PAUL BOURGET

LE POETE

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Le poète ... romancier de l'amour, à thèses, réactionnaire, essayiste, polémiste ... ce n'est certes pas au poète que l'on pense en général quand on nomme Paul Bourget et les anthologies l'ignorent toutes consciencieusement tout comme elles ignorent un Louis Codet, un France et quelques autres morts trop tôt dont quelques poèmes figurent sur ce site qui valent bien ceux que les professeurs reprennent par esprit de système (Par exemple, il faut un poème de Gide parce que Gide ...).

Paul Bourget publia six recueils de poésies entre vingt et vingt-sept ans, repris dans deux petits volumes au format in-12 que Lemerre appelait format des Elzévirs, le même et la même collection que celle qui vit les Fleurs du Mal de Baudelaire, Lord Byron et de nombreux autres.

Je crois qu'il est deux sortes de poètes parmi les jeunes écrivains, ceux qui jouent avec les mots, les images et parfois les idées et ceux qui exhalent une grande douleur, une passion ou une colère. Paul Bourget appartient à la race des seconds, il sait dire ses émois et parfois en raccourcis comme il convient au poète, mais ses vers sont trop proches de la prose.

 Au Bord de la mer. (1872)

Publié en 1872, le poète a vingt ans et c'est sa première publication. On est jeune, on aime une jeune fille de quinze ans belle comme une image, pardonnez, comme une vierge, elle est peut-être d'une condition dite supérieure, de toutes façons son âge la fait inaccessible à une âme bien née, restent les mots.

 

En écoutant faire de la musique

Dans le salon tendu de satin bleu,

Moi je me sens devenir peu à peu

        Mélancolique;

 

Mélancolique et vieux à la fois,

Et si joyeux que j'ose à peine y croire,

En écoutant sur les touches d'ivoire

        Chanter vos doigts.

(Un peu de musique)

 

Pourrait-on le dire si les doigts avaient seulement appuyé sur le bouton d'un appareil à disques ?

Quand le wagon bruyant t'emporta vers Paris,

N'as-tu pas, mon ami, par le carreau, surpris

Quelque fois un recoin charmant de paysage,

Une maison perdue au milieu d'un feuillage ?

- Et quand tu la voyais disparaître là-bas,

Triste et plus seul encore, ne te disais-tu pas

Que les rosiers en fleurs semblaient sous la fenêtre

Groupés par une main de femme, et que, peut-être,

A l'heure où ton regard ému les contempla

Le rêve de ta vie était enfermé là ?

(En passant)

J'ai repris ces deux extraits parce que l'un me semble marquer ce temps, qui n'est plus le nôtre, dans lequel on devait et Paul Bourget comme les autres, avoir recours, directement, à un interprète pour écouter la musique et celui, où comme le nôtre, on rêve à la fenêtre d'un wagon, en voyant s'effacer les maisons d'un village, à un bonheur possible que nous ne connaîtrons pas. Si tout homme qui a vécu avant nous appartient à notre époque par certains éléments de son environnement et s'en éloigne par d'autres, nulle époque comme celle de Bourget n'a été de façon aussi forte dans cette situation vis-à-vis de nous. Tout le passé se reflétait encore en ces hommes et toute notre monde moderne était en germe dans ce qu'ils faisaient sortir de terre ou de leurs mains et de leurs cerveaux. C'est ce qui fait leur sensibilité si particulière, qui peut nous être étrangère, mais que nous aurions tort de ne pas vouloir reconnaître, elle porte ce que nous avons certainement perdu et tous les possibles d'un monde, le nôtre, désormais peut-être trop engagé dans ses voies pour se corriger, là est sa gageure.

Ne frôle-t-on pas le blasphème, chaste, certes dans ces vers où l'amour prend les mots de la religion ? Fréquent dans ce temps où les hommes oscillaient entre la croyance du passé et l'incroyance du futur, Boylesve fait référence bien plus consciemment aux délices de la mystique pour les rapprocher du domaine de l'amour ... qu'ils gâchent. Bourget à vingt ans était athée.

Délicieux de voir dans la chapelle sombre

Votre visage aimé se détacher de l'ombre

Lentement. La foi pure illuminait vos yeux

De je ne sais quel feu chaste et mystérieux ;

Mais vous n'aviez pour moi ni reproches ni plaintes,

Et vous me pardonniez comme auraient fait les saintes,

De ne jamais plier les genoux devant Dieu.

(La Chapelle)

Et l'on s'en approche encore plus dans les vers qui suivent, du même poème :

Et moi, vos moindres mots m'attendrissaient sans cause,

Mais si profondément, que j'aurais devant vous,

Comme un prêtre à l'autel, plié les deux genoux,

Et que je demeurais  muet, l'âme ravie,

Tout éperdu devant la beauté de la vie.

Je crois que les vers qui suivent sont très autobiographiques et représentant bien cette conception de l'amour idyllique quand il est chaste, décevant et mélancolique dans la chair, qu'ont portées à des degrés divers, de nombreuses générations élevées dans l'ombre de l'autel et dont les causes n'ont rien à voir avec la doctrine mais relèvent d'une confusion entre visions mystiques et amour.

Tu ne m'aimeras pas, bien que la destinée

Ait ému nos deux cœurs en un seul battement,

Que tu saches ma vie aux deuils abandonnée,

Et que je t'ai un jour chérie uniquement.

 

Je n'aurai pas la gloire, et mon adolescence

S'était épanouie en beaux et chastes vers.

Nul n'adora peut-être avec plus d'espérance

L'âme de notre obscur et mystique univers.

 

Je ne vivrais pas pur et je hais la matière,

Etant de toute chair aussitôt dégoûté,

Réjoui seulement par la pure lumière

De l'éternel amour, vierge et sans volupté.

....

Mais les grands cœurs humains, plus troublés que les ondes,

Ces cœurs aujourd'hui froids et jadis embrasés,

Qui pourra compter sous leurs douleurs profondes

Tous les amours éteints et les espoirs brisés ?

....

Qui se souvient, devant l'horizon blanc de voiles,

Que le ciel et la mer sont deux vastes tombeaux ?

On aime une jeune fille de quinze ans,

Oh! reste ainsi toujours sans comprendre les âmes,

Les yeux ouverts sans pleurs sur l'immense horizon ;

Que les astres divins éclairent de leur flammes,

Sans les brûler jamais, ton cœur et ta raison !

 

Prends en pitié le mal qu'on apaise ou qu'on aide,

Les pauvres corps qu'on touche et qu'on peu secourir,

Et ne connais jamais la peine sans remède

Du cœur humain blessé qui ne veut pas guérir.

 

Car l'amour même malheureux est toujours bon ...

(Remords dans l'avenir)

Paul Bourget combattra le pessimisme, un des maux qui, selon lui, ronge sa génération. Défaite de 1870 d'une France qui n'est plus la première en Europe, désenchantement de la science, manque d'idéal et individualisme forcené, voilà des causes de ce pessimisme, voire du nihilisme. Serait-ce pour l'avoir connu à vingt ans qu'il le reconnaît si bien - oui, - ? Qu'on se souvienne de cette préface du Disciple, dix-sept ans plus tard : " Nous le connaissons trop bien, ce jeune homme-là ; nous avons tous failli l'être, nous que les paradoxes d'un maître trop éloquent ont trop charmés ; nous l'avons été un jour, une heure ; nous le sommes encore dans nos mauvais moments. "

Vous disiez : " D'où vous vient cette amertume immense,

Cet incurable ennui qui vous jette à genoux,

Et pourquoi ce dégoût de vivre, qui commence

A perdre les meilleurs et les plus purs de vous ?"

 

Moi, je vous répondis : " Nous voulons trop du monde,

Et ce monde épuisé ne peut donner assez

Pour remplir jusqu'au bord notre âme trop profonde,

Car nous portons en nous tous les siècles passés.

 

Tous les rêves anciens qu'ont caressés les hommes,

Tous les pleurs amassés depuis quatre mille ans

Nous ont faits les rêveurs malades que nous sommes

Et nous sommes très vieux et nos bras sont tremblants."

(Après une lecture de Sully Prudhomme)

La pensée d'automne n'est pas plus optimiste mais l'auteur revendique son monde :

Ce monde meilleur et tout autre,

Le Paradis, je n'en veux pas.

Tout mon souvenir tient au nôtre,

Toute ma vie est ici bas.

 

La belle enfant que j'ai choisie,

Ses cheveux, sa bouche et ses yeux,

Sa jeunesse et sa poésie,

Je ne les aurai pas aux cieux.

 

Si la chair n'est pas immortelle,

Si les formes doivent périr,

Je ne reconnaîtrai plus celle

Qui m'a fait aimer et souffrir.

(Pensées d'Automne)

 

Amour chaste ? Le poète qui se souvient, écrit :

 

L'ancien désir renaît toujours jeune et vainqueur,

Et de vos chers baisers j'ai toujours même envie.

C'est que le désir ne l'est pas :

Mais vous m'êtes meilleur en songe qu'autrefois,

En songe votre bouche est douce et peu cruelle,

Vous laissez s'appuyer mes lèvres sur vos doigts,

Et vous dites des mots dont la musique est telle

Que je reste éperdue d'entendre votre voix.

(Aurore parisienne)

 

Et mon âme à la fois sensuelle et mystique

N'effraiera-t-elle pas votre cœur pur et doux ?

(Heures de regret)

Dans les derniers vers du recueil dédié à un amour non réalisé,

Pour charmer le sommeil éternel, c'est assez

Des trésors de douleur et de joie, amassés

        Dans une vie humaine.

(Epilogue)

le jeune auteur sait que l'heure vient où le souvenir, dans une vie bien remplie, est bonheur.

De ce premier recueil, première publication, Paul Bourget, qui de 15 ans à 20 ans a lu Balzac, Stendhal, Flaubert, Musset et Baudelaire, a écrit : " Il n'est pas de pièce de ce recueil qui ne soit à la fois sincère et artificielle, pas une qui n'ait été sentie, et pas une qui ne corresponde à une vérité simple et nue. Je ne saurais mieux comparer l'état général que ces vers révèlent qu'au travail d'un jardinier fantaisiste qui grefferait des fleurs prises à des grands arbres sur un arbrisseau jeune et robuste , mais encore incapable de fleurir lui-même. " (Lettre autobiographique publiée par Victor Giraud en annexe à son Paul Bourget, Essai de psychologie contemporaine.)

 La Vie Inquiète (1875)

Ce second recueil n'a pas les qualités du premier, peut-être en raison d'un thème moins cohérent. Le défaut que Paul Bourget signale au sujet du premier recueil est certainement plus vrai en ce qui concerne le second. Le fait le plus marquant est cet extraordinaire poème qu'on y trouve et qui nous laissent pantois.

Paul Bourget s'adresse à Léon Cladel dont il reprend quatre vers à la seconde strophe.

A Léon Cladel

Après les Va-nu-pieds.

 

Donc vous nous avez dit : "Poètes qui pleurez

En menant le convoi des deuils imaginaires,

Détournez vos regards de ces vaines chimères

Vers ceux qu'une douleur sincère a torturés,

 

"Ceux qui sont morts de faim au milieu d'une rue,

L'ouvrier tout noirci près des fourneaux en feu,

Le mineur enterré loin du firmament bleu,

Le laboureur qui geint en poussant la charrue."

 

A cette proposition somme toute assez raisonnable, notre jeune auteur de répondre :

 

- Eh bien, non ! - Tous ceux-là ne sont pas malheureux,

Leur pensée éveillée a-t-elle en sa tristesse

Devancé chaque coup qui les frappe et les blesse ?

Ils travaillent pour nous, mais nous sentons pour eux.

 

Toute l'humanité n'est qu'un seul être immense

Dont nous sommes le cœur, dont ils sont les bras,

Et nous savons leurs maux, mais ils ne savent pas

Le labeur idéal qui toujours recommence.

 

Proclamons-le ! - Les deuils se mesurent aux cœurs :

Notre raffinement fait seul une souffrance

Plus pitoyable, plus aiguë et plus intense

Que l'effort incessant des plus durs travailleurs.

 

Osons nous plaindre, à l'heure où le peuple qui monte

Semble nous refuser jusqu'au droit de souffrir.

Nous qui perdons le monde et nous voyons mourir,

Pleurons sur notre chute et n'en ayons pas honte.

 

Vous, artiste sincère et rude, avouez-nous

Que vous avez soufflé comme un Dieu, votre flamme

Sur vos forts paysans qui vous doivent leur âme ;

Et s'ils ont un grand cœur, c'est votre cœur à vous !

 

Paul Bourget avoue quelque part : " Il m'est impossible aussi de m'intéresser à quelqu'un, sans me figurer avec une intensité presque égale à celle de mes souvenirs personnels, ses façons de sentir, ses goûts et ses dégoûts, ses plaisirs et ses chagrins. Je dis : me figurer, et non pas comprendre. Car il n'y a rien de commun entre ce travail tout hypothétique et la justesse de l'observation. J'ai trop éprouvé au cours de ma vie combien on se trompe aisément à construire ainsi en hâte et d'instinct le caractère des autres. " p193 Lettre autobiographique. Combien ici on prend la mesure de cette incapacité à comprendre, à un tel point cela prend des allures d'infirmité ! Les paysans, les travailleurs, non seulement non, selon lui, aucune sensibilité mais ils n'ont pas d'âme puisque celle que le poète leur découvre n'est que le reflet de la sienne ! C'est le même auteur qui, dans la fameuse préface du Disciple, nous dit : " Ah ! la brave classe moyenne, la solide et vaillante Bourgeoisie, que possède encore la France ! ..." C'est en 1889 qu'il écrit cela, le sang des dizaines de milliers de communards massacrés par l'armée bourgeoise de Thiers n'est pas encore sec. Disons-le si nous reconnaissons de solides qualités à Paul Bourget, elles n'ont rien à voir avec sa sensibilité sociale qui, manifestement, ne dépassait pas les bornes étroites de sa classe, la plus égoïste que l'on puisse trouver par une crasse incapacité à imaginer l'autre ressemblant. On sait d'ailleurs que l'image qu'il se faisait des classes pauvres, prolétariennes, était quelque peu fausse et qu'étant telle on ne le voit pas, par exemple, comprendre un Zola. Bourget appartenait en outre à une aile très minoritaire de cette classe fidèle, dans sa très grande majorité, à une république issue d'une révolution - celle de 1789 - qu'haïssait, non sans raisons, Bourget, et qui lui avait donné le pouvoir.

 

 

 

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