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RENE DALIZE - ( René Dupuy - des Islettes - )

1879 - 1917 Assassiné pour la France

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Né à Paris le 30 novembre 1879, René Dupuy, René Dalize en littérature, fut un camarade d'enfance de Guillaume Apollinaire, ils s'étaient connus et étaient devenus amis au collège catholique de Monaco. Ensuite René Dalize navigua. Sa famille ne portait plus le nom des Islettes. André Salmon qui fait sa rubrique dans l'anthologie des écrivains morts à la guerre assista à leurs retrouvailles dix ans plus tard. Dalize écrivit un roman qui parut sous le nom de Franquevaux dans Paris-Midi en 1912. Engagé alors qu'il était dégagé des obligations militaires, c'est dans l'infanterie qu'il trouva la mort le 7 mai 1917, après trois citations, à Cogne-le-Vent. D'origine créole il disait ne craindre que le froid. Le poème ci-dessus rescapé de ses écrits disparus avec un Journal d'un commandant de compagnie, fut dicté par lui à Appolinaire, c'est du manuscrit de ce dernier qu'André Salmon le transcrivit.

 

Ballade à tibias rompus

 

Je suis le pauvre macchabé mal enterré,

Mon crâne lézardé s'effrite en pourriture,

Mon corps éparpillé divague à l'aventure

Et mon pied nu se dresse vers l' azur éthéré.

 

        Plaignez mon triste sort.

Nul ne dira sur moi: « Paix à ses cendres! »

        Je suis mort

Dans l'oubli désolé d'un combat de décembre.

 

    J'ai passé un hiver au chaud,

    Malgré les frimas et la neige:

Un brancardier m'avait peint à la chaux.

Il n'est point d'édredon qui mieux protège.

 

Un gai matin d'avril. Monsieur Jean-Louis Forain.

Escorté d'un cubiste, m'a camouflé en vert.

        Le vert a tourné à l'airain

        Puis au gris et, dessert,

J'ai moi-même tourné comme une crème à la pistache.

Où donc es-tu, grand Caran d' Ache ?

 

        Depuis, je gis à l'abandon.

        Le régiment de la relève

M'a ceint de fils de fer, créneaux et bastidons.

Un majestueux rempart autour de moi s'élève.

 

        En dépit du brûlant tropique,

        Mon été fut philosophique.

        Le nez perdu dans l'agrégat

        Emmi le crapaud et le rat,

On s'habitue à tout loin des désirs charnels.

Autour de moi rêvassent de vieux cadavres confraternels.

 

L'autre semaine, hélas, un gros minnenwerfer

        Sans crier gare a chu

Et m'a brisé les reins d'un grand coup de massue.

En vain ai~je imploré Wotan et Lucifer.

Brutalement jeté de mon aimable trou,

Six fois en tourbillons je mesurai [espace,

Puis retombai, épars, colloïdal et mou,

Parmi la criquembouille et la mélasse.

 

    Depuis ce temps, le crâne retourné,

De mon œil, mon pauvre œil, mon œil unique,

    - L'autre, un rat me l'a mangé, -

Je subis à nouveau la Tonde mécanique.

 

        Entre les branches demi~mortes

        D'un grand saule dépareillé,

        J'aperçois la sainte cohorte

        Des astres de la nuit d'été.

 

Hermann, Dorothée, ô Minna, ô Werther,

        Que maudit le minnenwerfer!

        Peu me chaut manquer d'une fesse.

        J'ai du coup perdu la sagesse...

Voici bien le grand œil lumineux étoilé,

Et mon œil rebelle va du mauvais côté.

Je me souviens, ah oui! je me souviens.

Elle était, ma fiancée, des bords du Rhin...

 

        - Mon bel et pur amour,

Le grand cygne de neige aux ailes éployées

    Nous emportera quelque jour

Au destin fabuleux que nous avons rêvé.

 

- C'est la bataille, Fritz, et, puisqu'il faut partir,

Vois la mignonne étoile près la fière Altaïr.

    Promets~moi, chaque soir, pieusement,

De répéter sous son regard fidèle notre serment.

 

- Cet infiniment petit corpuscule,

Tu me l'avais donné, ô ma tendre Gudule,

        Tu me l'avais donné...

Je sens le vent du sud, ce soir, au creux du nez ;

 

    Le vent du sud est plein de pestilences

    Idoines à flatter ma carcasse un peu rance.

    Entre les fils de fer, j'ai plus d'un camarade.

    L'odeur des champs fleuris est par trop fade !

 

Mais le zéphyr, ce soir, perce mes oripeaux,

Court en frissons subtils sous ma défunte peau,

Eveille en mon cœur mon oubliée luxure,

Et rompt les harmonies de ma feue chevelure.

 

        Il n'est point si gai d'être mort.

        Tout cela manque de confort.

        Si j'avais un bout de ficelle,

        Je sonnerais la sentinelle.

 

        Et puis voici que joue au vent

        Le ruban bleu taché de sang

        D'une fille que j'ai violée

A Malines, un soir pareil de l'autre été...

        Ne te révolte, mon doux cœur !

On n'est pas très poli quand le temps presse.

Tes bras frais alanguis plutôt à mon ivresse

Et cambre tes seins durs au désir du vainqueur.

 

            Elle était blonde,

Elle avait de grands yeux qui suppliaient le monde

                Loin de moi!

    Aujourd'hui, vieux macchabé vertueux,

Je ne veux plus aimer de mes fiancées aucune

        Que celles à l'œil vitreux

        Et au sein flou couleur de lune.

 

Satané vent ! Le coriza m'a pris.

Mes pieds humides vers l'azur éthéré

        Se dressent incompris.

Je suis le pauvre Macchabé mal enterré. 

 

 

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