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Joseph Prudhon   Anonyme

 

                                                                                                                                Si vous possédez des témoignages directs sur la guerre de 14-18, correspondances, carnets, ne les laissez pas se perdre, la publication, ou, au moins la reproduction en plusieurs exemplaires répartis, est le meilleur moyen de sauvegarde.

 

Et les autres ... C'est ce qu'on m'a demandé une fois, sur un ton assez péremptoire, les autres, ceux qui ne sont pas écrivains, "Ils ne comptent pas ?" Bien entendu, tel n'est pas le cas. En ce qui concerne les "écrivains", il faut d'abord s'entendre sur la définition du terme écrivain tel que l'ont acceptée ceux qui publièrent l'anthologie ou, du moins, tel que le choix le laisse supposer.

Ont été considérés comme "écrivains" tous ceux qui ont écrit, avant, pendant, cette guerre et qui ont été publiés soit de leur vivant, soit par des amis, en volumes ou dans des revues, que leurs écrits concernent ou pas la guerre. Quand ils concernent la guerre, ils sont intéressants en tant que témoignages. Quand ils ne la concerne pas - certains furent tués, comme Péguy - trop tôt pour avoir le temps de vraiment témoigner, ils sont intéressants parce qu'ils nous donnent une mesure de ce que nous avons perdu avec leur mort. En ceci, les écrivains sont exemplaires, un texte peut être appréhendé par tout un chacun ou presque - (même si la fabrique à crétins fait remonter chaque jour le taux d'analphabètes dans notre pays) - et permet ainsi de "mesurer" le trou fait dans la communauté par la mort d'un homme, cette mort répétée 1 300 000 fois de juillet 1914 à novembre 1918, et des centaines de milliers de fois - par suites des blessures, maladies de tranchées - dans les années suivantes. Ce "trou", il existe dans chaque famille française, une fois, deux, .. dix, certaines familles ont ainsi disparues *1. Et ces hommes n'étaient pas, pour leur immense majorité, des volontaires. Et ils ne possédaient pas d'actions dans la sidérurgie, ni dans la banque, tout au plus, ils avaient travaillé pour enrichir les salauds qui faisaient si bon marché de leur vie.

Tous ne sont pas morts à la guerre, heureusement, il y eut des survivants. Et, parmi les autres, beaucoup ont pris des notes, écrit des lettres forts détaillées sur leur vie, leurs textes ont été perdus ou recueillis, publiés ou serrés dans des tiroirs. Il en existe certainement encore des dizaines, non exploités, ou considérés comme "biens de famille".

A défaut de pouvoir les publier, cela est devenu très facile, les techniques modernes permettent en effet, de petits tirages, cent, deux cents volumes, à des prix raisonnables, sans passer par des éditeurs, il est possible de tout simplement mettre sur Internet ces documents. (Problèmes de droits mis à part *2). A mon sens, la publication avec dépôt à la Bibliothèque Nationale est préférable.

 

*1 Sur certains monuments aux morts, on lit trois, quatre, cinq, six fois le même nom suivi ou précédé d'un prénom différent. Père, fils, frères, tous tués. Les noms des femmes, épouses, filles, sœurs ou simples amantes, mortes de désespoir, suicidées, mortes à la tâche des charges héritées en raison de l'assassinat de l'homme, ne figurent pas sur ces monuments. La république s'en foutait et s'en fout encore puisqu'elle laisse, aujourd'hui, les petits-enfants et arrières petits enfants - chômeurs - crever dans les rues parce que le commerce avec ces salauds de communistes chinois est plus rentable pour les héritiers des actionnaires de l'époque de la sidérurgie et des banques, tout comme elle a envoyé, la Salope, dans les camps de Hitler ceux d'entre eux qui étaient juifs sous l'égide de Pétain, dont de Gaulle fleurissait la tombe.

*2 Il n'y a pas en effet que les problèmes de propriété au sens pécuniaire, les textes de ceux qui sont morts depuis soixante-dix ans sont dans le domaine public, reste le problème de plagiat, d'usurpation.

Les carnets de Joseph Prudhon sont désormais disponibles :

 Je donne ci-après un extrait des carnets, inédits, d'un de ces hommes. Il a écrit dans des carnets tout au long de cette guerre. Des héritiers, Monsieur Michel Vouillot et sa femme ont reçu ce dépôt auquel ils ne s'attendaient pas et ont été touchés, "profondément remués" par ce témoignage. Ils ont déchiffré les carnets, préparé le texte pour une édition. Peut-être sera-t-il publié un jour*.

Pour présenter l'auteur je laisse la parole à son petit fils, Michel Vouillot :

Mon grand-père Joseh Prudhon est né à  Montmirey-le-Château (Jura) en 1888,  est parti en Août 14, il a été démobilisé en janvier 1919.

Ses mémoires tiennent sur cinq petits carnets couverts de moleskine noire, chaque fois qu’il revenait en permission il en laissait un à ma grand’mère et en reprenait un neuf, la crainte d’y rester sans aucun doute …

Dans ses carnets il commente souvent la presse car quand il le pouvait il allait à la gare la plus proche pour rapporter des journaux à ses compagnons de misère. La météo est donnée presque chaque jour. Il a eu aussi la chance de bien connaître les chevaux, ce qui lui permettait d’en avoir un et d’en dresser pour des officiers qu’il guidait souvent en reconnaissance pour trouver de nouveaux sites où installer les batteries. Il a tout fait et même réparé les lignes de transmission  entre les tranchées  et les échelons, le pire… 

 Il a été de presque tous les fronts en France, il a commencé en Alsace du sud, expédié d’urgence le 23 août 14 sur la Marne, l’Aisne, l’Oise, la Champagne, Verdun juillet 16, la Somme novembre 16,l’Aisne avril 17 au chemin des Dames, Champagne avril 18  et fini sur la Somme à Noyon le 26 décembre 18.

Seulement 76 jours de permissions sur quatre ans.

Le document brut fait 118 pages dactylographiées. "

" Ils ont été tenus chaque jour, sans exception, en pattes de mouche, écrits au «crayon à encre». Très peu de fautes d’orthographe, seuls les noms de lieux ont nécessité des corrections. Ma grand’mère m’a souvent dit qu’il s’en était tiré parce qu’il était artilleur et non fantassin *1, un de ses frères et un de ses beaux-frères, fantassins tous deux, ont été tués, le premier en octobre 18 et le second en octobre 14. Mon grand-père avait trois frères, ils étaient orphelins de père, père décédé en 1894 (il avait 6 ans). C’était une famille de cultivateurs très modestes avec des terres en location pour la plupart, des vignerons ruinés par le phylloxera.

Après avoir travaillé comme carrier, il est venu s’installer à Saint-Denis à son mariage en début 1914, ma grand’mère du même canton s’était placée comme domestique chez de riches drapiers à Paris, elle avait exactement la même origine sociale. Mon grand-père est entré à la TCRP (RATP actuelle) comme conducteur de tramway sur la ligne Paris, Le Blanc-Mesnil. Il a fini sa carrière comme chef machiniste sur St Denis Stains et il a été rappelé au début de 1940 pour remplacer les suivants de l’autre grande boucherie. Il est décédé en 1952. "

*1 On mourrait effectivement moins dans l'artillerie, mais on n'était pas "planqués" pour autant. Les canons explosaient, les munitions également, quand une batterie tirait, elle était rapidement localisée par l'adversaire et devenait une cible. Les artilleurs ont eux aussi payé leur tribus, toujours trop lourd.

 

Voici un extrait de ces carnets :

RECUEIL DES MISERES 1914-1918 (Titre donné par l'auteur) Extrait des carnets de Joseph Prudhon (1888 - 1952 )

" Je n'y comprends rien dans cette guerre monstrueuse. Voilà Gaudard en évacuation à Dole, il doit être heureux, il y a de quoi, aussi si seulement on avait une patte cassée et on irait faire un tour à l'arrière, depuis le temps qu'on entend toujours ce canon, quel cafard par moment. Je suis dégoûté de la vie, si on savait que cela dure encore un an, on se ferait sauter le caisson et cependant et tout au bout de cet état de chose tout est pour nous dégoûter ici : injustice sur injustice, les sous-off et officiers qui paient le vin à 0,65 et nous qui ne gagnons que 0,25, nous le payons 16 à 17 sous. C'est affreux, vivement la fin, vivement. Quand on voit sur les journaux le confort moderne, oui pour les officiers, mais pour la troupe…, les casemates humides et la nourriture comme pour les chiens et souvent même pas, le quart de vin comme nous y avons droit, voilà ce que nous avons. Joffre dit : ils ont tout, lumière douche et paille de couchage. Oui lumière à 0,30 la bougie que nous payons, douche à la rivière et la paille de couchage, une botte tous les mois pour deux ou trois. Ah ! ils sont bien nos poilus sur le front ! c'est honteux et dire que c'est nous qui payons les frais et qui est-ce qui est sur le front à présent, les cultivateurs et les ouvriers qui n'ont aucun rapport avec les usines de guerre. Qui est-ce qui se fait casser la gueule, toujours la même chose, ce sont ces deux genres de types, qui est-ce qui gagne l'argent de la guerre, ce sont ces gros Messieurs avec leurs usines, sans aucun risque avec leurs ouvriers, lesquels leur seront d'un bon soutien après cette dure épreuve, poilus ou idiots selon la pensée de ces exploiteurs. Peut-être après cette guerre l'ouvrier aura vu clair et saura s'en tenir à quelque chose. Tant que tous ces gros Messieurs n'auront pas fait leur fortune la guerre durera et ne cessera pas jusqu'à ce jour. C'est la ruine et le malheur du pauvre bougre, ah ! oui, Poilu est un nom qui nous va bien, ce sont bien les poilus, les abrutis qui se font tuer, sans aucun avantage que la misère à venir. " 

Le poème qui suit a été écrit au début de cette guerre, cependant après le grand massacre des premiers mois.

Ce poème reflète l’espoir d’une guerre brève, on y lit l’amour d’un fils et la passion d’un jeune marié arraché à sa jeune épouse comme tant de jeunes gens. La propagande est passée par là…

  A ma femme chérie, le 4 décembre 1914, dans mon terrier d'observation, à Amblény.

 

Le réveil à la sape

 

Oh, douce caverne sous terre

Combien de sécurité sous l'averse de fer

Que ces damnés de Boches, dans leur folie,

En nous pointant, voudrait nous arracher la vie,

Mais devant Dieu, leurs pièces ne sont que Joujoux.

Pour accrocher le veilleur dans son trou,

Sol sacré de France, toi le bon producteur,

Tu es notre honneur et notre sauveur

En cette matinée Hivernale

Où nous trouvons un bon abri contre la neige par rafales.

Quel bon réveil, en sortant de ton sol chaud

Lorsque je vois la terre recouverte de son blanc manteau.

Quelle sera la journée d'aujourd'hui avec son ciel gris?

Peut être le bonheur et la victoire qui nous sourit

Tous les jours qui s'écoulent

Sont néfastes à Guillaume qui s'écroule

Et notre belle France d'ici peu

Revivra des jours plus heureux,

En attendant la retraite de ces gueux,

A bientôt ma Chérie,

Où nous vivrons unis pour la vie

Et à toi Maman qui nous est si chère,

Tu reverras les quatre gars[1] dont tu seras fière,

Car pour vous et la patrie, nous consacrons notre vie

Oh pour tous, chers Parents

A vous revoir d'ici quelques temps.

Bon baisers à ma Chérie qui est toute ma vie.

Nous revoilà tous à notre poste

Par cette belle journée claire, le feu doit être proche

Car sur la crête, en face où sont les Boches,

Notre commandant inspecte de sa lunette qui rapproche,

C'est aujourd'hui fête de notre Patronne

La grande Sainte Barbe qui protège les hommes

Qui de tout temps, fête les artilleurs,

Diables noirs qui aux yeux des Boches jouent des frayeurs.

Que Sainte Barbe exauce les vaillantes troupes

Et qu'un jour mettions les Allemands en déroute,

Car dans ces cavernes souterraines,

Combien sont consacrées de vies humaines.

Souhaitons que la horde à Guillaume

Soit rejetée bientôt dans son royaume,

Comme des assassins rongés par la honte,

Que ces vilains gueux soient exclus du monde

Qu'en les jours devenus meilleurs,

Le sol de France ne porte plus aucun des leurs

En vivant dans notre pays prospère,

Où ils sont devenus de terribles corsaires,

En se battant comme des brutes déchaînées

Se vengent jusque sur les nouveau-nés

Si c'est là leurs faits d'armes,

Ils pourraient en faire des annales

Pour instruire leurs jeunes Teutons

A la face de lions

Voilà ma pensée en ces longs jours

Où comme beaucoup, j'attends le retour,

Quand auprès de toi ma Chérie

Si douce et si bonne et la vie

Combien tes yeux savent lire en moi

Qui ne pense et ne vis que pour toi,

Oh, ma Finette adorée

Combien de rêves à ta douceur de fée

Dans cette cruelle destinée, je n'ai que ta pensée.

_____________________________

 Deux ans et demi après, la guerre s’éternise et devient de plus en plus intolérable et insupportable.

 Bref témoignage, au moment de la séparation,  d’une jeune épouse Joséphine PRUDHON née BREGAND (mariage 28/01/1914.

Rendons hommage aussi à ces jeunes femmes courageuses.

  29 juin 1916 (après une semaine de permission, écriture de la femme de Joseph :

7 heures du soir, mon petit mari est parti à 2 heures et demie, triste journée, la séparation est cruelle, j'ai un cafard qui me mine, je vais aller me coucher, je suis bien fatiguée. Mon petit père voyage et doit bien s'ennuyer, pauvre petit mari, il est bien courageux.


[1] François, Alexandre, Jules et Joseph. Sergent PRUDHON Alexandre né le 05-10-1890 39 - mort pour la France le 6 octobre 1918, 358 RI (SGA, Mémoire des hommes), Joseph le signale : pauvre frère Alexandre a été tué le 9 à Cernay près de Condé-les-Autry.

 

 

 

 

 Ce regret de ne pas avoir "une patte cassée" exprimé par Joseph Prudhon, "il doit être heureux", alors qu'il était au front, m'a rappelé le texte d'une carte postale, écrite par un "brave homme". J'ai souri en la découvrant mais pas longtemps, il était rescapé, mais à quel prix ?

(Réf.69) Anneyron le 29/9/17

Ma chère infirmière

Que devriez vous penser de moi de rester si longtemps sans vous donner de mes nouvelles, cet pas que je ne pensse pas à vous au contraire j'y pensse même très souvent et surtout au bon soint que vous m'avez donner pendant mon séjour au 114. j'en garderai un bon souvenir aussi longtemps que je vivrait. A présent je commence à bien travailler ça met bien pénible quand même car je ne suis plus à mon aise comme avant enfin cet probable que je continurait pas à travailler la terre car l'on ma proposer une place de concierge dans une usine qui se construit tout pret de chez nous. 2000 fr de paye loger chauffer éclérer mais je ne set pas encore quand j'y rentrerait. Je suis réformer depuis le 6 Aout avec 750 pour ma jambe et 300 pour l'oeil. Je suis en bonne santé et désire que ma carte vous en trouve de même. Bien des choses de ma part à toutes ces dames et demoiselles A vous mes bon souvenir   Thanas Drôme

 

J'ai respecté l'orthographe. Pour ceux que l'histoire de la carte postale intéresse, il faut savoir que la guerre de 14-18 a marqué l'entrée des humbles dans la "correspondance". Avant, on ne trouve que des cartes postales de demoiselle à demoiselle, " pour la collection " ; de paroissiennes à curé ou vice et versa, des cartes d'affaires. Avec la guerre, le courrier devient le lien entre ceux qu'elle a jeté loin de chez-eux et leurs familles et amis, bien souvent résidant tous dans le même quartier ou village. L'orthographe de la carte ci-dessus permet de constater que celui qui écrit n'est pas habitué à cet exercice, d'autres cartes montrent des textes dans lesquels même le découpage des mots n'est pas bon, c'est la nécessité qui pousse à écrire des gens qui, habituellement, ne le faisaient pas. Mais le pli est pris, de plus un grand brassage vient de se produire, bon nombre de ceux qui ont correspondu continueront après guerre, en moindre volume. Le courrier n'est plus affaire de l'élite. Je pense que le volume du courrier traité par les PTT devrait marquer cette évolution que l'arrivée dans la vie active de générations entièrement scolarisées a également favorisée.

 

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