chiquette. Si elle n'a ni l'aimable fantaisie de Codet, ni le ton de Philippe elle trouve sa place sous la forme d'un roman d'analyse qui donne à cette aventure d'artistes un ton un peu lourd, ce d'autant plus que l'intrigue demeure assez conventionnelle. On peine parfois à la lecture essentiellement en raison du décalage que l'on ressent entre l'analyse et les personnages qui donnent un temps l'impression de ne pas la mériter, reste quand même l'envie de pousser plus loin ce qui prouve que l'auteur est capable d'attacher et de retenir par la finesse des sentiments et des analyses des situations qu'il rapporte. Les derniers chapitres sont d'ailleurs les meilleurs qui permettent à l'auteur qui a bien noué son intrigue et assez fortement attaché le lecteur de faire éclater sa vision du créateur et de souligner que la force de ce dernier passe par la force de travail. Ce qui est certain c'est qu'il était un écrivain de talent et riche de tous les possibles. Au passage il nous montre le Bruxelles qu'il a connu, une ville en évolution rapide. Pour qui y a vécu des dizaines d'années plus tard, l'évocation est réussie. " - Je ne suis pas malheureuse. Fernand est si bon pour moi... Je suis si contente de le voir travailler enfin, si fière aussi. Cette œuvre qui grandit, il me la doit, dit-il. Et c'est vrai que, jadis, il n'était pas capable de cet effort. Alors, je m'attache à ses toiles comme je m'étais attachée aux tiennes. Peut-on ne pas aimer ses enfants ? Et les enfants, comme on dit, c'est le trait ...  Elle s'interrompit. Il lui semblait que son cœur, brusquement gonflé, lui emplissait la poitrine, la gorge, la tête d'une poussée qui lui jetait des larmes sous les paupières. Elle avait revu entre eux le petit Liévin mort. - Alors, tu... Et la voix du peintre aussi se fêla. Elle le regarda. Son visage grimaçait, les pommettes et le blanc des yeux rougis. La même vision, au même instant, l'avait donc traversé ! Leurs mains moites se serrèrent. Ce fut un moment d'indicible douceur douloureuse. Ils se sentaient devinés comme ils se devinaient. Et une force plus puissante qu'aucune de celles auxquelles leur pauvre loque eût jamais obéi les poussait l'un vers l'autre... " (p255-6)

Né le 28 janvier 1889, à Bruxelles de parents flamands, Devos est l'auteur de deux romans publiés, d'un troisième inédit et de deux pièces de théâtre. Il fonde en 1908, la revue la Belgique française. Employé à la maison communale d'Anderlecht, influencé par Paul Bourget et Barrès, il évolue d'aspirations de gauche à un catholicisme nationaliste qui le fait s'engager dès le début du conflit. Il est tué devant Ramscapelle le 3 novembre 1914. Espérons que nos amis bruxellois nous donneront un jour en mémoire de cet espoir des lettres belges son inédit : Les cinq maîtresses du poète Martué, un des personnages secondaires de Monna Lisa.         Retour Liste Ecrivains morts ...

 ALBERT GUENARD : La mort du soldat

Dans la clairière où rit un doux soleil d'automne,

Le "Bleu", presque un enfant, tout à l'heure joyeux

Et maintenant frappé d'une balle teutonne,

Meurt sur l'herbe qui boit tout son sang précieux.

 

Nul ne sait la nouvelle. Aucun glas ne la sonne.

Sa mère n'est pas là pour lui fermer les yeux ;

Et, pour l'ensevelir, il ne viendra personne.

- Le village lointain brûle silencieux.

 

Mais les arbres, émus de la pitié des choses,

Ne veulent pas dans les dernière clartés roses,

Laisser à découvert ainsi ce pauvre mort.

 

Alors, dans la forêt apaisée et meurtrie,

Sur le petit soldat tombé pour la Patrie,

Les feuilles, lentement, tissent un linceul d'or.

                                Novembre 1914

 PIERRE FONS : La petite fenêtre

O petite fenêtre grise

Où si longuement j'ai rêvé,

Quand jadis la nuit indécise

Fermait le livre inachevé,

 

On voit dans ta svelte embrasure

Un horizon d'arbres et d'eaux,

Un chemin clos, une masure

Et tout un couchant de côteaux.

 

Moi j'y voyais surtout la Gloire

Avec l'Amour et la Beauté,

Ne sentant pas qu'une ombre noire

S'était assise à mon côté.

 

Que m'importe à présent la Vie,

Même hélas ! sans avoir vécu !

La Gloire fuit, l'Amour m'oublie

Et l'art superbe m'a vaincu.

 

O fenêtre, donne un asile

Calme et souriant à mes yeux

Qui, dans les brumes de la ville,

On perdu la splendeur des Cieux !

 

Accueille-moi car dans ma route

Je clorais mon cœur à l'espoir,

Si je ne prévoyais sans doute

Que, dans la tendre paix d'un soir,

 

A travers les arbres qui penchent

Sur ces beaux lieux que j'aime tant,

Reviendront dans leurs robes blanches

Toutes mes prières d'enfant.

 

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