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LECTURE et CRITIQUE

 

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J'ai commencé la page José Cabanis en même temps que la relecture de l'Age Ingrat, la suite romanesque de José Cabanis qui reprend l'essentiel de son oeuvre romanesque. J'avais bien entendu de mes lectures précédentes, la dernière étant assez éloignée, conservé quelques souvenirs. C'est au fur et à mesure de cette relecture, alors que je relevais au fil des pages, de nombreuses citations, que j'ai développé le petit commentaire de l'oeuvre. Il s'agit donc d'impressions de lecture qui évoluent au fil des pages. Ce n'est certes pas une lecture " scientifique ", axée sur un thème, qui nourrit une réflexion " dirigée " de l'oeuvre, mais les écrivains, en particulier les romanciers, écrivent-ils pour être lus de façon thématique ou pour être lus, simplement, " globalement ", sans préjugé de ce qui va sortir de la lecture ?

Cette lecture est également celle du plus grand nombre de lecteurs, celle qui laisse ouverte la place du plaisir, indispensable. Dès lors, pour quelles raisons celui qui veut faire, modestement, office de critique, adopterait-il une autre démarche ? Si l'on veut conseiller, faire découvrir, il importe d'être semblable à ceux qui vont peut-être nous lire et nous suivre. Ceux qui lisent pour le plaisir, comme nous, un plaisir qui n'est jamais gratuit puisque le jeu littéraire et c'est là ce qui distingue la littérature de qualité de l'autre, aboutit inexorablement à l'enrichissement du lecteur. La vie littéraire est faite de ces lectures - critiques d'écrivains entre eux, critique de lecteurs, le jour où la critique a commencé à s'éloigner de cette perspective pour aborder des oeuvres ou des auteurs dans une approche systématique, thématique, générant en même temps un jargon de spécialistes, elle s'est coupée du monde de la lecture. Ce n'est évidemment pas toute la critique qui s'est ainsi livrée à cet exercice stérilisant contre lequel nous n'avons (presque) rien à condition qu'il reste cantonné dans les obscures salles d'universités où il ne vaut pas plus que ce pourquoi il existe : un jeu stérile. Jean Giono, évoquait avec mépris " des gens comme Thibaudet " qui, pourtant nous semble loin de cela. En dehors du monde de la vie, l'oeuvre littéraire est stérile. Qu'elle foisonne de données pour des (pseudo) sciences humaines, cela n'est pas douteux, mais, outre que ces sciences humaines plongent à chaque fois qu'elles fixent leur réalité dans l'oeuvre littéraire un peu plus dans le " pseudo ", elles abordent l'oeuvre sous un angle qui n'intéresse qu'elles. L'ethnologue qui lit Zola en ethnologue d'abord se limite à Zola, créateur de génie, souvent emporté par ses visions lyriques, et commet une réflexion d'ethnologue qui peut étonner l'amateur, à condition d'être lisible - c'est à dire de ne pas sacrifier au jargon ethnologique - mais qui est d'abord ethnologiquement fausse car basée sur un échantillon " rêvé ", et ensuite intéressante de façon très marginale pour l'amateur littéraire car obviée par une perspective étroite. On pourra me rétorquer que " ethnologiquement " Zola est intéressant, en tant que sujet en lui ", je pense que cette objection ne mérite même pas de réponse.

Je disais donc que toute la critique n'avait pas basculé dans l'approche pseudo scientifique, c'est seulement la critique que j'appellerai universitaire qui a fait le pas et qui encombre nos rayons de bibliothèque de sommes prétentieuses auxquelles je n'aurais encore une fois rien à dire si ces gens ne posaient par la même occasion à la papauté critique. On comprend ce qu'il en est des papautés quand on considère le pauvre malade vaticinant de l'authentique !

Une autre partie de la critique s'est lancée dans l'exercice de style. Un des tenants de cette critique siège aujourd'hui à l'Académie Française ce qui est assez triste et pourrait être interprété de cent façons désagréables pour cette institution. Pour ce type de critique, le principe est de se mettre en valeur. Qu'importe l'occasion, on va exécuter Kafka en cinquante lignes avec brio. La recette est simple, il suffit d'aborder l'oeuvre par ce qu'elle n'est pas, de gloser dessus cet aspect et de nier, d'ignorer - cela est plus facile - le reste, c'est à dire tout ce qu'elle est. A ce jeu on est loin de la critique, de la littérature. Tout morceau écrit dans cette perspective serait intéressant comme exercice de style, réponse à un sujet donné, imposé, et non comme une appréciation d'une oeuvre, ce qu'il n'est nullement malgré l'apparence.

Je terminerai en précisant que je ne me prends pas pour un critique, je n'essaie que de donner le goût, plus rarement le dégoût, de certaines oeuvres que j'ai aimées ou détestées sachant qu'il existe une grande communauté des amoureux de la littérature, que cette communauté est le plus souvent assez frustrée au niveau de la communication, en raison de déficiences multiples des revues spécialisées tombées soit aux mains des universitaires soit aux mains de littérateurs qui ne visent qu'à plaire à ... l'université. Le nombre de grant'zécrivains ainsi promus par ces coteries est aussi important qu'affligeant surtout si l'on tient compte du fait que l'aspect commercial - gros tirages - pourvu qu'il soit bien enveloppé, Houellebecq par exemple, suffit à impressionner ces pseudos intellectuels aussi prompts à se coucher devant le maître dollars que leurs prédécesseurs devant le maître Staline. ( L'intellectuel lui aussi mange ... et comme le chien lèche la main qui remplit sa gamelle, ce n'est jamais qu'un réflexe conditionné )

28-12-2004

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La critique, la vraie, c'est celle de ceux que j'appellerai les passeurs. Qui sont-ils ? Ecrivains, lecteurs, ils sont ceux qui lisent, qui aiment, qui savent parler de ce qu'ils aiment, mais, surtout, ceux qui savent voir ce que les autres ne voient pas. Ils lisent beaucoup, les journaux, les correspondances, les témoignages et ils en tirent ce qui explique, ce qui éclaire, ce qui donne envie d'aller voir. Qui sont ces passeurs ? Je vais en citer trois. José Cabanis et son ami Jacques Brenner, Albert Camus. Tout le monde connaît Albert Camus. L'Homme révolté est le livre de " passeur " de Camus. Autodidacte j'ai avec ce livre, plus que les autres certainement, pénétré un monde que des années n'auraient pas suffi à me faire découvrir. A dix-sept ans, inculte, ayant quitté le collège après le brevet, on imagine les mondes sur lesquels la lecture de ce livre m'a ouvert des fenêtres. Je n'avais jusque là lu que des livres pour adolescents, des vies d'hommes illustres et des récits de découvertes et de voyages. Nietzsche, Dostoïevski, Lautréamont, Stirner et d'autres m'étaient soudain livrés dans un texte qui allait au devant de mes interrogations, qui les enveloppait tellement qu'il leur donnait une sorte de direction. Fils d'ouvrier communiste et de mère catholique, je venais de rompre avec l'éducation chrétienne mais je n'en avais pas fini de l'éducation qui faisait du plaisir une faute, d'autant plus que mon père, communiste, était certainement encore plus pudibond que la plupart des cagots rancis en Dieu. Les grandes questions métaphysiques étaient au premier plan de mes interrogations qui n'avaient pas pris le caractère politique qu'elles avaient pour d'autres. Ce n'est que des années plus tard que j'irai par exemple faire un stage de six mois, en tant que militant, chez les communistes pour " donner leur chance aux idées de mon père " que j'avais vigoureusement combattues jusque là. On imagine que cette visite au Parti le plus sclérosé de France ne fut pas de nature à me convaincre si ce n'est de sa malfaisance et surtout de ses ridicules. A l'époque, en France, le Parti communiste était surtout ridicule avec sa phraséologie dépassée, ses militants décervelés, appliqués à reproduire les consignes d'en haut sans jamais se poser de question, admettant n'importe quels changement de cap sans même s'en apercevoir. Camus a appelé le vingtième siècle le siècle de la destruction. Quel autre nom lui donner ? Et encore Camus ne connaissait-il pas la destruction libérale dans ce que la chute et le pillage de l'ex URSS allait permettre, mais il l'avait anticipée parce qu'elle est consubstantielle à ce régime. Cabanis et Brenner sont des passeurs d'un autre genre, beaucoup moins systématique pour José Cabanis, plus littéraire pour Jacques Brenner. L'un et l'autre sont de ces auteurs capables en quelques pages voire quelques lignes, de vous donner sur une oeuvre, un auteur, un éclairage original. Cela, c'est mieux que n'importe quelle critique, peut-être est-ce ce que nous devrions trouver dans la presse si elle recélait autre chose que des complaisances de bas copinages éditoriaux.

Aujourd'hui, nous avons besoin de ces passeurs encore plus que d'habitude. Il n'y a plus de revues littéraires dignes de ce nom, la télévision nous balance à la pelle les auteurs frelatés de l'actualité, les confessions de n'importe quel amuseur, présentateur, acteur. Le point de ralliement est bien entendu le problème familial, personnel, inceste, dépression, cancer, SIDA, cruauté des parents, drogue, déchirements conjugaux, obésité, anorexie, biographie des politicards, affaires, mémoires de truand, d'artistes ... la liste est infinie des ces amusements publics sans art, sans style autre que les phrases biscornues dont depuis Céline on nous fait croire qu'elles sont la fin des fins de la littérature. La vraie littérature, aujourd'hui, est clandestine. Un écrivain authentique n'a rien à faire de cette foire. Il est au vert, bien caché, jamais il n'apparaîtra sur un plateau de télévision. Pour la plupart jamais même ils ne publieront pour un public de cons, abruti, produit d'un lavage de cerveau sans précédent même dans les régimes les plus totalitaires où, au moins, le public savait à quelle sauce on tentait de le manger.

27-3-2005

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